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Ces complexités sont dues de prime abord au fait que les Diolas ne s’auto définissent pas forcément comme un seul groupe homogène. Ils ne se voient pas forcément

comme une seule entité. Ceci peut expliquer qu’il n’y ait pas une véritable grande Identité

diola. Même si les revendications d’un état casamançais portées par des diolas peuvent en

donner l’illusion.

Déjà, le terme « diola

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» n’était pas à l’origine un terme qui appartient à cette

population et n’est pas contenu dans le vocabulaire diola. Il convient cependant de préciser

que le Diola appartient au groupe de langues bak, dans laquelle nous retrouvons le

Manjaque, le Mancagne, le Pepel entre autres. Ces populations partagent des rites

similaires en outre. Nous en revenons ainsi à l’altérité. Plusieurs explications sont données

pour justifier que ce terme s’applique pour nommer ces peuples. Ce n’est cependant pas un

fait isolé en Afrique. En effet, avec la colonisation et les nombreuses incompréhensions

linguistiques, les premiers recensements ont rebaptisé beaucoup de groupes. Ces

dénominations sont reconnues comme arbitraires et font souvent l’objet de revendications

de la part de certaines populations soucieuses de revenir aux origines. Ces appellations se

basaient souvent sur un fait, sur un terme que l’on trouve dans la langue des populations

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concernées. C’est le cas par exemple, chez les « Bétés

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» en Côte d’Ivoire. Ce n’est par

contre pas le cas chez les Diolas. Puisque ce terme, à l’origine, ne faisait pas partie du

répertoire linguistique diola. Cette qualification est un témoignage des rapports entre ces

peuples avec leurs voisins ou les peuples avec lesquels ils ont eu à un moment donné des

relations. Ces rapports de l’altérité ont beaucoup influencé l’histoire de ces gens. Les

représentations réciproques des peuples cohabitant en Casamance transparaissent ainsi

dans les différentes appellations des uns et des autres. Comment l’autre est-il perçu ? Ainsi,

les Manjaques les ont baptisés « bacuki » qui signifierait « les premiers ». Cette appellation

souligne de ce fait la reconnaissance d’une autochtonie des Diolas en Casamance. Par

contre le terme « na’ariaato » que les Baïnunks utilisent pour désigner les Diolas ne nous

est pas familier. Nous ne sommes pas parvenue à en connaître la signification. « Diola »

est la dénomination officielle actuelle. Cette appellation est aujourd’hui adoptée par les

diolas eux-mêmes. Nous allons donc utiliser ce terme pour la suite de ce travail. Nous

partageons l’avis que l’ethnie diola s’est construite à partir du moment où ce terme les a

identifiés et désignés comme des Diolas. C’est certainement le cas de tout groupe de

populations. Pour suivre la théorie wébérienne, on peut qualifier d’ethnie tout groupe qui

partage des points communs, comme la langue, la couleur ou encore la culture. Ce sont là

l’une des premières approches sur les études des ethnies. Nous soutenons pour notre part,

que les ethnies modernes ne peuvent revendiquer une uniformité de couleurs. La survie de

tout groupe ethnique va, en conséquence, dépendre de sa capacité d’adaptation et de son

évolution dans le monde moderne. Autrement dit, pour survivre et ne pas disparaître,

l’ethnie doit se réinventer. Et cela, l’approche de Weber a ouvert la voie quand elle pense

le groupe ethnique comme comprenant des gens se réclamant d’ancêtres communs. Partant

de là, il est difficile d’assigner un individu dans une ethnie. Il y’a ainsi une porosité qui

permet à chaque personne de passer d’un groupe à un autre. Un Diola né en France, peut se

revendiquer français et revendiquer par la même occasion des traditions françaises. Pour

revenir sur les mots et leurs implications, l’histoire fait état de rapports très conflictuels

entre les Mandings d’un côté et les Diolas d’un autre. Les Mandings

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sont une des

premières populations, sinon la toute première à avoir conquis ces régions. Mais ce qui est

intéressant, c’est que la suprématie manding a duré dans le temps, et encore aujourd’hui les

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Bétés : groupes ethniques ivoiriens

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cultures mandingues sont encore bien perceptibles dans beaucoup de villages diolas,

surtout dans le Foñi. Plusieurs explications nous ont été données pour justifier l’usage de

ce terme. Il semblerait que les Mandings aient usé de ce terme pour nommer les Diolas. Ce

mot qui viendrait de « m’be jola » signifie dans leur langue « celui qui prend toujours sa

revanche ». Il paie toujours sa dette. Cette expression définit à elle seule une histoire des

relations entre populations voisines. N’oublions pas qu’il y’a eu un contexte de conquêtes

et de résistances. Les chefs mandings, dont l’un des plus connus, Fodé Kaba Doumbiya,

ont islamisé le Foñi, dès le 19ém siècle. Cette grande conquête ne s’était pas faite sans

résistance. Le terme diola peut s’expliquer donc. Le plus intéressant c’est la

réappropriation de ce terme par les Diolas eux-mêmes qui la complètent par une expression

« inje a jola, u san di kafatom, ni san di kafati »

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.La façon dont un peuple se définit, est

très parlante de la philosophie du groupe concerné. Les Diolas, si nous faisons foi aux

traditions orales concernant leur groupe, se sont toujours appelés « kujamat

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» au pluriel

ou « ajamat » au singulier. Cette auto appellation donne un sens à la notion de personne

chez les diolas. Plus qu’un mot, « Ajamat » est une définition qui nous permet de cerner le

système de pensée chez ces populations.

Nous retrouverons ce radical « jam » dans le « kujam

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». Ce terme globalisant

désigne les lois de la vie de famille. Si les « ukin » sont les garants de la vie des Diolas

dans leur quotidien, nous pouvons même considérer que c’est une sorte de code de la

famille des Diolas. C’est la notion du « kujam » qui signifie la sanction d’une transgression

d’un interdit fondamental dans les sociétés diolas, et qui marque les divisions entre

hommes et femmes, mais aussi entre ascendants et descendants. Cette particularité nous

enseigne beaucoup sur les processus d’individuation, et sur les places, rôles et fonctions de

chaque individu dans la famille. « Kujam » est une sorte de moyen de régulation de la

famille dans la législation diola. C’est la règle du vivre ensemble diola, qui fixe les limites

de chaque individu et lui offre un espace privé, d’où sont exclues les personnes les plus

56Je suis diola, si tu souilles mon champ (mon jardin), je souille le tien

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Ajamat, kujamat : ancien nom pour désigner les diolas

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Kujam (ak) : se dit d’un mal qui atteint la personne à l’issue d’une transgression des règles de divisions de sexes de la société

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susceptibles de menacer ce territoire : les ascendants d’un côté et de l’autre, le sexe opposé

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