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Le début de l’acceptation d’un individu et de sa construction commence dès

l’accouchement de la mère. Nous pouvons même la situer à la conception. La belle-sœur,

ou « ariman

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» manifeste l’acceptation de l’enfant à naître au cours de la grossesse de la

future parturiente. La naissance intègre tout individu dans un groupe. L’enfant diola

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« añil

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» est accepté par des rites qui en font un membre à part entière de la communauté.

Le rituel marquant en milieu traditionnel diola commence par le fait d’enterrer le placenta

dans le village natal et d’origine. Ce geste constitue le premier pacte de l’individu avec sa

terre. C’est un lien irrémédiable avec le village. Par ce rituel, l’enfant est ancré dans son

territoire. Ce qui peut expliquer quelque part l’attachement viscéral avec leur village que

les Diolas ont, d’autant plus qu’il ne faut pas oublier que le peuple diola est riziculteur. Par

conséquent tout tourne autour d’une terre bien définie…. Cela peut également expliquer

cet attachement à la terre. Cela crée une identité locale très forte. Nous pouvons comparer

ce geste d’attachement de l’individu avec un groupe, au baptême dans les autres sociétés.

Nous pouvons nous interroger sur la naissance hors du village et donc loin de la terre des

ancêtres. Comment est reconnu le nouveau-né ? Quel est le traitement du placenta ? Il

semble que certains l’envoient pour l’enterrer dans l’enceinte villageoise. Le placenta d’un

étranger ne saurait être enterré dans le village s’il y est étranger. Nous pouvons d’ailleurs

comprendre que chaque individu est enterré dans le village où se trouve son placenta. Cette

logique se vérifie par le fait, que toute société reconnaît les siens et les fait adhérer dans

leur communauté par des rites. La religiosité des actes renvoie à la sacralité du pacte entre

l’individu et sa terre, « etamay

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». Cet acte peut être lu comme une allégeance, une

soumission à la terre des ancêtres. A partir de là, l’individu quelque-soit son lieu de

résidence appartient à une instance religieuse, « ukin » à qui il va revenir à la fin de sa vie

terrestre. Le traitement de la mort est d’ailleurs très significatif. L’au -delà chez les diolas

conçoit plusieurs destinations entre autres celle prévue pour ceux qui sont destinés à

renaître et ceux qui sont voués à errer pour expier leurs péchés. Les modes d’enterrement

sont un bon indicatif de la suite du défunt. Chaque individu selon son état, son âge est

traité.

Un musulman ne le devient qu’à partir du moment où un érudit le reconnaît devant

ses autres coreligionnaires. De la même façon, un juif ne le devient que lors du baptême

par le rabbin qui le circoncit.

Ce rôle d’intégrer ou mieux de reconnaître est dévolu aux femmes, dans les sociétés

diola, par l’enterrement du placenta chez les Diolas kujamat traditionnels. De la même

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Añil : Enfant

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façon, chez les Diolas islamisés, ce sont les femmes qui admettent le nouveau-né dans la

cellule familiale. C’est toujours la belle-sœur qui porte dans ses bras, le nouveau-né, lors

de l’imposition du nom, et non la mère, ou un membre de la lignée maternelle. Le lieu

d’imposition du nom est très important. Il serait mal vu que ce jour où le patrilignage

accueille un nouveau membre soit délocalisé ailleurs que chez un membre du lignage

paternel, et surtout pas le lignage maternel. La résidence a son importance. N’oublions pas

que c’est une communauté virilocale. Nous ne pouvons ignorer les conditions préalables

cependant à cette admission dans ce groupe. Il faut déjà être de parents, principalement

d’un père du village concerné, pour être reconnu comme un membre. La filiation

maternelle ouvre cependant à d’autres droits.

De la même façon, l’enterrement d’un individu signifie son appartenance au lieu où

il est mis en terre. Un diola ne saurait, en conséquence, être enterré théoriquement que chez

lui, là où ses ancêtres l’ont été avant lui. Nous conviendrons qu’en milieu migratoire, il est

difficile de respecter ce retour à la terre. Des rites permettent de ramener l’individu chez lui

dans ce cas. Cela nous permet de souligner « Etamay », la terre, comme le marqueur

identitaire fondamental diola. Il est lié à la notion de personne chez les diolas. Le territoire

est intrinsèquement lié à l’individu. Nous verrons que partout où il est, le Diola porte en lui

sa terre. Il sera au cœur de son existence et motivera ses décisions, quelque-soit les

nouveaux identifiants qu’il aura adoptés. « Esukey

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», le village est le premier identifiant à

l’étranger. C’est aussi le premier bouclier du diola.

Cette notion de terre des ancêtres prend toute son importance dans le cas de

l’enterrement des étrangers en terre diola. Nous en voulons pour exemple, le cas du village

de Baïla

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, que nous avons suivi, et qui peut illustrer cette question. Il y’a le cimetière des

étrangers qui accueillent les étrangers et leurs descendants. Ce cas n’est pas isolé. Puisque

nous retrouvons le même principe dans beaucoup d’autres villages diolas, où l’étranger, à

sa mort, est enterré hors du cimetière des autochtones (dans la conception diola, l’étranger

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Esukey : le village

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enterré dans un village repart chez lui. Il est donc logique que ceux qui doivent partir ne

soient pas enterrés avec ceux qui restent pour reconstituer le village dans l’au-delà..). Si

par contre, il n’y a pas de cimetière d’étrangers, le migrant est enterré au milieu du

cimetière. Une des explications données, est que celui qui vient d’ailleurs, n’appartient pas

à la terre. Il ne saurait être ancestralisé en conséquence, dans le village où il réside. Il faut

néanmoins préciser que nous n’avons pas ici un vrai culte des ancêtres comme on pourrait

le trouver dans certains endroits. Les diolas vouent un culte à leurs ancêtres, à travers des

rites comme le « kanew

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», le fétiche de la corde de la filiation. Ceci pourrait expliquer

qu’un étranger ne puisse être intégré dans ce rituel, puisqu’il n’est pas un élément d’aucun

lignage de son village d’adoption. L’exemple du village de Baïla est très illustratif, compte

tenu du rôle historique

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que ce village a joué pendant la colonisation.

Mais au-delà de cet aspect, il y’a le fait qu’il y’a une suspicion de l’étranger qui

vient de l’inconnu et qui peut être porteur d’une bonne mais aussi d’une mauvaise aura

pour le village. L’isoler permet de l’écarter, ou le mettre au milieu est un moyen de le

surveiller. Un autre point important également dans la société diola, est l’espace et son

occupation.

Le village diola est la personne morale garante de tous les enfants du village,

quelque-soit leur lieu de résidence. Il est courant que ses derniers l’interpellent comme un

individu. Cette importance accordée à son « esuk » implique une autonomie, voire une

indépendance de chaque village diola. Il n’est pas dit qu’il n’y ait pas de relations entre

villages voisins. Mais la gestion de chaque entité dépend en priorité de ses habitants. Il n’y

a pas une chaine qui les rattache les uns aux autres. D’une certaine façon, la vassalité est

absente de la gouvernance des villages diolas. Il peut être question de pacte temporaire,

d’entente rituelle ou une autre forme de partenariat, mais la dépendance qu’accompagne la

vassalité d’un lieu envers un autre est absente des modes de gouvernement des diolas. Le

découpage d’une terre revêt trois aspects : physique, social et rituel.

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Kanew : le « fétiche » de la corde

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Le découpage physique comprend les quartiers et sous quartiers, qui ont leurs

fonctionnements et organisations sociales, d’où un découpage social. Le découpage rituel

est plus difficile à décrire. Nous rentrons dans la sacralité. Mais retenons que chaque

famille, chaque sous quartier et chaque quartier a sa place forte où se déroulent les rites

collectifs, en dehors des autels de « ukin » pour les villages qui les ont encore conservés.

Malgré les nouvelles religions, il y’a encore des restes de ces autels, notamment le

« kanew » qui est l’une des dernières instances supérieures survivantes.

Les Diolas, pour la plupart sont actuellement islamisés ou évangélisés, mais le lien

avec la terre reste très fort. Les religions ont participé aux nouvelles constructions

identitaires et ont renforcé des différences entre personnes à l’origine du même groupe. Il

y’a une fracture sociale qui est venue s’ajouter et qui est liée à l’appartenance religieuse. Il

y’a d’un côté un rejet des religions traditionnelles de la part des adeptes des religions

importées. Mais au sein même de ce groupe de nouveaux croyants, il y’a une scission entre

chrétiens d’un côté et musulmans de l’autre. Le rejet de l’Islam au début de l’islamisation

de la Casamance peut se justifier par ces interdits qui s’attaquent à des fondamentaux de la

vie diola. Le porc et l’alcool sont très présents dans la cosmogonie ajamat. Or ce sont deux

interdits majeurs dans l’Islam. D’aucuns déplorent également la rapidité avec laquelle est

mis en terre un défunt musulman, empêchant de ce fait, de faire la cérémonie funéraire

diola « kalinten

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», qui s’étale sur plusieurs jours. Les rejets concernent toutes les

religions. Il est peut-être plus simple de parler de méfiance entre ces nouvelles classes

fondées sur les croyances des uns et des autres.

L’enterrement du défunt diola est une façon de préparer le retour de l’individu

parmi les siens. Nous avons remarqué plusieurs modes d’enterrement.

Il y’a comme spécifié plus haut une destination pour ceux qui sont admis à revenir

et une autre pour ceux qui sont condamnés. La notion d’un paradis est très présente ici :

Bukin ou Bukinab, parfois Esunay

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I.2.1.2 vie, mort et migrations

Dans la pensée diola, les personnes qui ont fait le bien de leur vivant, iront après

leur mort au « bukinab

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». Le radical « kin » renvoie à l’idée de l’habitat. Le terme est

plus complexe qu’il ne se présente. Mais l’habitat en question est plus profond. Il s’agit

plus de la fondation de l’habitat qui est soulignée dans ce terme. C’est donc l’appartenance

à la terre qui est mise en avant. Il n’y a que les bonnes personnes qui doivent retourner à la

terre des pères et retrouver les leurs. S’agissant du « bukinab », il est courant chez les

diolas de dire que la vie est plus belle là-bas. Cela explique certains propos, notamment le

fait de dire à un individu qui ne mange pas qu’il a certainement mangé au « bukinab ». De

la même façon, une bonne senteur est un rappel de l’existence et de la proximité du

« bukinab ». On peut penser que c’est aussi le Bukinab qui fixe le village de manière

immuable et qui oblige à revenir sur cette terre. On peut considérer que si les habitants

peuvent déplacer leur maison, ils ne peuvent pas déplacer celui de leurs ancêtres qui

occupent le Bukinab, ou Esuney

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.

Si les diolas aspirent à rejoindre « bukinab », leur grande hantise c’est de prendre

l’autre destination après la mort. Un individu qui a fait le mal de son vivant va revenir

hanter les gens. Il deviendra « apura pur

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». Là également nous avons un radical « pur

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»

qui à lui seul suffit à dire comment est considéré l’individu et comment il a vécu avec ses

parents. Ce terme peut se traduire par « quelqu’un qui est sorti ». Il est rejeté par la terre et

aussi par les ancêtres du Bukinab. Le revenant « apura pur » qui a souillé les terres de ses

ancêtres va errer dans son village à la tombée de la nuit, et finira par s’installer dans un

autre village où il n’est pas connu. Puisque ce paradis diola lui est interdit, il est condamné

à expier ses péchés sur terre. Il y’a d’ailleurs chez les Diolas des récits de familles dont

l’aïeul est dit être un revenant issu d’un autre village et venu se réfugier dans une autre

75 Bukinab : le paradis chez les diolas

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Esuney : on peut traduire ce terme par le sanctuaire des origines d’un village, d’une famille

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Apura pur : un revenant

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famille et dans un autre village. Dans ces cas, la personne qui est sous la protection d’une

famille est rituellement hors d’atteinte et ne peut plus être exclue du village. Au-delà de la

vision que les Diolas ont de la mort, il y’a aussi une certaine approche des migrations. Il

faut une raison vitale pour partir de chez soi. La migration ne saurait être volontaire, si l’on

conçoit le migrant comme un errant qui vient se réfugier dans un autre village, loin des

siens. Cela veut dire que l’attachement que le Diola a avec les terres des ancêtres est si

profond qu’il ne saurait partir sans une raison valable. Il faut dire que l’un des motifs de

migrations valables est l’exil. C’est même le principal au début des migrations diolas. Il

y’a une certaine notion de l’honneur aussi chez les Diolas qui fait que l’individu en rupture

avec les siens s’exclut de facto et abandonne tout pour sa survie. Nous avons répertorié

entre autres raisons d’exil, les crimes de sang. La vision d’un groupe guerrier et

sanguinaire est assez exagérée à notre sens. Nous avons constaté des règles drastiques

concernant les crimes de sang. Le sang est fortement ritualisé chez les diolas. Le premier

interdit à ce propos concerne les non-initiés et les femmes. Il ne leur est pas permis de tuer

par effusion de sang, même dans un contexte de guerre. A propos des futurs initiés, il leur

est interdit toute effusion de sang, même du sang animal. Cette coutume a longtemps

perduré et perdure encore chez certains diolas. Nous pouvons comprendre que le symbole

du sang d’une femme et celui de l’initié représente l’avenir et la survie de la société. Nous

sommes dans un contexte traditionnel, avant l’islamisation et l’évangélisation des diolas.

Avec les influences extérieures, cet interdit est transgressé par les nouvelles générations,

qui parfois, l’ignorent. En fait, il est tout simplement interdit, de verser le sang en dehors

de tout cadre rituel. La guerre est soumise à des règles que l’on ne saurait ignorer. Il n’est

par exemple pas permis à un guerrier de tuer plusieurs personnes. En outre, le fait de verser

du sang expose l’auteur et sa descendance à de très lourds sacrifices

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.

Les crimes de sang hors du cadre de guerre sont une atteinte à l’harmonie sociétale.

Le transgresseur de cet interdit de crime de sang est tenu d’ailleurs de faire de très lourds

sacrifices à l’instance chargée des affaires du meurtre, le restant de sa vie. Il s’y ajoute le

risque d’un bannissement, qui est une punition extrême pour les diolas.

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Cela serait valable pour les militaires ou les policiers qui dans le cadre

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