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Chapitre 1 – L’« atelier du monde » entre prospérité et misère

1. Une ville prospère et fière

1.4. Socialisme municipal et autoritarisme

Au fur et à mesure de l’extension de la ville, les responsabilités de la municipalité croissent. Glasgow intègre progressivement dans ses limites administratives les bourgs et villages avoisinants5 et développe une forme unique de socialisme municipal teinté

1 S. G. Checkland and O. Checkland, Industry and Ethos. Scotland 1832 – 1914, Edinburgh, Edinburgh University Press, 1989, p. 182 : « By 1900 Scotland had produced a breed of major industrialists whose action and prestige dominated the economic scene. They included such names as Colville, Baird, Yarrow, Tennant, Lorimer, Elder, Pearce, Neilson and Beardmore. These were the magnates of shipbuilding, heavy engineering, iron and steel and coal. The wee autocrats, their decisions were made, conveyed and not discussed. They had a strong desire to keep everything in their own hands. A man like Beardmore, perhaps the greatest of them, too, took his own authority over the concern to be absolute and rightful: he and his peers were not given to self-doubt and self-questioning. Such men acted largely intuitively, with little effective costing or market research. »

2 Allan Massie, op. cit., p. 54.

3 Beardmore développe un empire industriel qui marie construction navale, construction mécanique, sidérurgie, aciérie et armement et aviation. Il se diversifie continuellement et augmente ses activités en rachetant d’autres usines. Pendant la Première Guerre mondiale, il emploie plus de 50 000 personnes. Sa stratégie est de recourir à toujours plus d’emprunts et à exiger de ses directeurs de faire des économies.

4 Michael S. Moss, ‘Beardmore, William, Baron Invernairn (1856–1936)’, Oxford Dictionary of

National Biography, Oxford University Press, Sept 2004; online edn, Jan 2007 :

http://www.oxforddnb.com/view/article/30657, accessed 13 May 2010

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d’autoritarisme victorien pour résoudre les problèmes les plus urgents, notamment sanitaires, posés par l’extension de ses limites et l’expansion de l’activité industrielle1. La ville devient ainsi rapidement la ville la plus municipalisée de Grande-Bretagne.

En réponse aux problèmes sanitaires posés par la surpopulation, et en plus des programmes d’éradication des taudis, la municipalité construit un hôpital pour patients atteints de maladies infectieuses, met en place un service d’inspection de la qualité de la viande et du lait, des lieux d’entreposage des déchets et des stations d’épuration et des bains publics2. La municipalité se dote également d’un long et coûteux système d’acheminement d’eau potable. Ainsi, depuis 1859, l’eau potable de la ville provient de Loch Katrine. Jusqu’alors, la Clyde était la principale source d’eau de la ville, en même temps que la principale destination de ses égouts3. La fourniture du gaz est municipalisée en 1867. En 1869, quand la ville décide d’opter pour l’éclairage public au gaz, elle absorbe les compagnies privées qui existaient depuis plus de cinquante ans. L’affaire est un tel succès que la municipalité renouvelle l’opération avec l’électricité en 1890. En 1893, il y a cent huit abonnés à l’électricité. Vingt ans plus tard, il y en a 27 8484. La ville autorise la construction de lignes de tramways en 1870 et en prend le contrôle à partir de 1894. La ville vise à fournir à ses habitants des services bon marché, fiables et rentables. Le tramway en est un exemple éclatant et « légendaire », célébré en son temps par des chansons de music-hall telles que « Glasgow’s Tuppenny Tram »5. Glasgow peut se prévaloir d’avoir eu le premier réseau de tramway municipal au monde, de même que le carrefour le plus chargé au monde6. En 1922, au moment de la célébration du Golden Jubilee du tramway, les tramways de Glasgow emploient 9084 personnes (dont les travailleurs au chômage qui avaient été employés), leur dette est payée et les revenus de l’année précédente s’élèvent à 2 354 294

Doug Clelland (ed.), op. cit., p. 168.

1 T. C. Smout, A Century of The Scottish People, 1830-1950, London, Fontana Press, [1986], 1997, pp. 43-46.

2 Doug Clelland (ed.), op. cit., p. 168. « By the turn of the century, Glasgow’s municipal control was one of the wonders of the civilised world. »

3 Edna Robertson, Glasgow’s Doctor, James Burn Russell 1837 – 1904, East Linton, Tuckwell Press, 1998, p. 12. Voir Edna Robertson, ibid., pp. 9-14 pour une description détaillée des conditions d’hygiène à Glasgow dans la première moitié du dix-neuvième siècle.

4 Elspeth King, The People’s Palace and Glasgow Green, Edinburgh, Chambers, 1988, p. 10.

5 Ibid., p. 10 ; ibid., pp. 9-12 pour une revue détaillée de l’étendue du succès de Glasgow Corporation dans la mise à disposition de services à la population.

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livres sterling1.L’étendue des services qui relèvent de la compétence de la municipalité est résumée de la façon suivante par un observateur contemporain :

À Glasgow, un citoyen peut se loger dans un logement municipal. Il peut se déplacer en parcourant à pied une rue municipale ou prendre le tramway municipal et observer les voitures chargées de ramasser les déchets qui seront utilisés comme engrais dans la ferme municipale. Il peut ensuite entrer dans le marché municipal, y acheter de la viande d’un animal tué dans l’abattoir municipal et la faire cuire sur une cuisinière alimentée par le gaz dont la municipalité assure la distribution. Pour se divertir, il a le choix entre les bibliothèques municipales, les galeries d’art municipales et la musique municipale dans les parcs municipaux. S’il tombe malade, il peut appeler son docteur à l’aide du téléphone municipal ou se faire emmener à l’hôpital municipal par un officier de police municipal dans une ambulance municipale. S’il a la malchance de voir son logement prendre feu, c’est un pompier municipal qui l’éteindra avec de l’eau municipale. Après quoi, il s’autorisera peut-être le plaisir d’un bain municipal, sauf s’il juge nécessaire de faire l’acquisition d’un nouveau costume au marché aux fripes municipal.2

À cette époque, le modèle de gestion développé à Glasgow jouit d’une réputation de dimension mondiale. Glasgow est regardée et étudiée du monde entier, y compris des États-Unis, comme un modèle de gestion de diverses entreprises municipales – la distribution de l’eau et du gaz, l’enlèvement des ordures, les bibliothèques et les tramways.3 La ville apparaît comme une pionnière dans la résolution de certains des principaux problèmes urbains. Checkland y voit là son âge d’or, qu’il situe entre les deux Expositions internationales qu’elle héberge (1888 et 1901)4.

Le socialisme municipal à Glasgow comprend aussi la promotion de l’image de la ville à travers l’organisation et le financement d’expositions universelles5 ou la création de musées et de galeries d’art6.

1 Doug Clelland (ed.), op. cit., pp. 168-169.

2 Fortnightly Review, 1903, cité dans Glasgow Museums, op. cit., p. 121 : « In Glasgow a citizen may live in a municipal house; he may walk along the municipal street, or ride on the municipal tramcar and watch the municipal dust cart collecting the refuse which is to be used to fertilise the municipal farm. Then he may turn into the municipal market, buy a steak from an animal killed in the municipal slaughterhouse, and cook it by the municipal gas stove. For his recreation he can choose amongst municipal libraries, municipal art galleries and municipal music in municipal parks. Should he fall ill, he can ring up his doctor on the municipal telephone, or he may be taken to the municipal hospital in the municipal ambulance by a municipal policeman. Should he be so unfortunate as to get on fire, he will be put out by a municipal fireman, using municipal water; after which he will, perhaps, forego the enjoyment of a municipal bath, though he may find it necessary to get a new suit in the municipal old clothes market. »

3 S. G. Checkland and O. Checkland, op. cit., p. 182 ; J. H. Muir, op. cit., p. 46. 4 S. G. Checkland, op. cit., p. 182.

5 Les quatre évènements majeurs avant la Seconde Guerre mondiale sont les Expositions Internationales de 1888, 1901, 1911 et 1938, qui sont toutes les quatre des succès populaires. 6 P. Kinchin and J. Kinchin, Glasgow’s Great Exhibitions: 1888, 1901, 1911, 1938, 1988, Oxon, White Cockade, 1986, p. 13 : « […], Glasgow’s [four] big events have shared the mutually reinforcing aims

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À cette époque, la municipalité est dirigée par les Libéraux. Il n’y a pourtant pas de contradiction entre le socialisme municipal développé à Glasgow et la doctrine libérale. Les Libéraux qui dirigent la ville sont souvent des hommes d’affaire dont les activités sont florissantes. En Libéraux, ils sont d’ardents défenseurs de la dévolution des pouvoirs du Parlement aux autorités locales et de l’autonomie de gestion1. Il n’en demeure pas moins qu’ils ont une certaine conscience sociale. Ils partagent donc ces aspirations avec les socialistes qui commencent à faire entendre leur voix à la fin du dix-neuvième siècle. La différence fondamentale est que ces derniers considèrent le socialisme municipal des Libéraux à Glasgow comme la base d’une société nouvelle et non comme une fin en soi2.

Cette activité municipale ne va pas sans prêter le flanc à la critique. Glasgow y gagne la réputation d’un autoritarisme civique plus développé que partout ailleurs en Grande- Bretagne3. La Scottish Law Review décrit Glasgow en 1905 comme « l’oppresseur de l’ouest » et l’accuse d’utiliser le parlement comme chambre d’enregistrement de ses décrets4.

Imperméable aux accusations de collectivisme et de bureaucratie5, la municipalité poursuit le développement de ses services et continue à étendre son territoire. La ville utilise sa puissance pour englober les bourgs avoisinants qui résistent pour certains autant que possible6. Cela ne l’empêche pas d’élargir ses limites administratives par vagues progressives jusqu’en 19757.

L’autoritarisme civique de la municipalité se décline aussi dans le domaine social. Checkland note que :

Les magistrats et les responsables de la ville maintenaient la discipline sociale d’une main de fer […]. Dans les rues, les magistrats mettaient en œuvre les lois de police locale avec une rigueur qui ne s’embarrassait pas de notions de libertés civiques quand elles s’appliquaient aux masses laborieuses ou aux chômeurs sans revenu. À Glasgow, on pouvait se faire arrêter au motif d’être « un voleur connu », une pratique qui donnait à la police des pouvoirs considérables. […] Même dans la période faste du laissez-faire, il est évident que les dirigeants de Glasgow

of all major exhibitions: to promote industry and commerce; to attract tourism, to educate; to entertain; and in general to project the city’s identity and enhance its prestige. »

1 « Home Rule ».

2 Elspeth King, op. cit., p. 12. 3 S. G. Checkland, op. cit., pp. 28-30.

4 Ibid., p. 29 : « the oppressor of the West ».

5 Ibid., p. 29 : « There seems little doubt that Glasgow Corporation had built for itself a tradition of things being done. In doing so it showed no fear of charges of being collectivist and bureaucratic. » 6 Michael Keating, op. cit., p. 6 : « The expansion of population gave rise to protracted series of skirmishes between the corporation of Glasgow, anxious to extend its boundaries to take in the whole built-up area, and the surrounding authorities. »

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adoptaient une vision positive, pour ne pas dire autoritaire, de leur rôle dans la fourniture d’équipements publics, la supervision de la moralité publique et la préservation de l’ordre public. Ils combinaient activisme municipal avec autoritarisme municipal d’une manière unique.1

Le système d’étiquetage des logements2 permet à la police de venir vérifier en pleine nuit le nombre de personnes qui occupent le logement. L’objectif est officiellement de prévenir la surpopulation des logements. T.C. Smout remarque qu’il ne s’agissait pas uniquement de cela. En effet, sur les 55 000 inspections menées pendant une année, seules 7 000, soit 13%, ont constaté un non-respect de la loi : « cet accès d’autorité en pleine nuit contrôlait et harcelait la population ouvrière, majoritairement irlandaise, dans les ghettos dangereux du vieux centre-ville »3. Cela l’amène à considérer ce système de ticketing comme totalitaire4.

Toutefois, il paraît utile de nuancer cette analyse avec celle que propose Edna Roberston dans sa biographie du docteur James Burn Russell5. D’un côté, il est évident que

1 S. G. Checkland, op. cit., p. 29 : « the city’s magistrates and officials kept a strong hand over social discipline […]. In the streets, the magistrates operated the local Police Acts with a rigour little inhibited by notions of civil liberties as they might apply to the labouring classes and to incomeless idlers. In Glasgow you could be arrested for being ‘a known thief ’, a practice which gave the police great power. […] Even in the great days of laissez-faire it is plain that the rulers of Glasgow took a positive, if not assertive, view of their fonctions, in the provision of public facilities, in the supervision of public morality and in the preservation of public order: they combined civic activism and civic authoritarianism in a unique way. »

2 « ticketing ». Par commodité, nous utiliserons par la suite ce terme. Il s’agissait de l’apposition d’une petite plaque en fer blanc (puis en fonte à partir de 1904 parce que les gens trichaient) au dessus de la porte d’un logement qui indiquait son volume et le nombre d’adultes qui étaient autorisés à y dormir. À cette époque, un enfant comptait pour une demie personne (Source : exposition permanente du People’s Palace). Dans les années 1880, une personne sur sept vit dans une « ticketed house ». En 1914, il y a 22 000 « ticketed houses » à Glasgow et six inspecteurs employés par Glasgow Corporation Sanitary Department inspecter les logements entre 23h30 et 5h du matin. Si le nombre d’occupants dans les logements dépassait de 30% le nombre autorisé, les locataires pouvaient être poursuivis. (T. C. Smout op. cit., p. 44 et Glasgow Museums, op. cit., p. 37)

3 T. C. Smout, op. cit., p. 49: « the rap of authority at midnight curbed and harassed a working-class population, largely Irish, in the dangerous ghettos of the old city centre. »

4 T. C. Smout in F. M. L. Thompson (ed.), Cambridge Social History of Britain, 1750 – 1950, Volume I:

Regions and Communities, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, cité par Edna Robertson, op. cit., p. 218.

5 James Burn Russell fut le seul directeur de la santé publique (Medical Officer of Health) à plein temps à Glasgow (1872 – 1898). Il est largement considéré comme ayant accompli un travail remarquable, bien que vigoureusement discuté, pour la reconnaissance et l’amélioration des conditions sanitaires dans les taudis de Glasgow. Son influence fut telle que la méthode statistique qu’il avait mise au point fut utilisée, sous une forme modifiée, jusqu’à l’abolition du poste de Medical Officer of Health en 1974. Il démontra clairement l’existence d’une corrélation entre dislocation sociale et maladie. Il est toutefois difficile de faire la part des choses entre sa propre contribution à l’amélioration des conditions sanitaires à Glasgow pendant sa période de responsabilité et l’apport d’autres forces en action dont il ne peut revendiquer la paternité : amélioration de l’habitat, baisse de la densité de population avec la construction de logements sur les terrains acquis après l’extension des limites

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les mesures prises par la municipalité en termes de régulation sociale et sanitaire semblent aujourd’hui extrêmement autoritaires, ce que Robertson ne nie pas :

Le système d’étiquetage des logements leur conférait des pouvoirs de surveillance qui n’existaient pas en Angleterre et, parallèlement, l’activité de l’Improvement Trust pouvait être considérée comme une opération de régulation sociale à grande échelle avec le déplacement des locataires difficiles à l’extérieur des quartiers centraux (ou leur confinement dans les maisons d’accueil gérées d’une main de fer) et leur remplacement par des éléments moins perturbateurs.1

D’un autre côté, il faut aussi remettre l’action de la municipalité dans le contexte social et moral de l’époque victorienne et ne pas oublier que les conditions sanitaires dans les tenements des quartiers ouvriers étaient effroyables et, comme l’a démontré avec beaucoup de précision le docteur Russell, à l’origine de la propagation des maladies contagieuses et de la mortalité très élevée dans les quartiers ouvriers2. Il se trouve donc que le docteur Russell, et à travers lui, la municipalité, avait avant tout comme tâche première – et considérable – de faire en sorte que la situation n’empire pas, avant d’établir des stratégies de santé publique à plus long terme3. Il en résulte que Russell s’est toujours positionné en faveur du système de ticketing des logements qu’il reconnaissait comme étant répressif mais nécessaire : « Il était conscient de la portée autoritaire de cette politique, qu’il décrivait comme ‘répressive’, mais il la considérait justifiée à cause de ce qu’il appelait le mal social de la surpopulation »4. Si les intentions de Russell sont louables sur le fond5 il administratives de la ville, eau potable en provenance de Loch Katrine. En d’autres termes, mesurer sa performance en tant que Medical Officer of Health reste un défi. Il n’est pas plus aisé de tenter une estimation du nombre de vies qui auraient été sauvées sans son action.

1 Edna Robertson, op. cit., p. 188 : « The ticketing of houses provided them with powers of surveillance which had no parallel in England, while the Improvement Trust operations could be seen as large-scale social engineering, with the dispersal of difficult tenants from the central areas (or their containment in strictly run model lodging houses) and their replacement with less disruptive elements. »

2 ‘Life in one room’, allocution prononcée au Park Parish Literary Institute, à Glasgow, le 27 février 1888. Reproduite dans Edna Robertson, op. cit., pp. 198-217. Le docteur William Gairdner, Medical

Officer of Health avant le docteur Russell, est lui aussi déjà en mesure de démontrer le lien existant

entre densité et taux de mortalité dans les années 1860 quand il est en charge de préparer le plan sanitaire de la ville (Brian Edwards, « Glasgow Improvements, 1866-1901 », in Peter Reed (ed.),

Glasgow, The Forming of the City, Edinburgh, Edinburgh University Press, 1999, p. 84).

3 S. G. Checkland, op. cit., p. 26.

4 Edna Robertson op. cit., p. 100. Russell pense qu’il faut aussi absolument punir les propriétaires rapaces et les facteurs peu scrupuleux. « He was conscious of the authoritarian thrust of this policy, which he described as ‘repressive’, but considered it justified by what he described the social evil of overcrowding. »

5 Edna Robertson note qu’à la lecture des ses écrits et conférences il ne fait aucun doute sur le fait qu’il « était « driven by compassion and a sense of outrage » (Edna Robertson, op. cit., p. 189). Voir S. G. Checkland, op. cit., p. 26 sur ce point précis. Pour une discussion sur les ambiguïtés de l’autoritarisme civique en matière d’hygiène et l’influence de la morale victorienne vis-à-vis des

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n’en reste pas moins que la pensée victorienne, dont il se revendique en tant que libéral unioniste, n’accorde aucune circonstance atténuante aux pauvres dont l’écrasante majorité est considérée comme complètement responsable de sa misère. À ce titre, les Irlandais sont très clairement stigmatisés, y compris par Russell, comme une sous-catégorie d’êtres humains méprisables qui se caractérisent par une propension marquée à la surpopulation et à la saleté1.

La municipalité traite de façon autoritaire les pauvres, qu’elle accueille dans les poor-

houses dont les règles sont draconiennes :

Tous les pensionnaires doivent se lever, se mettre au travail, cesser le travail et se coucher à heures précises, et prendre leurs repas pendant les pauses autorisées aux heures stipulées par la direction de l’établissement. Cet emploi de temps est rythmé par le son de la cloche.2

Les lodging houses mettent en avant la moralité, la sobriété, la propreté, l’ordre et la discipline. Il revient à un sergent des Third Argyll Rifles de s’assurer que les règles sont respectées. Cela est complété par la mise à disposition de bibles gratuites et la tenue de services religieux le dimanche. Il s’agit bien d’inculquer, par l’usage d’une panoplie de moyens paramilitaires, les valeurs du travail et de l’ordre aux masses laborieuses des taudis3.

La question de la régulation sociale n’est pas un thème nouveau de l’histoire sociale de Glasgow. En 1996, la municipalité interdit la consommation d’alcool dans les espaces publics. Plus de cent ans auparavant, en 1890, elle s’était imposé l’interdiction de prendre part à la vente d’alcool4. C’est au nom de ce principe qu’il lui avait été impossible d’installer populations pauvres, voir Edna Robertson, op. cit., chapitre 11 « Doors of the Poor : the 1870s »