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2.3 Résistance des soignants à l’informatisation

2.3.3 Exemple d’effets pervers : le copier-coller

L’informatisation de l’observation médicale modifie les tâches réalisées pour la documentation clinique. En particulier, le fait de devoir taper au clavier est une source de distraction et mobilise un temps précieux qui n’est plus disponible pour des tâches concurrentes. Des fonctions pour simplifier la saisie sont naturellement proposées pour améliorer l’acceptabilité de l’observation informatisée.

La possibilité de copier un fragment de texte pour le coller ailleurs fait par- tie de ces fonctions. Le copier-coller permet, par exemple, de reprendre la conclu- sion d’un compte rendu d’examen complémentaire dans l’observation. Même si le

compte rendu est accessible à travers le dossier informatisé, la transcription des in- formations dans une même place favorise une meilleure vision d’ensemble du cas. De plus, ces informations peuvent alors apparaître dans le compte rendu médical généré automatiquement à partir de l’observation médicale.

Cependant, il existe des usages déraisonnables de cette fonction, à commencer par le copier-coller de grandes portions de texte qui ne contribuent pas à la vision synthétique souhaitée. Ainsi, copier-coller l’ensemble du compte rendu d’un exa- men risque de diluer l’information importante au sein de détails inutiles (Hartzband et Groopman, 2008). Par ailleurs, la fonction est un vecteur potentiel de propaga- tion d’erreurs ou d’informations devenues caduques. Hirschtick (2006) donne des exemples tout à fait éloquents des conséquences absurdes du copier-coller et illustre même le problème à travers la structure de son texte. D’autres exemples édifiants sont proposés par Markel (2010).

Hammond et al. (2003) ont évalué la fréquence et les conséquence du copier- coller dans l’observation hospitalière de 243 patients. Plus de 6 000 instances de copier-coller ont été identifiées, sans compter le collage dans les comptes rendus de consultation ou d’hospitalisation. Environ 9% des notes d’observation contenaient du texte collé et la validité de l’information était très douteuse et associée à un risque non négligeable une fois sur huit environ. Au total, 37% des dossiers contenaient au moins un copier-coller à risque. Ces instances concernaient essentiellement l’exa- men clinique, l’histoire du problème de santé et les antécédents. Weir et al. (2003) ont confirmé l’ordre de grandeur du problème, avec 20% des notes d’observation contenant du texte collé et en moyenne une information fausse ou obsolète par frag- ment. Thielke et al. (2007) ont identifié des fragments collés dans les examens cli- niques de 25% des patients. Moins de 20% des fragments collés correspondaient à un examen normal. Les examens cliniques de 15% des patients contenaient au moins un fragment collé qui avait été copié dans une observation réalisée par un autre soignant ou bien par le même soignant mais plus de 6 mois auparavant.

Au delà de la répétition des erreurs ou de la production d’erreurs par défaut d’actualisation, le copier-coller participe à la passivité intellectuelle du médecin et met en péril la logique de la prise en charge des malades (Hartzband et Groopman, 2008). Siegler et Adelman (2009) expliquent par exemple que cette fonction fige la vision globale des problèmes du patient et compromet l’intégration du malade dans un fil narratif cohérent. En effet, lorsqu’une liste de problèmes est utilisée pour suivre l’évolution, le copier-coller permet de recopier cette liste de jour en jour pour en actualiser le contenu. Cependant, le contenu n’est pas le seul aspect signifiant de

la liste : l’ordre des problèmes est également fondamental car il témoigne de l’évo- lution des priorités. Autrement dit, même si tous les problèmes sont effectivement considérés, ils cessent d’être hiérarchisés lorsque la copier-coller est la première étape de l’actualisation de la liste. Par ailleurs, la vision globale du malade exige que les problèmes soient intégrés dans un tissu narratif cohérent. Cette démarche intégrante a également pour effet d’humaniser le patient et sa prise en charge. Avec le copier-coller, l’effort narratif qui reconstruit l’individu derrière les problèmes de santé est remplacé par un travail de juxtaposition qui contribue à sa fragmentation.

Des arguments existent pour penser que le copier-coller est associé à de moins bons résultats des soins. Turchin et al. (2011) ont analysé 62 934 notes concernant 5 914 patients diabétiques suivi pendant 3,7 ans en médecine générale. L’objectif de l’étude était de quantifier l’occurrence des répétitions exactes de phrases signa- lant des conseils donnés aux patients sur l’hygiène de vie. Qu’il s’agisse de l’ali- mentation, de l’exercice ou du poids, 5% des notes signalant un conseil dispensé étaient identiques à une note précédente chez le même patient. Exceptionnellement, la même phrase était reprise d’un patient à l’autre du même médecin, indiquant alors éventuellement une mention générique. Mais la plupart des phrases étaient propres à un patient, signalant du copier-coller d’une note d’observation à l’autre. Une ana- lyse multivariée ajustée sur les déterminants classiques du bon contrôle du diabète montrait ensuite que les conseils d’hygiène de vie documentés étaient associés à un contrôle significativement meilleur du diabète, sauf lorsque la documentation était faite par copier-coller. Logiquement, les auteurs mettent en doute la réalité des conseils documentés par copier-coller. . .

Le problème n’a pas de solution évidente. Le copier-coller a des avantages que les médecins ne sont pas prêts à perdre (O’Donnell et al., 2009). La bonne réponse passe peut-être par des fonctionnalités ajoutées comme le marquage du texte collé pour alerter le lecteur, mais plus probablement par la définition de bonnes pratiques de documentation, par l’information et l’éducation des utilisateurs et par la réalisa- tion d’audits réguliers (Gelzer et al., 2009).