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Chapitre V. Rapport à l'autre

5.1. Le modèle agricole productiviste et l'inégalité des chances

5.1.2. Inégalité des chances entre le gros et le petit producteurs

Selon l'UP, le financement de l'agriculture, ainsi que les lois et règlements favorisent les gros producteurs au détriment des petits.

L'UP désapprouve ce qui est et qui correspond au souhait de l'UPA, à savoir qu'on subventionne sans limite les volumes de production et que, pour avoir droit aux programmes d'aide agricole, il faut produire des "volumes industriels de production" et avoir un minimum de "100 hectares de terre" (UP, 2004, (9), p. 4). Pour l'UP ces choix "condamn[ent] à l'avance les fermes familiales"249, c'est-à-dire les petites fermes, "à ne pouvoir faire face à la compétition" (idem). Que les grosses exploitations soient privilégiées est aussi reconnu par l'UPA. Elle affirme que le

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Ici il s'agit bien sûr de la relève et plus généralement de nouveaux agriculteurs.

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Ici le "domaine donné" correspond à une "production agricole donnée".

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Une ferme familiale pour l'UP est la ferme paysanne. Il s'agit comme nous l'avons d'une ferme dont la taille maximale et les revenus sont relativement petits.

130 programme d'assurance stabilisation des revenus (ASRA) est "établi sur la base du coût de production d'un segment efficace250 du secteur visé" (UPA, 2003, p. 32). Avec de gros volumes, les grosses exploitations sont favorisées car elles réussissent à produire à un moindre coût. Mais ceci étant dit, l'UP mentionne par la voix de Bouchard (2002, p. 95) que toutes les études démontrent que "plus la ferme est industrielle […] moins ses marges de profit sont grandes". Ailleurs, l'UP mentionne que le financement actuel par la Financière agricole du Québec (FADQ) favorise l'agriculture productiviste au détriment d'une agriculture paysanne251 (Bouchard, 2002, p. 94). Pour l'UP ceci n'a rien de surprenant car l'UPA "détient en pratique le contrôle de la Financière agricole, dont 80 pour cent des fonds sont publics" (2003, (0), p. 5). Il s'agit d'"une banque publique qui est devenue banque privée de l'UPA […]" ajoute l'UP (2003, (3), p. 3). Kesteman et al. (2004, p. 392), sans affirmer une telle chose, mentionnent, d'une part, que le conseil d'administration de la FADQ est composé de onze individus "dont cinq choisis par l'UPA" et, d'autre part, que l'UPA est consultéepar le gouvernement pour le choix du président-directeur général.

Pour corriger cette situation, l'UP revendique un "soutien direct à la ferme plutôt qu'à la production, et à la ferme à dimension humaine qui adopte des pratiques écologiques plutôt qu'à la ferme industrielle" (2004, (4), p. 2). Pour l'UP, il faut "[a]bandonner ou diminuer les subventions à la production, et donc aux prix que reçoit l'agriculteur pour ses volumes de production, et les remplacer par une aide directe à l'agriculteur, conditionnelle à la taille et aux pratiques de la ferme"252 (idem). Il faut ici souligner que pour l'UP, il ne s'agit donc pas de privilégier les "petites" fermes. Il s'agit bien sûr d'une condition nécessaire mais elle n'est pas suffisante. "Dans ce sens, écrit l'UP, l'agriculteur n'est plus seulement un

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Par efficace on entend seulement celui qui produit au coût le plus bas sans tenir compte de la marge des profits et des coûts des "externalités" environnementales et sociaux- économiques.

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Pour la répartition de l'aide gouvernementale en fonction du chiffre d'affaires, Bouchard (2002, pp. 95-96) présente des données du ministère de l'Agriculture.

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Bouchard (2002, p. 104) souligne que le financement doit considérer "la taille de la ferme, du taux de main-d'œuvre qu'elle utilise, de la valeur ajoutée, des méthodes de culture et d'élevage, du bien-être animal, de l'usage des produits de synthèse et de l'énergie, du type de gestion des fumiers, de la protection des écosystèmes, des boisés, des paysages, etc.".

131 entrepreneur : il exerce une activité économique d'intérêt général, il fournit un service collectif. Il est rémunéré autant pour sa fonction sociale d'entretien et d'occupation du territoire que pour sa fonction économique de pourvoyeur de nourriture. Il n'est pas plus subventionné qu'avant, mais il l'est autrement"253 (idem). Ce type de financement revendiqué par l'UP correspond au "principe de modulation dégressive des aides de l'État à l'agriculture ou le principe de rémunération de la multifonctionnalité de l'agriculture" adopté par les pays européens (Bouchard, 2002, pp. 96-97). Conséquemment "la ferme familiale qui adopte des pratiques agricoles respectueuses de l'environnement et profitables à la communauté a droit au maximum de l'aide ; par contre, les prestations diminuent à mesure que la taille et les coûts environnementaux et sociaux de l'entreprise augmentent. La ferme industrielle ne reçoit plus d'aide de l'État : elle est considérée comme une industrie et relève du ministère de l'Industrie" (idem).

Selon l'UP, l'égalité des chances est donc principalement entre les gros producteurs agricoles en ce qui a trait aux "programmes de soutien" ("sécurité du revenu" et "financement agricole")254 aux agriculteurs. Autrement dit, les programmes d'aide sont "ferm[és] plus ou moins complètement à ces "étrangers", c'est-à-dire la ferme de petite taille mais "les chances […] reste[nt] "ouvertes" entre les membres de cette communauté" (Weber, 1995b, p. 56), c'est-à-dire plus exactement entre les gros exploitants agricoles.

L'UPA défend le mode de financement actuel (2003, p. 32). Premièrement, elle écrit au sujet des régimes d'assurance-stabilisation des revenus (ASRA) "que certains des éléments du coût de production ne sont pas couverts par le programme" (idem). Deuxièmement, elle souligne "que le producteur assume le tiers du risque supporté par ce programme d'assurance par le biais d'une prime qu'il doit verser" (idem). Mais il faut ajouter que ceci est également vrai pour le plus petit. Donc le problème posé par l'UP reste entier.

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"D'ailleurs, les montants globaux consacrés à l'agriculture en Suisse, sous le nouveau régime, ont diminué" (2004, (4), p. 2). L'UP souligne que la Suisse (voir sa réforme de 1996) et dans une moindre mesure la Communauté européenne, vont dans ce sens.

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L'UPA distingue deux types de "programmes de soutien" : "la sécurité du revenu" et "le financement agricole" (2003, pp. 32-34).

132 Par ailleurs, dans son mémoire sur la production porcine, l'UPA (2003, p. 32) précise que les programmes de "sécurité du revenu" et de "financement agricole" permettent, d'une part, "de ralentir la concentration des entreprises" (ibid., p. 33) et, d'autre part, ils "favorise[nt] l'autonomie des producteurs" (ibid., p. 34). Mais elle mentionne aussi qu'un programme de soutien des revenus comme l'assurance- stabilisation des revenus (ASRA) profite au plus gros parce que "les compensations de l'ASRA sont basées sur le nombre d'unités produites" ce qui se traduit par "une concentration de ces aides" (ibid., p. 33). C'est ce que démontrent les statistiques : 23% des aides versées en vertu du programme ASRA pour la production porcine vont à seulement 0.8% des producteurs ou encore 44% de cette aide est remise à seulement 6.4% des producteurs (Boutin, 2004, p. 21). Et comme l'écrit Boutin, l'OCDE (2002) note que "les mesures de soutien à l'agriculture n'ont pas permis d'établir l'équité recherchée dans la répartition du revenu agricole et [qu']elles bénéficient davantage aux entreprises agricoles les plus grandes255, et souvent les plus prospères, qui n'ont généralement pas besoin d'être soutenues" (ibid., p. 20). Qu'en est-il maintenant de la position de l'UP vis-à-vis de la loi sur la protection du territoire agricole et la problématique de la relève agricole ? Maxime Laplante, président actuel de l'UP, souligne que "la Loi sur la protection du territoire agricole du Québec n'autorise le morcellement des terres que si l'agriculture est l'activité principale des propriétaires. Ceux qui démarrent à temps partiel ne peuvent donc pas acquérir une portion d'une terre déjà existante"256(Bouchard, 2002, pp. 202- 203). Nous pouvons également lire que pour l'UP, "le seul usage agricole conforme à la loi est la pratique de l'agriculture comme activité principale sur un espace minimal de 100 hectares ce qui exclut en pratique l'agriculture à temps partiel et

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Par ailleurs, Boutin (2004, p. 21) mentionne que de l'aide financière est "versée à des agents économiques en amont ou en aval de la production (fournisseurs d'intrants, détenteurs de ressources, etc.)". L'auteur (Boutin, 2004, p. 23) reprend la citation du BAPE sur le dossier de la production porcine : "La Commission recommande que tout programme de soutien du revenu des agriculteurs […] cible des personnes qui travaillent dans une ferme familiale ou à dimension humaine, c'est-à-dire une entreprise qui nécessite le travail d'au plus quatre personnes; [...] ne soit accessibles qu'aux personnes physiques, même dans le cas de personnes qui exercent des activités en agriculture par l'intermédiaire d'une personne morale" (BAPE 2003, recommandations 26 et 27 p. 154).

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Bouchard (2002, p. 88) écrit : "Un fermier à temps partiel n'a pas le droit d'acheter une partie d'une autre ferme ni de construire sa maison sur sa propriété. Ce sont des privilèges laissés aux agriculteurs à temps plein".

133 l'agriculture de proximité" (2004, (6), p. 8). Toutefois, l'UP mentionne que la CPTAQ peut accepter la construction de résidences, fermes et entreprises paysannes sur des terres de 100 hectares et moins si l'agriculture est l'activité principale (idem). On souligne aussi que "[l]a Commission refuse également la construction de résidences sur des superficies de moins de 40 hectares257 (plus ou moins, au gré de la Commission) pour des projets de petites fermes sylvicoles, maraîchères ou d'élevages spécialisés, sous prétexte que ce ne sont pas des projets viables" (idem). En somme pour l’UP la loi sur la protection du territoire agricole rend l’achat d’une ferme difficile pour la relève, d’une part parce que la dimension minimale de la terre implique nécessairement un côut élevé et, d’autre part parce qu’elle est trop

restrictive en exigeant que l’agriculture soit l’activité principale.

5.1.3. Inégalité des chances entre les praticiens d'une agriculture