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Chapitre V. Rapport à l'autre

5.2. La démocratie dans les municipalités rurales agricoles

5.2.2. L'agriculture de proximité comme solution au

L'agriculture de proximité qui constitue une dimension de l'agriculture paysanne a plusieurs fonctions intrinsèquement inter-reliées. Elle a une fonction alimentaire : en produisant pour nourrir principalement sa population, c'est-à-dire la population locale. Elle a une fonction écologique : en réduisant les impacts environnementaux indésirables liés aux transports sur de longue distance des produits agricoles frais et transformés. Elle a une fonction politique : en favorisant la création de municipalités et de régions relativement autonome par rapport à la "société englobante". Finalement, elle a une fonction économique. Elle a l'ambition de pouvoir créer et garder des emplois diversifiés dans la région et ainsi de favoriser, entre autres, un dynamisme économique local et régional.

Dans l’article "Plaidoyer en faveur du tissu commercial de proximité" (UP, 2003/2004, (4), p. 4), l'UP donne l'exemple des conséquences d'une agriculture intégrée à un secteur agroalimentaire capitaliste. Elle écrit : "[…] le lait produit au Saguenay/Lac-Saint-Jean est transformé dans la grande ceinture de Montréal pour être revendu à la mère de famille de Péribonka" (idem). Cet exemple a pour but de souligner comment l'idéologie agro-alimentaire dominante contribue notamment à la perte d'une "culture alimentaire locale", à la dévitalisation des régions et des municipalités et à la pollution et à la détérioration de l'environnement.

145 L'agriculture de proximité souhaitée par l'UP implique un certain degré d'autonomie politique et économique des municipalités et des régions par rapport à l'État. En ce sens, cette agriculture implique un type de société qui n'est pas étranger à la société paysanne présentée par Mendras (1995, p. 14). Les "économies paysannes" sont intégrées à une "économie englobante" bien que l'indépendance relative de celle-là par rapport à celle-ci soit grande (ibid., pp. 38-39, 41). Mendras (ibid., p. 38) souligne que l'agriculture paysanne comme l'agriculture du "sauvage" sont des agricultures d'autosubsistance, cependant dans la société paysanne "le paysan produit aussi pour un marché englobant, et ceci le distingue du «primitif»". L'agriculture paysanne de l'UP n'est pas une agriculture d'autosubsistance; il s'agit d'une agriculture marchande dont le principal marché se veut local-régional et non pas national et/ou international. Il faut donc favoriser un aménagement et un développement du territoire permettant la vitalisation des régions périphériques et favoriser l'implantation de fermes paysannes pour nourrir principalement cette population locale. C'est la raison pour laquelle l'UP demande de modifier et de rebaptiser la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles.

Il y a chez l'UP ce désir d'autarcie et d'autonomie relatives d'un territoire donné. L'UP souligne la nécessité d’assurer la souveraineté alimentaire des pays. Nous avons également constaté qu'elle désire une certaine forme de souveraineté alimentaire à une échelle territoriale plus petite (que ce soit au niveau de la région, de la MRC ou de la municipalité). Ceci étant dit, l'UP est un acteur collectif d'aujourd'hui, c'est-à- dire qu'elle et son utopie s'inscrivent dans l’imaginaire social de la société d'aujourd'hui. Conséquemment, bien qu'elle favorise une plus grande autonomie politique et économique du local, elle affirme néanmoins ceci : "On doit pouvoir s'ouvrir au monde sans pour autant sacrifier son pays, ses appartenances, son agriculture locale, son identité, sans devenir apatride" (2003, (2), p. 2).

Quelle est alors la position de l'UP au regard d’une agriculture d'exportation hors pays se distinguant d'une agriculture d'exportation hors province et/ou hors région ? L'ex-président de l'UP écrit que l'ouverture des marchés pour "les produits agricoles constitue une menace pour les agricultures locales et entraîne rapidement la prolétarisation des agriculteurs et l'exode rural" (Bouchard, 2002, pp. 163-164).

146 Ailleurs, la position de l'UP est plus nuancée tout en étant clairement exprimée. Dans le document Notes complémentaires au Mémoire présenté au BAPE par l'Union paysanne le 4 mars 2003, l'UP (p.3) écrit "[n]ous ne sommes pas contre l'exportation des produits agricoles […], nous sommes opposés à ce que les produits agricoles fassent partie d'ententes de libre échange qui interdisent à un pays de protéger son agriculture locale et sa souveraineté alimentaire […], nous sommes opposés aux subventions à l'exportation qui favorisent le dumping […]. Nous sommes également opposés à ce que l'on fasse de l'exportation le but premier de l'agriculture et de nos politiques agricoles […]".

Pour l'UP "le marché intérieur comme priorité" s'inscrit dans une logique de souveraineté alimentaire et non d'une politique agricole basée sur l'exportation. Elle souligne qu'il s'agit du sens de la critique de la Confédération paysanne à la nouvelle politique agricole proposée par la Communauté européenne. La Confédération réclame "une politique agricole non plus basée sur l'exportation et les bas prix du cours mondial, mais sur la souveraineté alimentaire pour chaque grand groupe de pays (Marie-Hélène Chancelier,secrétaire générale de la Confédération paysanne)" (2003/2004, (4), p. 2). L'UP défend cette position car "[l]'agriculture locale et la souveraineté alimentaire reculent devant le dumping276 des produits alimentaires étrangers à bas prix, au profit des objectifs d'exportation" (ibid., p. 3).

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Le rapport d'Oxfam dénonce le dumping de produits de l'agriculture des pays riches dans les pays pauvres (voir l’article de Marc Thibodeau dans le journal La Presse, 12 avril 2005, p. A-19). On y dénonce notamment le dumping d'un produit comme le riz par les États-Unis, c'est-à-dire que des pays sont inondées par le riz des producteurs américains subventionnés et vendus en plus en deçà du coût réel de production. La principale conséquence est l'impact dévastateur pour l'agriculture et les agriculteurs des pays touchés par le dumping. Pour cette raison, Oxfam demande "de soustraire du processus de libéralisation les denrées les plus sensibles pour la population" pour assurer la sécurité et la souveraineté alimentaire du pays (idem). L'UPA demande elle aussi de soustraire certains produits du processus de libéralisation. Ces productions consistent en celles qui font l'objet d'un plan conjoint et d'une mise en marché collective. Soulignons que l'UP (2004, (1a), p. 5) écrit qu'"[u]ne étude américaine a démontré que le rôle que jouent les subventions dans le dumping et les bas prix n'est pas si important qu'on le croit. La seule façon de couper le dumping et de maintenir les prix est de contrôler la surproduction par diverses mesures". Autrement dit, les subventions à l'agriculture ne créent pas de problème de dumping d'une part, et des bas prix d'autre part, s'il y a des mesures protectionnistes assurant la souveraineté alimentaire nationale et si les subventions ne servent pas à financer la production destinée à l'exportation.

147 Le protectionnisme caractérise donc l'utopie de l'UP. La défense du principe de souveraineté alimentaire est la manifestation de la volonté de laisser à chaque pays notamment, la possibilité de choisir ce qu'il veule produire, combien il veule en produire et comment il veule le produire. L'UP rejette l'idée de laisser le marché capitaliste décider et déterminer ce que doit être l'agriculture sur la seule base des profits des actionnaires. L'agriculture de proximité s'inscrit dans le même fondement logique que la défense du principe de souveraineté alimentaire de chaque pays. On retrouve ici aussi cette idée que chaque territoire (municipalité, MRC, région) a le droit d'exister, de se développer et de décider.

L'ex-président de l'UP, Roméo Bouchard (2002, p. 24) intitule une sous-section de son livre, "l'agriculture de l'avenir" qui doit être compris comme ce que l'UP désire comme agriculture. "L'agriculture doit redevenir paysanne, en ce sens qu'elle doit nourrir la population et dynamiser le territoire où elle s'exerce277, plutôt que le dévaster par ses fermes-usines et ses monocultures. Elle doit, par ses produits et ses activités diversifiées, accessibles localement, créer une culture alimentaire locale, aménager le territoire, entretenir le paysage et l'environnement, animer et humaniser le milieu" (ibid., p. 25). Cette agriculture de proximité implique donc le rejet de l'agriculture productiviste et des oligopoles dans le secteur agroalimentaire, car ils nuisent ou empêchent la réalisation de "l'agriculture de l'avenir".

Il est facile de démontrer qu'une agriculture de proximité est condamnée d'avance à l'échec dans plusieurs régions du Québec. Il est difficile de concevoir que l'agriculture paysanne puisse être rentable et même possible si elle n'est pas près des centres urbains ou près d'un gros bassin de consommateurs. L'UP ne le nie pas

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Qu'en est-il du local et du régional dans l'utopie de l'UP ? Dans son manifeste, l'Union Paysanne souligne que l'agriculture paysanne "privilégie" : "l'économie locale", la transformation et la vente à la ferme; "la mise en marché locale". Même chose dans les Orientations pour l'interprétation de la déclaration de principe. L'agriculture paysanne est associée au territoire local. Dans sa "Déclaration de principe" l'agriculture paysanne est une fois de plus associée au développement local. Toutefois, à un endroit, on introduit le terme région. Selon Lévesque et Mager (1992, p. 19) nous assistons dans les années 1980 à "la redécouverte du local alors que les années 60 avaient été, entre autres, celles du régional". Ajoutons que ces auteurs indiquent que ce phénomène n'est pas seulement un phénomène québécois mais qu'il s'observe ailleurs (ibid., p. 19). Les auteurs distinguent trois approches

148 et c'est pour cette raison qu'elle presse le gouvernement de prendre les mesures nécessaires (par exemples plus de souplesse de la CPTAQ ; rebaptiser et amender la LPTAA ; avoir une véritable politique de la ruralité; favoriser l'égalité politique en territoire rural, etc.) pour favoriser le développement des régions périphériques et des municipalités afin que ce qu'elle qualifie d'"agriculture de l'avenir" soit possible.