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Soleil instable

Dans le document Saisons de l’esprit (Page 31-35)

9 mars 1928

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Le soleil bondit maintenant vers l'équateur, avec une vitesse chaque jour croissante. Loin déjà est l'hiver dormant ; loin encore est l'été dormant ; saisons où le soleil s'attarde. Chaque jour maintenant je l'aperçois plus haut que je n'attendais, étendant de plus en plus vers le nord la courbe de son cou-cher. Chaque jour me paraît une saison nouvelle, et je me moque de ces flocons de givre, et de ce vent d'est. Rien ne dure, rien n'est stable en ces jours de mars. Nous sommes dans la saison rompue. Les changements du soleil, qui nous crible chaque jour sous un angle plus ouvert, brassent les airs et les eaux ; le froid annonce le chaud, le chaud annonce le froid ; le bleu se voile ; le nuage se fond ; la giboulée ruisselle comme de l'or. Vous remarquez là-dessus qu'il n'y a point de giboulée ; mais cela même annonce la giboulée. Les temps d'équinoxe sont capricieux, violents, tapageurs. Effet de ce soleil instable ; c'est aux environs de l’équateur, qui est sa position moyenne, qu'il court le plus vite, comme s'il n'y pouvait rester. Remarquez qu'un pendule qui se balance ne va jamais si vite que quand il passe par sa position moyenne, qui est la verticale. Cette image nous aide à comprendre ces puissants coups de râteau dans les nuages, et toutes ces répercussions et déceptions qui font que le printemps est si prompt, si assuré et si trompeur.

La terre est chauffée soudain ; l’air vibre et monte ; appel du vent ; l’air plus lourd, l’air froid accourt des plaine continentales. Mélange, comme on voit au-dessus de la marmite L’air chaud et l’air froid en volutes, et des surfaces nuageuses à leurs limites. Ainsi des nappes de nuages s’enroulent, se déplient, se replient. Ce sont des pluies aériennes d’abord, bientôt fondues ; puis elles s’alourdissent et tombent jusqu’à nous. C’est ainsi que le même soleil fait beau temps et pluie, chaud et froid, par cette cause principalement que le soleil chauffe la terre et que la terre chauffe l’air.

Autre perturbation bientôt ; les glaces du nord fondent et se disloquent ; les courants marins nous les apportent ; la mer fait ainsi comme un autre vent.

Nous n’avons pas fini d’accuser ce soleil trompeur, qui ne trompe point. Un vieux proverbe dit, et le poète redit : « Qui osera dire que le soleil ment ? » Cette manière de dire, qui étonne d’abord, s’explique par nos printemps batailleurs.

Qui ne remarque la même inégalité et le même grain de folie dans nos fêtes ? Nous avons vu Carnaval, la fête qui se moque, qui met un masque, qui tire la langue. La Mi-Carême redouble cette moquerie gaie, pudeur de l’espérance. Le fait est qu’il y a du ridicule dans ce ciel ; ce n’est pas encore le temps de fêter Dieu. Nous remarquons que les anciens peuples, en leurs fêtes, en leurs danses, en leurs cérémonies, naïvement et scrupuleusement imitent les astres et les saisons ; mais nous ne remarquons point que nous faisons de même. Sur la mode des confettis, quelque historien dans mille ans d’ici remarquera qu’elle imite la giboulée de neige, et cet effet de surprise et de comique indignation de celui qui reçoit ce compliment au nez. Offense qui fait rire ; sentiments travestis ; mensonge du mensonge ; feintes de joie et de peine ; tel est le cœur printanier. Bien loin de cette confiance, de ce cortège de l’été, où l’on marche sur les fleurs ; bien loin de cette autre confiance, confiance d’hiver, confiance de Noël. Ainsi nous sommes moucherons, arbres, fleurs, oiseaux, bien plus que nous ne croyons. Mais soyez assurés que les anciens peuples ne se croyaient pas moucherons plus que nous. Bien plutôt ils étaient théologiens et politiques, inventant des dieux et des raisons. Et c’est nous qui découvrons qu’ils adoraient le soleil.

9 mars 1928.

Saisons de l’esprit (1935)

XII

Présages

1er avril 1933

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Le calendrier plaît à l'entendement par cette suite de jours qu'il annonce.

Par les lunes qui toujours arrivent à point, par la remontée du soleil, par la nuit vaincue, par une espérance abstraite qui orientent nos projets, enfin par la Connaissance des Temps, beau titre d'un beau livre. Cependant le corps humain n'est pas touché par ces prédictions. Nous en sommes assurés, mais nous n'y croyons pas. Nous croyons la neige, la grêle, la tempête, ou les inconstants étés qui durent une heure ou deux. Ainsi tour à tour dépliés et repliés par chaud et froid, nous prenons le parti du Carême, qui n'est que 1'humeur mise en doctrine. Cependant quelques plantes se risquent. Le merle retrouve son joyeux chant de flûte. Les fauvettes allongent leur bavardage. Et le loriot déjà, sur le plus haut de l'arbre, crie une sorte de joyeuse nouvelle.

Déjà nous croyons entendre le coucou, l'hirondelle et le rossignol. Cette annonciation nous prend au corps. Un poème se cherche. C'est le temps de lire La Jeune Parque, ce chant d'oiseau de l'homme.

La religion paysanne, ou païenne, car c'est le même mot, est aussi ancienne que l'homme ; elle ne changera point ; elle ne trouvera point d'incré-dules. Et quoique les théologiens, gens de la ville, aient inventé de ridicules

manières de deviner l'avenir d'après les mouvements des oiseaux, l'antique divination se fera toujours, par un accord entre les plus secrets changements de notre corps et le réveil de la vie universelle. Les signes sont adorés en ce sens que notre geste s'y accorde aussitôt, et nous est un signe de plus. Tels sont les dieux naturels, de forme changeante et composée, mélanges de formes vivantes, qui expriment naïvement et très exactement les présages auxquels nous nous livrons avec bonheur et reconnaissance.

Il y a des théologiens champêtres aussi. L'homme se plaît aux présages, les recherche, les invente. Il y a abondance, pour cette fin de l'hiver, de ces courts poèmes populaires qui, d'après le soleil ou le froid d'un certain jour, nous annoncent hiver court ou hiver long, bonne ou mauvaise récolte. Ce sont des poèmes d'entendement, et manqués. On s'en amuse ; personne n'y croit. Telle est la part de la superstition. Ce sont de vains gestes, sans harmonie. La joie n'y est point. L'aigre discussion s'y met. Cette partie de la religion paysanne fut toujours moquée, et peut-être toujours redoutée, car les passions y jouent.

Par exemple, le mauvais présage d'un lièvre qui traverse la route peut être confirmé par le hasard, ou par la crainte même. Cette partie de la religion est triste ; on y croit malgré soi, lorsqu'on y croit ; on souhaite d'en être délivré ; on n'en est jamais tout à fait délivré ; mais on ne l'aime point. J'explique ainsi la fureur théologienne, qui a toujours persécuté la religion heureuse.

J'aimerais à faire la part en toute religion, et jusque dans la plus subtile, des croyances aimées et des croyances abhorrées. Car il se peut bien que le bonheur de croire entraîne naturellement le malheur de croire. Et peut-être faut-il dire que les artistes tirent d'un côté et les théologiens de l'autre. Car les théologiens, qui appartiennent à l'espèce des gouvernants, agissent toujours par la peur, qui enchaîne, et jamais par la joie, qui, au contraire, délivre. Mais les artistes, par un juste sentiment de ce qu'on peut nommer la matière reli-gieuse, nous sauvent toujours de la terreur par une recherche de l'harmonie, même dans le terrible. La plus triste musique console encore. Le sculpteur et le peintre, qui sont les prêtres véritables, finissent par retrouver le secret des dieux. Je donnerais comme règle de la vraie piété qu'il faut croire l'image et se défier du discours. Toutefois on se perd aisément dans les religions urbaines, fondées sur des faits anciens et qu'on ne reverra plus, donc livrées sans contrepoids à l'ivresse d'ordonner. Au lieu que la religion paysanne n'a pas besoin de légende. Ses miracles sont sous nos yeux ; la Pâque paysanne est vraie tous les ans. Tous les ans il est permis à l'homme de communier sans métaphore avec la nature des choses, d'y toucher, de s'y allonger, de s'y remettre et de s'y confier, ce qui est retrouver foi et amour. Car je ne crois pas que la religion d'instinct soit jamais fausse. Mais en revanche je suis prêt à parier que toute religion d'entendement est fausse, pour la même raison qui fait qu'aucune œuvre d'entendement n'est belle.

1er avril 1933.

Saisons de l’esprit (1935)

XIII

Dans le document Saisons de l’esprit (Page 31-35)