qu’un enfant puisse comprendre et donc avoir un comportement qui n’est pas de son âge.
Le traitement rituel préconisé a pour résultat un choc psychologique qui traumatise l’enfant
et le fait se renfermer sur lui. Il lui est interdit de s’exprimer et de montrer ses
connaissances, il va se bêtifier pour trouver sa place d’enfant dans sa société. C’est une
question de survie, que dans son intelligence précoce, l’enfant va intégrer. Nous avons
discuté avec une jeune femme qui a été un de ces enfants. Elle raconte que sa mère ne
supportait pas ses visions
99, et qu’elle lui rapporte certains faits, qu’elle était seule à voir.
95
Yaradal : se dit d’un enfant né après plusieurs naissances infructueuses ou infertilité
96
Akungá : individu doté de double vue
97 Eteindre un enfant : faire selon des rituels en sorte que l’enfant n’ait plus de visions
98
kusay : sorciers anthropophages
99
Visions : ici il s’agit des images que l’enfant voyait. On pourrait comparer cela à une imagination débordante de l’enfant.
78
Un jour, sa grand-mère l’a donc éblouie et elle s’est endormie pour se réveiller avec des
trous de mémoire. Elle ne se souvenait pas de beaucoup de choses qui lui étaient pourtant
familiers. Nous nous sommes renseignées sur la méthode utilisée. Les gens qui ont subi ce
rituel parlent d’un canari rempli d’anchois fraichement pêchés et donc frétillants qu’on leur
demande d’ouvrir, à une certaine heure du jour. N’étant pas préparé à la vision incongrue
de ces petits poissons, l’enfant effrayé, va sursauter et s’évanouit en général pour tomber
dans un profond sommeil amnésique.
Comme toute société, celle des Diolas a ses croyances, mais surtout sa philosophie
de la personne, « anaw
100» depuis sa conception. Il s’agit ici de l’être plus que de
l’homme.
Nous avons remarqué l’aspect individualiste de ce groupe, même si nous l’avons
démontré plus haut, ce dernier est enchâssé dans un collier de relations familiales. Ce qui
peut expliquer qu’il y’aie certaine naissance qui soit difficilement vécue.
C’est le cas des naissances gémellaires. Les jumeaux sont très mal acceptés dans la
société diola. L’Être est unique et ne saurait être multiple. Il était dit d’ailleurs que très peu
de jumeaux survivent. Il y’avait un des jumeaux qui ne sortait jamais de la maternité.
Etait-il sacrifié ? La question mérite d’être posée. Nous ne pouvons que constater la crainte de
naissances multiples et surtout la rareté de jumeaux chez les diolas traditionnels. Est-ce dû
à des conditions de vie difficiles sur le fait que les jumeaux ne survivaient pas ? Il faut
préciser que la mère de jumeaux avait un « bœkin » « bulunt
101» dont elle pouvait être
l’officiante chez les diolas kujamat. La dualité de la personne est très mal perçue.
L’enfant diola « añil
102» n’existait que tardivement aux yeux de son groupe. Nous
pensons que pour les Diolas, il était important d’être sûr que l’enfant était un humain avant
100
Anaw : l’être (humain)
101
Bulunt : « fétiche » de la gémellité
102
79
de lui donner un nom, le reconnaissant ainsi comme un membre de la société. C’est
pourquoi nous préférons la traduction de « anaw » par l’être et non l’homme. La tradition
diola restait très prudente sur la question et attendait que l’enfant soit suffisamment assis
dans son groupe et complètement coupé de son lieu de provenance pour le socialiser dans
la communauté. Dans le cas contraire, il était fréquent d’entendre dire « kanut an
103», ce
n’était pas un humain. Comment étaient traités ces non humains ? La question mérite
d’être posée. Nous ne pouvons que nous interroger et constater la difficulté d’obtenir des
informations sur la question. Comment reconnaît-on qu’un enfant n’était pas un humain ?
Rappelons que nous avons affaire à une société qui ne cautionnait pas le handicap et
rejetait toute faiblesse physique et mentale. Il est tentant d’y voir une sélection très
discriminante qui sacrifie tout membre déficient qui serait une charge pour le groupe. Nous
ne pouvons pas ne pas penser aux maladies rares qui restent encore inexplicables pour la
médecine moderne. Mais apporter des réponses serait tout aussi expéditif et arbitraire. Ce
n’est pas sans rappeler le traitement des enfants difformes dans la Grèce antique et dans
d’autres civilisations anciennes. Il serait intéressant cependant de se pencher sur cette
question délicate. L’infanticide rituel est un sujet que les chercheurs n’ont pas totalement
abordé. Il est difficile dans ce cas précis d’apporter plus de réponses. Nous sommes
bloquées par la sacralité des rites qui ferme tout accès à l’information. Nous avons
néanmoins pu obtenir quelques informations sur ce phénomène. Tout commence depuis
l’accouchement. Celui-ci se déroulait dans la maternité traditionnelle, espace exclu aux
hommes. La délivrance d’une femme est liée à la vie de la société, comme nous l’avons
spécifié. La naissance l’était aussi. Les femmes admises et en charge des accouchements
étaient expérimentées et pouvaient détecter la non humanité
104d’un nouveau-né. Si après
la délivrance de la mère, les plus âgées, « ku fálum
105» constatent que l’enfant était un
« non humain », elles se concertaient en aparté, puis prenaient une décision. Il était déclaré
que l’enfant est mort-né. Ce sera cette thèse qui sera soutenue auprès du groupe, y compris
auprès du père de l’enfant. Il y’a plusieurs types de « non humain ».
103
Kanut an : ce n’est pas un humain
104
Non humanité
105
80
Le premier est celui qui sera une charge pour ses parents et sa société. Il est
Dans le document
Enjeux de pouvoirs et rapports au pays d’origine dans les associations d’immigrés diola en France
(Page 78-81)