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Chapitre V. Rapport à l'autre

5.2. La démocratie dans les municipalités rurales agricoles

5.2.1. Cohabitation sociale et "vitalisme" dans les municipalités

Dans une étude intitulée Cohabitation en milieu rural : bilan et perspectives, Aubin et Forget (2001, pp. 17-28) présentent le concept d'"acceptabilité sociale" qu'ils considèrent comme l'une des quatre composantes266 d'un développement durable de l'agriculture267 (ibid., p. 13). Ce concept, écrivent les auteurs, est "central au principe de cohabitation harmonieuse" (idem). L'acceptabilité sociale dans la conception de ces auteurs est fonction : 1) de "la nature du projet"; 2) de "la participation publique"; 3) des "arrangements institutionnels" et 4) de la "cohésion

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Les trois autres composantes étant "l'économie, l'agronomie et l'environnement".

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Ces quatre composantes sont déduites de la définition du développement durable donnée par l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Elle se lit comme suit : "Le développement durable de l'agriculture doit préserver la terre, l'eau et les ressources végétales et animales, ne pas dégrader l'environnement, et être techniquement approprié, économiquement viable et socialement acceptable" (Cette citation est en italique et entre guillemet dans le texte mais aucune référence n'est donnée par Aubin et Forget (2001, p. 13).

139 sociale" relative au "contrat social". Laissons de côté la "nature du projet268" qui de toute évidence est une dimension importante de l'acceptabilité ou de la non acceptabilité sociale d'un projet. On peut facilement imaginer que l'acceptabilité sociale sera plus facile et plus grande selon que le projet est plus petit et selon le type de productions.

Pour l'UP, nous l'avons vu, les "arrangements institutionnels" entendus comme "les lois et règlements" (Aubin et Forget, 2001, p. 19) ainsi que les "formes d'organisations"269 responsables de les maintenir et de les appliquer (par exemples : MAPAQ, CPTAQ, CCA, UPA, etc.)270 favorisent les exploitants agricoles au détriment des autres citoyens et plus généralement d'institutions administratives et politiques telles les municipalités et les MRC. Ces "arrangements institutionnels", selon l'UP, ne permettent pas une véritable participation publique parce que les élus, c'est-à-dire les représentants des citoyens n'ont rien à dire quant à la nature d'un projet agricole acceptable tout comme son acceptabilité. Il est donc impossible d'affirmer que les décisions relatives à l'aménagement du territoire agricole sont le produit d'un "contrat social" lorsque les citoyens et/ou leur représentants sont tenus à l'écart du processus de décision. On peut donc comprendre pourquoi la cohabitation sociale entre les agriculteurs et l'autre est difficile et souvent conflictuelle.

Pour l'UP, la solution à la cohabitation sociale et à la vitalisation du territoire rural "passe[nt] […] par l'aménagement intégré du territoire sous la direction des MRC" (2004, ( 6), p. 9). Dans l'article Le territoire agricole : le protéger et l'habiter elle reprend cette idée d'un aménagement intégré du territoire. Elle mentionne que la Loi

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Présentement les projets de porcherie font l'objet de beaucoup d'objections. En effet, on peut s'attendre à ce qu'un projet d'une méga-porcherie serait moins acceptable socialement que la construction d'un clapier par exemple. Les auteurs "opérationnalisent" la dimension "Nature du projet" par les trois variables suivantes : "Emplacement des nouveaux projets"; "technologies utilisées" et "type de propriété" (Aubin et Forget 2001a, p. 13).

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Aubin et Forget (2001a, p. 8) distinguent entre organismes ou formes d'organisations (MENV, le MAPAQ, UPA, etc.) et les mécanismes (CCA, conseils municipaux, conseils de la MRC, etc.)

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Il s’agit dans l’ordre du ministère de l’Agriculture des pêches et de l’alimentation du Québec (MAPAQ), de la Commission pour la protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) et des Comités consultatifs agricoles (CCA).

140 sur la protection du territoire et des activités agricoles (LPTAA) "devrait peut-être être rebaptisée «Loi sur la protection des terres agricoles, l'aménagement et l'occupation du territoire rural»" (idem) avec les modifications nécessaires pour correspondre à ce qui est entendu par ce nouveau titre de loi. Pour cette raison, l'UP est critique à l'endroit du gouvernement et de sa "Politique de la ruralité" adoptée en 1999. "Peut-on parler, écrit-elle, de politique de la ruralité sans parler de politique d'occupation du territoire et de politique agricole d'occupation du territoire ?" (2003, (2), p. 2).

Dans son mémoire sur la production porcine (2003), l'UPA écrit que la loi 23, Loi modifiant la Loi sur la protection du territoire agricole et d'autres dispositions législatives afin de favoriser la protection des activités agricoles, entrée en vigueur en 1997, et que la loi 184, sanctionnée le 21 juin 2001, qui modifiait la loi 23, "découlent principalement de la nécessité de concilier les objectifs de développement de l'agriculture avec ceux d'une cohabitation harmonieuse des différents usages en zone agricole" (UPA, 2003, p. 59). Mais comme le titre de la loi l'indique, à la protection du territoire agricole s'ajoute maintenant la protection des activités agricoles. L'UPA (ibid., p. 60) souligne que la Loi sur la protection du territoire agricole (1978) avait comme principal objectif de protéger "des superficies cultivables" et qu'il était maintenant nécessaire "de faire reconnaître la priorité aux activités agricoles en zone verte et d'y établir des règles de cohabitation claires". L'adoption du projet de loi 23 en est la résultante. Et elle ajoute : "[l]es dispositions mises en place par la loi 184 et les orientations gouvernementales révisées en 2001271, constituent une base intéressante favorisant une cohabitation harmonieuse permettant de rétablir une paix sociale en milieu rural" (ibid., p. 64).

Mais comment "rétablir une paix sociale en milieu rural" lorsque l'UPA reconnaît, d'une part, que la loi accorde "la priorité aux activités agricoles" et, d'autre part, qu'"au cours des années, le lien entre les agriculteurs et les citoyens s'est effrité,

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L'UPA fait référence au document du Gouvernement du Québec (ISBN : 2-550-38634-5) intitulé Les orientations du gouvernement en matière d'aménagement. La protection du territoire et des activités agricoles. Document complémentaire révisé. Décembre 2001. Ce document remplace en même temps que l'adoption du projet de loi 23 le document daté, juin 1997 et portant le même titre.

141 tous ces gens n'ayant presque plus l'occasion de se côtoyer" ? (ibid., p. 68). Sans y répondre directement, l'UPA écrit néanmoins que "certains consensus" existent "entre les intervenants des milieux agricole, municipal et environnemental" (ibid., p. 60) : "la reconnaissance du caractère permanent de la zone agricole; la priorité à l'agriculture en zone agricole; la nécessité de concilier les objectifs de protection du territoire et le développement des activités agricoles avec ceux de la coexistence harmonieuse des usages agricoles et non agricoles" (idem).

L'UP ne remet pas en question ce consensus. Mais elle affirme que dans les faits la zone agricole demeure encore trop fermée aux usages non agricoles ou encore aux usages agricoles à petite échelle et/ou à temps partiel (2004, (6), p. 11; 2004, (7), pp. 2-3). Elle écrit que "la politique rigide de la CPTAQ contribue depuis 25 ans à vider le territoire au profit de l'agriculture industrielle" (UP, 2003/2004, (4), p. 14). Dans un article intitulé "Le territoire agricole : le protéger et l'habiter" (2004, (6), pp. 8-9), l'UP affirme qu'entre 1996-2001 il y a eu "[a]u total, à la campagne, 5132 hectares272 […] exclus de la zone agricole", ce qui représente "l'équivalent de la ville d'Alma". Autrement dit, ceci "veut dire en moyenne 10 maisons et 10 hectares (25 arpents) par année dans chaque MRC" (idem). Et de conclure : "[c]e n'est sûrement pas à ce rythme qu'on risque d'urbaniser la campagne ni de freiner la désertification et le dépeuplement" (idem). Les résultats d'un sondage par questionnaire effectué auprès des maires de 393 municipalités du Québec laissent entendre que la situation, en région principalement, ne s'est guère améliorée et que la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles contribue aux difficultés socio- économiques. Bien que les municipalités ne remettent pas en cause la nécessité d'une telle loi la majorité des municipalités souhaitent son assouplissement273 (UP, 2003/2004, (4), p. 14).

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À la page 66 de son mémoire sur la production porcine datée du 4 avril 2003, l'UPA mentionne qu'"au cours des cinq dernières années, ce sont quelque 6 892 hectares de terres agricoles qui ont été retirées à l'agriculture". Conséquemment, la période couverte par l'UPA est sans doute celle de 1998-2003. Ceci explique sans doute la différence entre les chiffres des deux groupes.

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Au sujet de cette étude, voir dans www.la-vie-rurale les deux articles suivants : "Les municipalités rurales estiment que la Loi sur la protection du territoire agricole cause des problèmes à leur développement socio-économique" (21 juin 2006) et "Lettre aux maires et conseillers des municipalités du Québec. Des changements doivent être effectués à la loi de la protection du territoire agricole" (23 juin 2006). Ceci étant dit, il est intéressant de lire ce

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L'UP souligne que l’on doit distinguer entre différentes zones agricoles : zone périphérique et zone péri-urbaine274 (2004 (7), p. 2). Par ailleurs, selon l'UP, la loi doit être amendée afin de "protéger efficacement la zone agricole dynamique tout en ouvrant les zones à faible potentiel agricole […] à la résidence et aux projets agricoles à petite échelle" (2004, (6), p. 2). L'UPA écrit "sans nier la nécessité de maintenir également une population autre qu'agricole dans les collectivités rurales, nous estimons qu'il est préférable de «prioriser» le regroupement des fonctions résidentielles dans les noyaux villageois et non pas favoriser leur éparpillement en zone agricole" (idem).

Des modifications à la loi doivent être apportées selon l’UP, afin de favoriser et de faciliter l'établissement d'une population diversifiée socio-économiquement et culturellement dans ces zones périphériques. L'idée est simple il s'agit d'adapter la loi pour favoriser le développement socio-culturel et économique des régions. L'UP croit que la loi actuelle contribue à faire l'inverse (UP, mars 2004)275; néanmoins elle estime qu'il semble se dessiner une nouvelle approche à la CPTAQ qui s'inscrit dans le sens qu’elle souhaite l'UP (2004, (6), pp. 8-9). Il s'agit d'une approche territoriale

que la CPTAQ écrivait dans son "Rapport annuel de gestion / 2004-2005". "En région, les attentes sont toujours aussi élevées et pressantes quant à l'application de la loi, qui se doit être davantage adaptée aux particularités du milieu. Pourtant, les résultats des décisions de la Commission dans ces milieux sont éloquents et démontrent bien qu'elle prend en considération les problématiques collectives de ces régions. À titre d'exemple, la Commission a accueilli favorablement au cours de la dernière année 94 % des demandes visant l'implantation d'usages industriels, commerciaux ou récréotouristiques provenant des sept régions ressources. Pour la Commission, il est évident que les critiques adressées à l'égard de l'application de la loi concernent presque exclusivement les usages résidentiels en zone agricole" (p. X). La commission indique dans le paragraphe suivant que les municipalités sous-utilisent l'article 59 de la loi pour les "demandes à portée collective" tel que des projets de développement résidentiels. Il faut entendre par ces propos que la CPTAQ encourage les municipalités à utiliser cette procédure si elle souhaite plus de développement résidentiel sur son territoire. Nous allons voir plus loin que cette disposition de la loi d'une part concerne des demandes collectives et non individuelles et que les demandes faites en vertu de l'article 59 ne peuvent être autorisées par la commission sans recevoir l'aval de l'UPA.

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Jean (1991, p. 87) distingue trois types de zones rurales : les "zones rurales périurbaines" à distinguer des deux autres types d'espaces ruraux : "les zones intermédiaires et les zones rurales périphériques".

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Voir notamment : 1) le Reportage de l'UP intitulé "Kingsey-Falls. Vivre à la campagne hors du noyau urbain et sans nuire à l'agriculture" (2004, (6), p. 11) et 2) "Le territoire agricole : le protéger et l'habiter" (2004, (6), p. 8 plus particulièrement).

143 où la zone agricole est désignée soit "affectation agricole" soit "affectation agroforestière". Dans cette dernière, les conditions d'acceptation seraient plus favorables aux demandes pour des projets résidentiels "et pour des projets agricoles et forestiers extensifs" (ibid., p. 9).

Quant à l'UPA, elle est d'avis que la LPTAA "a grandement contribué au maintien et à la survie de plusieurs communautés rurales" (2003, p. 65). L'UPA souligne qu'en l'an 2000 au moins 11% de l'emploi en région "était attribuable au secteur agricole" dans 10 des 17 régions administratives du Québec (idem). Il faut toutefois souligner que le sociologue québécois Bruno Jean (1991, p. 88) écrivait en 1991 que dans les zones périphériques, "la rationalisation de l'agriculture et des activités forestières n'a pas été compensée par l'arrivée de nouvelles activités, de sorte qu'on a assisté à un fort déclin, qui se poursuit toujours, de ces communautés rurales". L'UPA ajoute aussi que l'agriculture "joue un rôle important dans l'aménagement et l'entretien des paysages" (2003, p. 65) et que ceci constitue "un atout favorable pour le développement de l'offre touristique des régions; on n'a qu'à penser à l'intérêt grandissant de la population pour les activités récréotouristiques en milieu rural de même que l'engouement pour les produits agrotouristiques ou les produits de terroir" (idem).

Pour l'UP, l'agriculture productiviste ainsi que les lois et règlements qui favorisent ce type d'agriculture contribuent, quoi qu’en dise l'UPA, à la destruction des paysages et de l'environnement, à la dévitalisation des campagnes et à une cohabitation difficile entre les exploitants agricoles et les autres citoyens (UP, 2004, (6), pp. 8-9; 2004, (7), pp. 2-3). Dans son rapport intitulé Analyse comparative des réglementations environnementales concernant les productions animales et position relative du Québec (2004), Debailleul (2004, p. 195) écrit : "[…] pour le moment il ne s'est pas dessiné dans la dynamique réglementaire québécoise, à l'instar de ce que l'on peut observer par exemple au Danemark, le souci d'intégrer des préoccupations environnementales et des préoccupations sociales, souci qui permettrait de dessiner le contour d'une agriculture durable au Québec". Par ailleurs, comme l'écrit la professeure Diane Parent, "la construction d'un nouveau contrat social entre l'agriculture et son territoire ne peut se faire sans une reconnaissance des multiples

144 fonctions de l'agriculture qui vont de la production de denrées au maintien et à la création d'emplois en passant [par] la protection et le renouvellement des paysages et des ressources" (Parent, 2003, p. 1). Elle ajoute : "[d]ans certaines régions plus éloignées des grands centres on constate un développement agricole qui va de pair avec un sous-développement des régions" (ibid., p. 2.) Pour ces auteurs et l'UP, le modèle agricole dominant et valorisé au Québec n'assure pas la multifonctionnalité de l'agriculture, qui seule peut garantir, entre autres, une cohabitation sociale harmonieuse et la vitalisation des territoires ruraux périphériques.

5.2.2. L'agriculture de proximité comme solution au développement des