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Quand une société est touchée dans son intégrité, comme c’est le cas du pays diola à partir de 1982, avec l’irrédentisme casamançais, elle cherchera des solutions pour panser

ses plaies. Il est dit que le « kajupen » est un rite pour réintégrer l’âme de l’individu qui est

sorti de son corps. Dans ce cas de figure, en touchant la jeunesse, c’est l’âme de la

communauté qui est atteinte. C’est la question même de la survie sociétale qui est ainsi

posée.

Comment se fait ce rite ? Tout repose sur un transfert d’âme, et donc de destins. Il

fallait échanger l’âme du « malade » contre celle d’un animal, généralement une chèvre.

Cela rappelle d’ailleurs les rites pour délier un individu de son « ewum » mal en point. Il

y’a comme une sorte de transfert des destinées qui se fait, dans la volonté de sauver

l’humain. Ce type de rituel n’est pas quelque chose d’exclusivement diola. Beaucoup de

sociétés ont connu dans leur histoire, des formes d’exorcisme ou de déliaison qui sont

surtout une façon pour le groupe concerné de se reconstruire face à l’adversité. Même si

dans les religions catholique et musulmane, ces rites sont appliqués à un individu, ils

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mobilisent toute la collectivité. La possession est présentée comme une gangrène qui

atteint le groupe, et dont il faut se débarrasser. Sinon, ce mal va finir par détruire tout le

groupe. C’est ce qui justifie les déliaisons de groupe comme le « kajupen » pour ancrer à

nouveau la communauté dans sa terre.

Très souvent, dans les sociétés africaines, il s’agit d’une confrontation à une

nouvelle religion, c’est le cas avec la christianisation et l’islamisation de l’Europe, ou avec

une nouvelle culture. Dans ces cas, la figure hostile de l’étranger est le mal inconscient à

éradiquer. Par contre, en contexte migratoire, ce sont les repères de l’individu qui sont

menacés. Lui, l’étranger, est fragile, et ne peut pas compter sur son groupe pour répondre

aux bouleversements sociaux qui s’opèrent en lui. En fait, c’est la question de la survie de

l’individu, mais aussi de la cohésion du groupe qui est pointée ici. Car, nous ne pouvons

ignorer que le départ et donc l’éloignement d’un membre du groupe, peut être considéré

comme une forme d’amputation qui peut être douloureusement ressentie par le reste du

groupe. A partir de là, il importe pour l’ethnie de se reconstruire, et de récupérer

rituellement l’organe manquant de son anatomie. Il n’est pas impossible de voir cela

comme une forme de résistance de l’ethnicité. Le contexte migratoire permet de voir

l’ethnicité confrontée aux réalités des transformations sociales. Nous pouvons dire que

c’est l’un des facteurs qui permet à une ethnie de se construire pour se conformer à l’ethnie

telle qu’elle est pensée par Barth. Certes, dans ce cas, il y’a toujours le risque de

survalorisation des rites. Mais c’est souvent parce que avec les nouvelles religions, il y’a

une déperdition des valeurs de l’ethnie. Il y’a un instinct de survie qui se manifeste et

favorise la crispation identitaire. Il est intéressant de noter que le terme utilisé pour décrire

l’état du malade signifie « il est sorti ». Cette expression « il est sorti » est assez souvent

utilisée dans le cas d’un émigré aussi, « na pupur ». Cette analogie met l’accent sur la

situation du migrant qui est écartelé entre deux cultures, et qui a besoin de béquilles pour

sauvegarder son identité. Au même titre que le malade qui est « sorti » de lui-même, c’est

l’intégrité du migrant qui est malmenée et ce dernier a donc besoin d’être réintégré. Nous

pouvons expliquer les projets et programmes autour des immigrés, notamment les

associations comme des moyens pour réintroduire l’immigré dans son entité naturelle.

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I.4.2 Les femmes diolas : gardiennes et protectrices

Au-delà de la personne, il s’agit surtout de la société qui a besoin d’être soignée et

de garder son entité intacte. Elle conçoit des scénarios pour renforcer sa cohésion.

Les femmes interviennent pour ainsi dire beaucoup dans les rites conçus pour

sauver l’individu. Ainsi pour conjurer le sort ou pour mettre en garde, les femmes diolas

peuvent faire le tour du village en enlevant leur pagne pour chasser les mauvais esprits.

Cette opération est très crainte. Aucun homme ou aucune femme n’ayant pas connu la

maternité ne doit y assister. En général, les populations non concernées, sont prévenues et

se barricadent lors de ces séances. Ceci montre que la nudité d’une femme est très

fortement ritualisée. Elle ne doit pas être exhibée sans raison. Dans ce cas, elle est une

arme dont se servent les femmes quand le groupe est en danger. Nous pouvons remarquer

une certaine image donnée aux femmes. Celle-ci obéit aux fonctions traditionnelles

dévolues aux femmes diolas. Elles sont une pièce centrale dans la notion de personne chez

les diolas. Et cela d’autant plus qu’elles sont reconnues femmes avec la maternité. En

dehors de ce rôle de reproduction de la société, il est difficilement concevable pour une

femme d’être considérée dans la société diola L’homme est abouti avec le bukut, la femme

avec la maternité. Il est donc logique qu’elle soit au cœur de la construction de la personne.

La division des sexes est bien exprimée ici. Il est bien normal qu’il y ait des sanctions en

cas de transgression.

I.4.3 Les ukin, protecteurs de la personne

Certes, il y’a une division des sexes, qui assigne à chaque personne une fonction

bien définie. Certes, il y’a le fameux ñiñi qui veille sur le respect de ces règles, mais

n’oublions pas qu’il s’agit de règles qui concernent les deux sexes. Il est fait mention dans

beaucoup de travaux sur les diolas, qu’il y’a tant chez les diolas traditionnalistes que chez

les diolas musulmans, un interdit frappant les femmes en état de menstrues. Les rites diolas

arborent le sang menstruel. Il faut par ailleurs noter que le sang est fortement ritualisé dans

les sociétés diolas.

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