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Chapitre VI. Rapport à la nature

6.2. L'écoconditionnalité dans l'idéologie de l'UPA et l'utopie

Dans son étude intitulée Synthèse des informations environnementales disponibles en matière agricole au Québec (2003), le Ministère de l'Environnement souligne que les principales externalités environnementales de l'agriculture productiviste et de son intensification sont principalement "la contamination de l'eau", "la dégradation des sols" et "la détérioration des habitats et de la biodiversité".

Pour répondre aux externalités environnementales "la stratégie agricole du Québec", écrit le ministère de l'Environnement (2003, p. i), a été jusqu'ici principalement "une logique d'assainissement agricole"334. Le gouvernement du Québec doit maintenant passer à "une logique de protection, de restauration et de mise en valeur de l'eau, des écosystèmes et de leurs usages en milieu rural" (idem) comme cela se fait aux États-Unis et en Europe (idem).

Boutin (2004, p. 3) souligne que depuis 25 ans le gouvernement a pris certaines mesures335 pour contrer les impacts de l'agriculture sur l'environnement et que ces mesures peuvent être regroupées selon trois catégories : l'"intervention réglementaire", les "mesures d'accompagnement" et "les stratégies et politiques agricoles". Toutefois, malgré ces mesures, l’Union québécoise pour la conservation de la nature (UQCN) souligne que Vérificateur Général du Québec affirmait que le

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Nous qualifions cette nature d'artificialisée pour souligner que l'homme est déjà intervenu. On ne doit toutefois pas entendre par là qu'il y a pour nous d'un coté l'homme et de l'autre la nature. Cette remarque prendra toute sa signification lorsque nous présenterons le naturalisme au chapitre VII.

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C'est-à-dire que les interventions ont surtout encouragé l'adoption de "bonnes pratiques à la ferme" (MENV, 2003, p. i).

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173 ministère de l'Agriculture, des Pêches et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ) "encourage[r] des entreprises agricoles qui ne se soucient guère de l'environnement, puisque ses programmes n'ont pas été modifiés afin de tenir compte de la préoccupation d'une protection accrue de l'environnement"336 (UQCN, 2002).

Le concept d'écoconditionnalité337 est introduit dans le secteur de l'agriculture au Québec avec le projet de loi 184 sanctionné en 2001 (Boutin, 2004, p. 6 ; Kasteman et al., 2004, p. 368). L'UPA est d'accord avec le principe d'écoconditionnalité "qui lie une partie des aides financières de l'État à la poursuite d'objectifs environnementaux" (UPA, 2003, p. 53) mais elle en recommande l’application sur une base incitative,338 progressive et assujettie à de l'aide financière de l'État. De plus elle demande que les programmes d'aide financière à l'agriculture existants ne soient pas conditionnels à de nouvelles mesures environnementales339. S'il y a de nouvelles mesures, l'UPA mentionne qu'elles devraient aussi être progressives et conditionnelles à de l'aide financière de l'État (ibid., pp. 53-54).

L'UP dit oui à l'écoconditionnalité mais non à celle en place (UP, 2004, (8), p. 2). Pourquoi ? Parce qu'elle se limite principalement au respect de certains aspects de lois et règlements existants qui, selon l'UP, sont insuffisants. Elle revendique "l'éco- conditionnalité complète" (2004, (5), p. 2), c'est-à-dire que toute aide financière du gouvernement, et non seulement certains programmes d'aide comme Prime-Vert par exemple, soit conditionnelle à des pratiques agricoles durables. Cette conception de l'écoconditionnalité élargie par rapport à celle de l'UPA, rejoint celle de l'UQCN (2002, p. 2). Pour l'UQCN les programmes de soutien à l'agriculture doivent être liés à "un contrat environnemental minimum", c'est-à-dire le respect des lois et

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L’adresse internet du rapport du vérificateur général est :

http://www.vgq.gouv.qc.ca/rappann/rapp_2000/TomeI/Chapitre13A.htm?#2

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Pour une présentation nuancée de ce concept, voir Boutin (2004, pp. 7-8) et le document de l'UQCN cité dans la note précédente.

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Cette approche incitative est aussi privilégiée par le sociologue québécois Bruno Jean (1997, pp. 250-253) car, selon lui, il y a une volonté clairement manifestée depuis 1991 (ibid., p. 188) chez les agriculteurs et à l'UPA (ibid., p. 251) d'entreprendre un virage vers une agriculture plus responsable sur le plan environnemental.

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L'UPA (2003, p. 55) présente en détail les règles qu'elle souhaite voir appliquer pour l'implantation de l'écoconditionnalité.

174 règlements en vigueur. Ensuite "les programmes de soutien à l'agriculture doivent être proactifs, c'est-à-dire inclure des conditions d'accès qui orientent les entreprises agricoles vers des objectifs de préservation de l'environnement qui vont au-delà du cadre légal minimum"340 (idem). Nous verrons plus loin que les programmes de soutien proactifs ne sont pas la règle.

Concrètement l'écoconditionnalité souhaitée par l'UP va dans le sens de celle qui débute en Europe, c'est-à-dire que "l'aide financière est en fonction de leur taille [la taille des fermes] et de leurs pratiques d'agriculture durable, comme les rotations, la gestion des fumiers, l'entretien des bandes riveraines, le bien-être animal, l'accès des animaux à l'extérieur, la préservation des boisés et des milieux humides, la couverture végétale des sols, etc." (UP, 2004, (8), p. 2)341.

Boutin (2004, p. 19) a construit une "Échelle de classification des mesures de soutien à l'agriculture disponible au Québec selon leur effet sur l'environnement". Ses conclusions342 sont les suivantes :1) les "Programmes d'assurance-stabilisation du revenu agricole (ASRA)" sont "dommageables" pour l'environnement ; 2) le "Programme d'assurance-récolte" est "faiblement dommageable" pour l'environnement ; 3) le "Programme canadien de stabilisation du revenu agricole (PCSRA), le "Compte de stabilisation du revenu net (CSRN)", le "Compte de stabilisation du revenu agricole (CSRA)", la "production sous gestion de l'offre" et le "Programme de remboursement des taxes foncières" sont "plutôt neutres" et,

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Cette conception de l'UQCN rejoint la présentation qu'en fait Boutin (2004, p. 7-8). Il écrit que l'écoconditionnalité "lie[r] des programmes de soutien à l'agriculture à des normes environnementales minimales". En outre, il souligne aussi que le principe d'écoconditionnalité implique que les programmes de soutien à l'agriculture incorporent la dimension environnementale. Ailleurs, Boutin (2004, p. 8 note 1) écrit que selon l'OCDE (2004) "un paiement versé pour récompenser l'adoption d'une pratique ou d'une action en faveur de l'environnement ne correspond pas, selon l'OCDE (2004), à l'écoconditionnalité mais plutôt à un "paiement agro-environnemental". Donc si nous suivons bien, lorsque l'aide financière du gouvernement est accordée en fonction d'un programme de soutien à l'agriculture, il s'agit de l'écoconditionnalité, et si cette aide n'est pas inscrite dans un programme de soutien on doit qualifier cette "mesure d'accompagnement" de paiements agro-environnementaux. Le programme Prime-Vert serait donc, selon ce raisonnement, un paiement agro- environnemental.

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Voir aussi UP (2004, (5), p. 2).

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La démarche de l'auteur pour en arriver à cette échelle de classification est développée dans Boutin (2004, pp. 14-19).

175 finalement, 4) les paiements agro-environnementaux comme le programme Prime- Vert343 est "bénéfique".

Les programmes d'assurance-stabilisation (ASRA) sont considérés dommageables pour l'environnement principalement pour deux raisons : "[…] ils encouragent la surproduction puisque les aides versées sont fonction des niveaux de production et parce qu'ils comportent des effets de verrouillage favorisant la spécialisation et/ou des assolements inadéquats" (Boutin, 2004, p. 19). Quant aux programmes d'assurance-récolte ils favorisent les entreprises de grandes tailles en ce sens que les paiements sont fonction de la superficie cultivée et ils peuvent aussi causer "un effet de verrouillage quant à l'usage d'intrants particuliers ou encore être inadaptés pour certains modes de production plus bénéfiques pour l'environnement (ex. : agriculture biologique)" (idem).

En conclusion, l'UPA (2003, pp. 54-55) se dit d'accord avec l'écoconditionnalité en autant que l'approche soit incitative, progressive et qu'il y ait des engagements financiers à long terme des gouvernements. Toutefois il n'y a rien chez l'UPA qui nous permet de croire qu'elle est d'avis qu'à long terme tous les programmes de soutien à l'agriculture devraient être assujettis au concept de l'écoconditionnalité. Finalement, nulle part l'UPA ne considère l'"agriculture intensive à haute productivité" comme étant incompatible avec l'écoconditionnalité. Pour l'UP, l'écoconditonnalité pour être complète, nécessite de remplacer le modèle d'agriculture privilégié par l'UPA par l'agriculture écologique (ou biologique paysanne) bien qu'entre l'écoconditionnalité dans sa forme actuelle et l'écoconditionnalité complète il y ait des degrés. Pour l'UPA c'est principalement par

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Le programme Prime-Vert s'est substitué en 1999 au "Programme d'aide à l'investissement en agroenvironnement (PAIA, 1997) qui avait lui-même remplacé le "Programme d'aide à l'amélioration de la gestion des fumiers (PAAGF, 1988) et a évolué depuis sa création en 1999. Alors qu'en 1999 l'aide financière était principalement pour "la construction de structures d'entreposage" des fumiers et pour le "soutien aux Clubs-conseils en agroenvironnement" (Boutin, 2001, p. 6) en 2002 le volet "Réduction de la pollution diffuse" était ajouté et en 2004 entrait en vigueur le volet "Appui à la stratégie phytosanitaire (Voir Prime-Vert. Programme en vigueur à compter du 1er avril 2004. Publication no 04-0091 (2004-04) Bibliothèque nationale du Québec, ISBN 2-550-42520-0). Pour une critique constructive du programme Prime-Vert en fonction du concept d'écoconditionallité, voir le document de l'UQCN (2002, p. 2).

176 le développement technologique que les externalités environnementales du type d'agriculture qu'elle privilégie seront éliminés ou maîtrisés et non pas en substituant l'agriculture paysanne à l'agriculture intensive à haute productivité. Par exemple, on utilise maintenant du phytase344 dans la moulée des animaux afin de réduire les rejets de phosphore dans les fumiers afin de produire toujours davantage (UP, 2003, pp. 15).