La difficile cohabitation entre ces personnes dans un contexte migratoire peut
s’expliquer aisément, ayant hérité d’une culture qui ne les prédispose pas à la mixité. Les
grands événements qui sont aussi des moments de retrouvailles entre les migrants diolas
permettent d’observer les interactions entre ces populations.
136
I.3.7 Rites d’intégration, prérogatives des femmes
Nous disions donc qu’être diola c’est depuis la naissance. Il y’a une reconnaissance
et acceptation dans la communauté, qui fait de chaque individu un membre de sa société.
Ne négligeons pas cependant l’acceptation de l’individu. Nous verrons que c’est un facteur
important surtout pour les diolas qui sont nés en contexte migratoire, fut ce en Europe ou
même dans les autres régions du Sénégal. Il ne suffit plus de naître diola, il faut aussi
accepter d’être de ce groupe. C’est dire qu’on ne nait pas diola, on le devient, et on
apprend à l’être de la même façon qu’on ne nait pas femme, on le devient, pour reprendre
les propos de Simone de Beauvoir
142. Cela est d’autant plus vrai quand on est loin du
territoire diola, et donc des outils locaux de construction identitaire diola.
Chaque communauté a ses rites d’intégration. C’est aussi le cas chez les diolas.
Nous avons suivi certaines de ces procédures dans les organisations lors des
grandes cérémonies qui rythment la vie familiale en France.
I.3.8 La naissance
La première étape est, nous le pensons, la naissance. C’est sûrement le cas, pour
beaucoup de cultures. Il nous aurait été peut-être possible de remonter cette reconnaissance
lors de la conception ou encore à partir du moment où la future mère se rend compte de son
état. Mais la pertinence des rites liés à la naissance a perduré dans le temps et nous
semblent plus parlant à l’heure actuelle. Les rites se sont édulcorés à la faveur du temps et
la distance d’avec le pays d’origine qu’impose la migration. Toutefois, il importe de
souligner que, quel que soit le moment choisi, la naissance ou la grossesse, reste dévolue
aux femmes du patrilignage. La maternité est un domaine réservé aux femmes.
142
137
A la naissance d’un individu, ses tantes l’introduisent rituellement dans le
patrilignage, et ce quel que soit les convictions religieuses des parents. Il serait plus
adéquat de dire que l’individu est accepté comme un membre du patrilignage. Cette partie
qui consacre la « diolaité » du nouveau venu est très importante. En contexte migratoire, il
arrive que pour des raisons liées à la distance, l’on prenne une femme se rapprochant du
lignage pour officier lors de la cérémonie d’acceptation du nouveau-né. Nous verrons ici
l’importance des nouvelles associations liées au patronyme. Ces nouvelles formes de
regroupement appelées « jamoral » vont palier à l’absence de famille dans certains cas. Le
terme utilisé « filaf » pour les désigner insiste sur l’appartenance à une filiation commune,
et en appelle à l’origine des membres qui seraient issues d’une même famille au départ. En
effet, avec la distance d’avec le lieu d’origine et donc du groupe de départ, la famille est
réinventée, et de nouveaux liens se créent à la faveur de l’immigration.
Plus qu’un terme, « filaf » est un concept qui fait directement appel à la filiation.
Nous retrouverons d’ailleurs cette philosophie de la filiation dans des associations reposant
sur le nom de famille et donc la généalogie en France.
Cette fonction des femmes va au-delà des religions. Ce qui nous permet d’avancer
que c’est une tradition typiquement diola. Le statut des femmes en milieu diola est assez
complexe.
Prenons le cas d’une famille diola musulmane. Lors du baptême, c’est une ariman,
cousine du patrilignage du père de l’enfant qui porte le nouveau-né dans ses bras, lors de
l’imposition du nom. Il ne s’agit donc nullement de la mère, ni d’un quelconque membre
de sa famille. L’enfant appartient au père. Il est donc normal que ce soit ses « asom »
tantes paternelles qui l’accueillent dans la famille. Mais il est difficile de comprendre si
l’on ne se réfère pas au système de parenté tel qu’il est pensé chez les diolas.
La filiation chez les diolas est la base de la parenté. C’est peut-être le cas pour la
plupart des sociétés. Nous allons néanmoins analyser celle de la communauté diola. Il faut
déjà définir la notion de « ariman » ou belle-sœur. Le terme générique « kuriman » désigne
138
l’ensemble des femmes du patrilignage. Le terme le plus globalisant, « furimanaf » va plus
loin et intègre au-delà des femmes, les fonctions et les droits et devoirs de ces femmes. Au
sein de cette catégorie de personnes dans la famille, il y’a une catégorisation selon la
parenté, qui sépare les nièces, les petites filles et les tantes. C’est donc la tante paternelle
du nouveau-né qui le porte dans ses bras, lors de son baptême. Ce n’est presque jamais la
sœur du père, mais une cousine de la même concession, « fankaf
143», qui joue le rôle de
marraine de l’enfant. Dans les usages diolas, les parents les plus proches, comme les frères
ou les sœurs ne sont pas les plus visibles lors des grands événements comme les mariages
ou baptêmes. C’est une façon, de mettre en avant la grande entité qui compte le plus, la
concession, mais aussi de souligner l’importance du patrilignage, et donc de consolider les
liens qui unissent les membres du patrilignage. C’est peut-être une façon ausside prévenir
la subjectivité liée au fait qu’en tant que parents directs, on n’est souvent pas assez
objectif.
Il importe de distinguer « fankaf » la concession de « filaf
144» qui est la filiation. A
ce propos, il est intéressant de préciser que le mot « filaf » est construit à partir de « fil »
qui désigne le sein maternel. De là, à supposer que nous sommes en face d’une société qui,
bien que reconnue comme patriarcale et virilocale, repose sur la lignée maternelle. Nous
comprenons mieux la place qu’occupent les « kuriman
145» dans ce système de parenté.
D’autre part, nous ne pouvons pas ne pas penser à la parenté biologique que traduit « filaf »
Dans le document
Enjeux de pouvoirs et rapports au pays d’origine dans les associations d’immigrés diola en France
(Page 136-139)