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L’observation transforme une personne souffrante en patient (formulation du problème), participe à la définition d’une prise en charge concertée (plan de réso- lution du problème) et détaille les étapes de prise en charge réalisées et l’évolution parallèle du patient (résolution effective du problème). Selon l’évolution, il peut être nécessaire de reformuler le problème de façon itérative et de réviser le plan de

résolution. L’observation joue donc un rôle de support pour la démarche clinique, dont elle constitue également une trace écrite.

Aide mémoire

À un premier niveau, l’observation permet au rédacteur de soulager sa mémoire des nombreuses données nécessaires pour décrire le patient et ses problèmes de santé. L’observation sert également à documenter les décisions prises, sous la forme d’un projet de prise en charge argumenté. Elle comporte enfin la mention des infor- mation données au malade et les soins qui ont effectivement été prodigués, avec leurs résultats (attendus ou non).

Communication interprofessionnelle et continuité des soins

Néanmoins, si l’observation avait pour seule fonction de soulager la mémoire de son rédacteur, une fiche récapitulative synthétique à usage personnel serait proba- blement beaucoup plus efficiente (Engle, 1991, discussion). Elle permettrait d’avoir en un coup d’œil toute l’information nécessaire pour contextualiser les nouvelles données et informer les décisions, sans s’encombrer d’un volumineux document. On pourrait également imaginer que la collaboration entre professionnels de santé d’une même équipe passe par des transmissions ciblées de personne à personne. Mais ce type de transmission comporte un risque de perte ou de distorsion de l’in- formation. Il est donc nécessaire de disposer d’une référence vers laquelle se tourner pour vérifier la teneur des messages ciblés et les replacer dans leur contexte global. Pour jouer ce rôle, l’observation doit comporter toutes les données utiles et le plan de prise en charge, faciles à trouver.

En effet, l’observation médicale peut se concevoir comme un programme de prise en charge justifié et exécuté sous la responsabilité des soignants (Berg, 1996). Le médecin senior rédige une note avec des objectifs à remplir, qui sont autant de jalons pour les médecins juniors et les étudiants qui doivent s’y conformer36. Le programme simplifie la coordination de la prise en charge et sert de référence lors de la documentation des progrès réalisés. Enfin, la conclusion structurée de l’obser- vation initiale et les observations de suivi donnent à n’importe quel nouveau méde- cin une visibilité globale de la prise en charge, qui doit lui permettre de s’impliquer dans la prise en charge comme s’il en avait été un acteur de la première heure. Si

36. Il arrive parfois que le médecin se fasse pour lui même ce type de prescriptions, de manière à libérer sa mémoire des tâches à accomplir et se consacrer tout entier à leur succès.

des détails supplémentaires sont nécessaires, la structure uniforme de l’observation doit permettre de les trouver facilement. Une fiche récapitulative officielle, similaire aux fiches utilisées comme aide-mémoire par les cliniciens de première ligne, peut contribuer à cette fonction de référence partagée.

Ainsi, l’observation comporte à la fois les instructions de prise en charge et les données nécessaires pour les justifier. Elle représente donc un outil de trans- mission incontournable pour assurer la qualité de la collaboration synchrone et la possibilité de la collaboration asynchrone dans le cadre d’une prise en charge collé- giale (Reiser, 1984, p. 311). Ces fonction sont exploitées lorsqu’une prise en charge continue et pluridisciplinaire est nécessaire : problème de santé aigu nécessitant une hospitalisation avec de nombreuses transitions entre équipes et lieux de soins ; pro- blème de santé chronique relevant d’un parcours coordonné. Néanmoins, le statut de l’observation représente un danger lorsqu’elle est vue comme une référence in- discutable pour la continuité des soins. Ce danger est majeur pour un médecin qui ne connaît pas le malade et manque de recul critique. Il risque alors d’agir comme si l’observation était toujours plus informative et pertinente que le patient lui-même. Njølstad et al. (1992) ont fait simuler une patiente qui ne sait pas comment dire à un nouveau médecin qu’elle craint d’avoir été infectée par le VIH à l’occasion d’un rapport sexuel non protégé. Elle exprime sa crainte sous une forme aspécifique, en se plaignant d’une recrudescence de palpitations habituelles, en demandant si « ça ne pourrait pas être quelque chose d’autre ». La plupart des médecins confrontés à cette situation se tournent vers l’observation médicale. Constatant que la patiente relate régulièrement des symptômes vagues qui ne débouchent sur aucun diagnos- tic précis, il mettent court à la discussion. L’attitude professionnelle consisterait à accorder à cette patiente une écoute empathique et à lui demander ce qu’elle craint particulièrement. L’observation, qui devrait faciliter la communication en récapitu- lant l’histoire de la malade pour le nouveau médecin, se pose alors en obstacle car elle devient l’objet principal de son attention au lieu de la patiente elle-même. Acteur de la prise en charge

L’observation ne doit pas simplement être vue comme un outil destiné à facili- ter la gestion d’information (saisie, organisation, accès, partage) et son traitement (prise de décision, réutilisations) par des agents cognitifs idéalisés. Elle est un ac- teur de la décision à part entière, interagissant avec des utilisateurs sujets à des émotions (Berg et al., 2003). Ces utilisateurs mobilisent des connaissances expli-

cites ou tacites afin d’agir sur leur environnement au sein d’un réseau de relations professionnelles. Par conséquent, Berg (1996) explique que l’observation médicale n’est pas une simple trace des décisions et des actions médicales, conservées pour de potentielles références futures. Elle joue un rôle à plusieurs niveaux dans la rela- tion médecin-malade, dans la réflexion clinique et dans la communication entre les différents acteurs de la prise en charge.

Tout d’abord, la prise de note au cours de l’interrogatoire du malade reflète la sélection de l’information et détermine la perception par le patient de l’écoute qui lui est accordée : ce qui n’est pas retranscrit du discours du patient est d’emblée écarté comme non signifiant et le patient le perçoit. Ensuite, l’observation synthétise de façon cohérente l’information obtenue auprès du patient avec les informations d’autres sources : autres médecins, autres professionnels de santé, examens com- plémentaires, famille, travailleurs sociaux. Elle participe ainsi à la création d’un sens qui influence en retour le recueil d’information37. Les séquences de lecture et de réécriture successives, réalisées par des acteurs aux points de vue divers et à l’expérience variable, contribuent à réviser continuellement le sens du problème clinique et à corriger la trajectoire de prise en charge. Ainsi, l’histoire transcrite dans l’observation correspond à la traduction biomédicale de celle qui est vécue par le patient. La résistance rencontrée par le rédacteur lors de cette traduction l’oblige à clarifier le problème du patient et finir par l’énoncer de manière à ce qu’il soit soluble par la médecine.

Ces remarques sur le rôle structurant de la rédaction de l’observation concordent avec la façon dont la psychologie décrit aujourd’hui les étapes cognitives impliquées dans la rédaction d’un texte à partir d’informations collectées. Kellogg et Raulerson (2007) distinguent : (1) la planification – mise en place préverbale du contenu, des concepts et de leur organisation grossière ; (2) la mise en texte – premier jet de traduction verbale du plan ; (3) la révision – boucle de rétroaction visant à s’assurer que le contenu du texte est conforme au plan et que la forme du texte véhicule le contenu de façon efficace, et à faire les ajustements nécessaire si besoin.

Si l’observation conditionne la façon dont la situation clinique est problémati-

37. La rétroaction du sens émergent sur le recueil d’information est habituellement imperceptible car elle s’exerce de façon instantanée. Il arrive toutefois qu’une rétroaction différée donne à voir le processus. Les étudiants prennent souvent des notes au brouillon dans la chambre du patient et rédigent l’observation dans le bureau médical. Tous ont fait l’expérience répétée de devoir retourner auprès du malade pour recueillir une information dont le défaut ou l’imprécision est apparue à la rédaction au propre. Les internes font la même expérience au moment où ils rédigent le compte rendu d’hospitalisation. Ces expériences communes témoignent clairement du pouvoir structurant de l’écrit (observation, compte rendu d’hospitalisation).

sée, communiquée et résolue, il est légitime d’envisager les effets de sa structure sur ces processus et leur résultat. Or, le format actuel de l’observation médicale est hérité du XIXe siècle, lorsque la science de laboratoire prônait un recueil fidèle et

exhaustif des données, nécessaire à l’émergence du sens par la mise en évidence de régularités. La transposition de ces principes à l’observation médicale pose question à deux titres au moins (Rubins, 1994) :

1. une distinction nette est réalisée entre (i) les éléments cliniques spontanément rapportés par le malade ou des tiers, (ii) les éléments d’interrogatoire précisés par le médecin, (iii) les phénomènes cliniques observés par le médecins, (iv) les résultats d’examens complémentaires ;

2. une valeur intrinsèque est accordée à un interrogatoire et un examen clinique complets, permettant une description exhaustive de la situation clinique. La distinction des sources d’information sous-entend une hiérarchisation de ces sources et une opposition entre l’expérience subjective du patient et la réalité objec- tive de la maladie observée par le médecin. Ce dernier bénéficierait d’une qualité d’observation augmentée par les examens complémentaires qu’il prescrit largement. Cette conception a comme effet de remettre en question l’importance du point de vue du patient et de son histoire.

Interface entre le malade et le médecin

L’interrogatoire est une étape fondamentale de l’examen clinique. Cependant, les malades sont susceptibles de fournir une information relativement détaillée et juste lorsqu’on leur laisse remplir un questionnaire sur leur histoire médicale (Har- low et Linet, 1989). On peut alors envisager que le patient prépare l’interrogatoire du médecin grâce à un auto-questionnaire préalable, soit au format papier soit au format numérique (à remplir en salle d’attente ou par internet). L’idéal est de laisser au malade le temps de colliger les documents utiles pour répondre de façon précise aux questions, en se faisant aider si besoin. L’objectif est d’améliorer le rendement de l’interrogatoire et la fiabilité des réponses, mais aussi d’impliquer plus fortement le patient dans sa prise en charge.

Des questionnaire de ce type sont proposés aux nouveaux patients dans la moitié des cabinets en soins primaires aux États-Unis (Guthmann, 1998). Les expériences publiées montrent qu’ils permettent d’améliorer la complétude et la fiabilité des ré- ponses données, de libérer du temps pour discuter des points problématiques iden- tifiés et d’améliorer la satisfaction du médecin et du patient (Pecoraro et al., 1979;

Inui et al., 1979; Billault et al., 1995; Hershey et Grant, 2002). Le dossier informa- tisé rend envisageable de donner au patient un accès à son dossier « en écriture », lui permettant de préremplir les champs, ensuite validés par le médecin (Bachman, 2003). Depuis la loi du 4 mars 2002 (articles L. 1111-7 et L. 1112-1 du Code le la santé publique), les malades en France a également un droit d’accès à leur dossier « en lecture », y compris l’observation médicale, sans nécessairement passer par l’intermédiaire d’un médecin. Ce droit d’accès modifie la façon de rédiger l’obser- vation et justifie également de ne pas y placer les informations obtenues auprès de tiers.

Des expérience d’accès des patients à leur observation ont montré qu’ils cor- rigeaient en outre des erreurs factuelles ; par ailleurs les médecins étaient enclin à consigner de façon plus fidèle les informations fournies par les malades (Ross et Lin, 2003). Ces deux effets expliquent des observations plus complètes et plus fiables. Même si les notes d’observation sont difficiles à comprendre pour les pa- tients, elles contribuent à une meilleure information et une plus grande satisfaction des malades, sans générer d’angoisse significative. Globalement la qualité de la re- lation médecin-malade et la satisfaction du malade semblent améliorées par cette possibilité.