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2.2 Avantages opérationnels et bénéfices cliniques

2.2.3 Efficience des soins

Peu d’études documentent sans ambiguïté l’impact des systèmes d’information sur la qualité ou le coût des soins. à nouveau, les évaluations sont dominées par des travaux conduits dans des centres universitaires ayant développé et progressivement amélioré leur propre système d’information (Chaudhry et al., 2006; Shekelle et al., 2006; Roshanov et al., 2013). Par ailleurs, les évaluations économiques (coûts) ou médico-économiques (efficience) s’appuient plus souvent sur des hypothèses que sur des données observées (Shekelle et Goldzweig, 2009).

Les résultats obtenus correspondent donc à ce qu’on peut attendre de l’informa- tique pour les soins dans les meilleures conditions possibles, mais on ne peut pas s’attendre à ce que ce potentiel soit actualisé dans tous les contextes. En revanche, les limites mises en évidence ont toutes les chances d’être généralisables. Néan- moins, les systèmes commerciaux commencent à être évalués dans des structures sans culture informatique particulière (Shekelle et Goldzweig, 2009). Ces résultats donnent une vision moins idéalisée et plus directement généralisable de la réalité. Continuité des soins

La continuité des soins repose notamment sur la disponibilité de toute l’informa- tion utile à chaque étape de la prise en charge9. à ce titre, elle relève de la mémoire des médecins, de celle des patients et de leurs proches, d’un dossier patient bien tenu et d’une transmission fidèle et rapide des informations provenant et à destina- tion de l’extérieur (Agarwal et Crooks, 2008; Crooks et Agarwal, 2008). Le dossier patient informatisé contribue donc à la continuité des soins :

– au niveau local s’il remplit correctement ses fonctions de conteneur d’infor- mation et encore plus s’il sollicite le recueil d’informations habituellement mémorisées par les médecins ou les patients ;

– à un niveau plus global s’il est partagé ou s’il permet des échanges au delà de la structure de soins actuelle.

à un échelon local, Lindner et al. (2007) ont ajouté des champs structurés destinés à saisir les directives anticipées du patient dans une observation médicale infor- matisée au sein d’une maison de retraite médicalisée. Ces champs permettent de renseigner la volonté du patient en répondant à quelques questions à choix simples

9. La continuité des soins repose également sur un accord concernant les objectifs et les moyens de la prise en charge et sur la construction d’une relation de confiance entre le patient et les soignants ou les institutions. Autrement dit, la continuité des soins comporte des aspects informationnels, décisionnels et affectifs.

ou multiples. Par ailleurs, une alerte est émise à chaque fois que l’observation était modifiée sans que les directives anticipées ne soient saisies. Ce dispositif a per- mis de faire passer la documentation de 4% avant l’intervention à 61% après (p < 0,001). Ainsi, une information jusqu’alors conservée dans la mémoire du malade (ou du médecin) a été documentée de façon explicite dans l’observation. Toutefois, l’amélioration de la conformité des soins aux souhaits du patient n’a pas été évaluée. La revue systématique de Fontaine et al. (2010) rapporte des expériences de dos- siers informatisés permettant d’accéder à des données externes, y compris les don- nées cliniques recueillies sur un autre lieu de soins. Par ailleurs, de nombreux dos- siers patients informatisés sont capables de générer automatiquement des comptes rendus avec les données collectées en routine. Cette fonctionnalité améliore la qua- lité de l’information, la rapidité de sa transmission à des soignants officiant sur d’autres lieux de soins et leur satisfaction (Motamedi et al., 2011). Une réduction de la mortalité ou des visites aux urgences n’a pas pu être établie par des études randomisées. Certains de ces systèmes sont capables d’envoyer le compte rendu à son destinataire. Certains autres sont inclus dans un système de partage multidirec- tionnel de l’information entre lieux de soins.

Poussé à la limite, le concept de partage des informations de santé conduit aux projets de dossiers patients partagés ou interopérables à l’échelle nationale. La dis- ponibilité d’un certain nombre d’informations de base serait particulièrement pro- fitable aux urgentistes (Baumlin et al., 2010). Mais ces projets illustrent également les réticences des patients et des médecins et ce malgré ses bénéfices envisageables en termes de soins (et d’utilisations secondaires). Une partie de ces réticences s’ex- plique par la crainte de ne plus contrôler l’accès à ces données confidentielles et de perdre la maîtrise de leur utilisation.

Qualité des soins

La qualité des soins est susceptible de bénéficier de l’informatisation de l’ob- servation et des fonctions d’aide à la décision qu’elle rend possible. On peut ima- giner ce bénéfice provenir (i) d’un meilleur recueil de données cliniques, (ii) d’une meilleure interprétation des données cliniques, (iii) de meilleures décisions ou (iv) d’une meilleure coordination des soins. Le bénéfice des possibilités de présentation variées des données cliniques n’a pas été évalué de façon indépendante. Concer- nant les aides à la décision, nous nous intéressons ici spécifiquement aux béné- fices associés à des systèmes qui couplent des connaissances aux données cliniques

du patient. Malheureusement, les revues systématiques ne les distinguent pas tou- jours clairement des systèmes qui s’appuient sur des connaissances mais pas sur le contenu de l’observation médicale.

Les revues systématiques identifient des études cliniques documentant une amé- lioration des pratiques. L’observation informatisée et les aides à la décision liées améliorent le respect des recommandations de prévention, dépistage, diagnostic, traitement ou surveillance des problèmes de santé et d’information des patients (Chaudhry et al., 2006; Bryan et Boren, 2008; Mollon et al., 2009; Shekelle et Goldzweig, 2009; Lau et al., 2010; Lobach et al., 2012). Les effets sont particu- lièrement significatifs dans les domaines qui demandent la considération de pro- blèmes de second plan pour lesquels l’ordinateur est mieux armé que le cerveau humain : application des politiques de prévention et de dépistage (Jerant et Hill, 2000; Chaudhry et al., 2006; Boyle et al., 2010; Souza et al., 2011), prise en charge globale des maladies chroniques (Dorr et al., 2007; Roshanov et al., 2011; Jeffery et al., 2012) ou détails de la prise en charge des maladies aiguës (Sahota et al., 2011). Un certain nombre de ces bénéfices ont été montrés par des études randomi- sées bien conduites. Par exemple avec un système qui identifie les patients éligibles au dépistage du cancer colorectal et leur envoie un test de dépistage de sang dans les selles double le taux de patients dépistés (Green et al., 2013).

Cependant, la démonstration d’une amélioration des résultats de morbimortalité associée à cette amélioration des pratiques est rare, même dans les domaines privi- légiés (Delpierre et al., 2004; Garg et al., 2005; Bryan et Boren, 2008; Mollon et al., 2009; Lobach et al., 2012). Les systèmes d’alerte et de critique aidant à prendre en compte les caractéristiques du patient lors de la prescription médicamenteuse ont pu mettre en évidence une réduction des erreurs, notamment de dosage, et des ef- fets indésirables (Bennett et Glasziou, 2003; Chaudhry et al., 2006; Wolfstadt et al., 2008; Shekelle et Goldzweig, 2009; Lau et al., 2010).

Consommation des soins

Les soins inappropriés constituent un poste important d’économies potentielles, qu’ils soient réalisés sans indication (misuse) ou dans des indications où leur valeur ajoutée n’est pas suffisante (overuse). Les dossiers partagés et les systèmes d’aide à la décision permettent de diminuer la consommation des soins en réduisant les prescriptions inappropriées ou redondantes (Chaudhry et al., 2006; Lobach et al., 2012). Les dossiers partagés améliorent la continuité des soins et permettent une

utilisation plus économique des circuits de prise en charge. Ils permettent ainsi une réduction des retours aux services d’urgence et des consultations spécialisées, en diminuant à la fois les consultations de spécialistes inappropriés et le nombre des consultations pour les spécialistes appropriés (Fontaine et al., 2010).

Temps des soignants

Globalement, les systèmes d’information ne semblent pas modifier le temps passé par le personnel de santé à documenter et organiser la prise en charge des patients (Delpierre et al., 2004; Häyrinen et al., 2008; Mador et Shaw, 2009; Lo- bach et al., 2012). Ils ne sont pas non plus associés à une augmentation du temps consacrés aux soins par les médecins (Mador et Shaw, 2009). Des explications à l’absence de gain de temps lié à l’informatisation sont envisageables (Poissant et al., 2005; Holroyd-Leduc et al., 2011) : une double saisie (papier puis informatique) est nécessaire si les ordinateurs ne sont pas situés à l’endroit des soins ; le dossier in- formatisé transfère au médecin un partie des tâches administratives qu’il n’assurait pas auparavant (prise de rendez-vous, gestion des mouvements. . .) ; le dossier infor- matisé est difficile à consulter en mode feuilletage pour une appréhension globale et rapide du patient.

Coûts

La généralisation du dossier patient informatisé suppose un investissement consi- dérable, en termes de logiciel, de matériel, d’infrastructure et de main d’œuvre pour le déploiement et la maintenance, et en termes de personnel pour la formation et l’aide aux utilisateurs (Shekelle et al., 2006). Des études ont pu montrer des écono- mies réalisées dans un ou quelques domaines (administration, gestion des données, soins. . .) pour des systèmes d’informations déployés de manière locale (Uslu et Stausberg, 2008). Les systèmes d’aide à la décision génèrent peut-être aussi un re- tour sur investissement mais la méthodologie de la plupart des études est médiocre (Holroyd-Leduc et al., 2011; O’Reilly et al., 2012; Lobach et al., 2012). Quoi qu’il en soit, ces analyses donnent une vision partielle de la réalité, alors qu’il faudrait prendre en compte tous les postes de dépense en y intégrant également les coûts d’opportunité, c’est-à-dire les bénéfices perdus en ne dépensant pas l’argent pour des actions dont le retour sur investissement est bien établi. Dans l’autre plateau de la balance, il faudrait placer toutes les économies attendues, directes (réduction du coût immédiat des soins) et indirectes (économies attendues à long terme ou

réalisées dans d’autres secteurs que les soins).

Hillestad et al. (2005) ont réalisé une telle évaluation du dossier patient infor- matisé du point de vue des payeurs, en s’appuyant sur une estimation des coûts de déploiement d’un système d’information performant à l’échelle du pays et les économies qu’il permettrait de réaliser. Cette estimation faisait l’hypothèse d’un dossier totalement partagé avec prescription informatisée et fonctionnalités d’aide à la décision. Les principales économies obtenues dans ce modèle proviennent de la réduction des dépenses pharmaceutiques et de la diminution des effets indésirables médicamenteux. L’amélioration des actions préventives et de la prise en charge des problèmes de santé chroniques ne génère pas de bénéfices dans le secteur de la santé mais est susceptible de générer des économies dans d’autres secteurs (jour- nées de travail perdues. . .). Walker et al. (2005), s’intéressant uniquement à la réa- lisation d’une interopérabilité généralisée, ont prédit un bénéfice du même niveau de grandeur lié aux économies directes et indirectes (temps gagné) par rapport à la prescription et au rendu des résultats d’examens complémentaires sur papier. Tou- tefois, faute de données fiables, les hypothèses faites dans ces modèles sont très discutables, qu’elles concernent l’amélioration de la productivité, la réduction des erreurs, ou l’amélioration de la prévention et de la prise en charge des maladies chroniques (Sidorov, 2006).

La revue de Gallego et al. (2010) incorpore des données plus récentes et sou- ligne l’importance de la maintenance, dont le coût est équivalent chaque année au tiers du coût de déploiement. Les auteurs utilisent des indicateurs économiques qui rapportent les bénéfices annuels aux dépenses de déploiement ou aux dépenses an- nuelles. Les bénéfices observés chaque année, de l’ordre de 75% de l’investissement initial et 300% des coûts de maintenance, découlent d’économies réalisées en per- sonnel administratif, en archivage et en transcription, mais aussi de revenus générés par un meilleur codage de l’activité. Il est important de pondérer ces résultats par le caractère limité et peu généralisable de la plupart des expériences, qui dépassent rarement le cadre d’institutions championnes de l’informatisation. Par ailleurs, les évaluations restent à nouveau peu nombreuses et certaines études de cas témoignent de structures n’ayant jamais réussi à amortir l’investissement réalisé dans l’informa- tisation.

Des données observées sur le terrain mettent en doute la réalité du gains d’effi- cience attendu de l’informatisation. Himmelstein et al. (2010) et DesRoches et al. (2010) ont analysé la corrélation entre le niveau d’informatisation des hôpitaux d’un côté et la qualité et les coût des soins de l’autre. Le niveau d’informatisation était

estimé à l’aide de données d’enquêtes nationales ; la qualité des soins par la satis- faction d’indicateurs spécifiques et par le taux standardisé de mortalité ; enfin, le coût des soins était tiré des données de l’assurance maladie (Medicare). Les ana- lyses ont été ajustées sur les caractéristiques des hôpitaux (taille, statut hospitalo- universitaire. . .). Himmelstein et al. (2010) ont trouvé que le niveau d’informatisa- tion était associé à une faible amélioration des indicateurs de qualité pour quelques maladies, mais à aucune réduction des dépenses globales de soins ou des dépenses administratives ; DesRoches et al. (2010) n’ont trouvé aucune association entre le niveau d’informatisation et la qualités, les résultats ou le coût des soins.