comme une seule entité. Ceci peut expliquer qu’il n’y ait pas une véritable grande Identité
diola. Même si les revendications d’un état casamançais portées par des diolas peuvent en
donner l’illusion.
Déjà, le terme « diola
53» n’était pas à l’origine un terme qui appartient à cette
population et n’est pas contenu dans le vocabulaire diola. Il convient cependant de préciser
que le Diola appartient au groupe de langues bak, dans laquelle nous retrouvons le
Manjaque, le Mancagne, le Pepel entre autres. Ces populations partagent des rites
similaires en outre. Nous en revenons ainsi à l’altérité. Plusieurs explications sont données
pour justifier que ce terme s’applique pour nommer ces peuples. Ce n’est cependant pas un
fait isolé en Afrique. En effet, avec la colonisation et les nombreuses incompréhensions
linguistiques, les premiers recensements ont rebaptisé beaucoup de groupes. Ces
dénominations sont reconnues comme arbitraires et font souvent l’objet de revendications
de la part de certaines populations soucieuses de revenir aux origines. Ces appellations se
basaient souvent sur un fait, sur un terme que l’on trouve dans la langue des populations
53
49
concernées. C’est le cas par exemple, chez les « Bétés
54» en Côte d’Ivoire. Ce n’est par
contre pas le cas chez les Diolas. Puisque ce terme, à l’origine, ne faisait pas partie du
répertoire linguistique diola. Cette qualification est un témoignage des rapports entre ces
peuples avec leurs voisins ou les peuples avec lesquels ils ont eu à un moment donné des
relations. Ces rapports de l’altérité ont beaucoup influencé l’histoire de ces gens. Les
représentations réciproques des peuples cohabitant en Casamance transparaissent ainsi
dans les différentes appellations des uns et des autres. Comment l’autre est-il perçu ? Ainsi,
les Manjaques les ont baptisés « bacuki » qui signifierait « les premiers ». Cette appellation
souligne de ce fait la reconnaissance d’une autochtonie des Diolas en Casamance. Par
contre le terme « na’ariaato » que les Baïnunks utilisent pour désigner les Diolas ne nous
est pas familier. Nous ne sommes pas parvenue à en connaître la signification. « Diola »
est la dénomination officielle actuelle. Cette appellation est aujourd’hui adoptée par les
diolas eux-mêmes. Nous allons donc utiliser ce terme pour la suite de ce travail. Nous
partageons l’avis que l’ethnie diola s’est construite à partir du moment où ce terme les a
identifiés et désignés comme des Diolas. C’est certainement le cas de tout groupe de
populations. Pour suivre la théorie wébérienne, on peut qualifier d’ethnie tout groupe qui
partage des points communs, comme la langue, la couleur ou encore la culture. Ce sont là
l’une des premières approches sur les études des ethnies. Nous soutenons pour notre part,
que les ethnies modernes ne peuvent revendiquer une uniformité de couleurs. La survie de
tout groupe ethnique va, en conséquence, dépendre de sa capacité d’adaptation et de son
évolution dans le monde moderne. Autrement dit, pour survivre et ne pas disparaître,
l’ethnie doit se réinventer. Et cela, l’approche de Weber a ouvert la voie quand elle pense
le groupe ethnique comme comprenant des gens se réclamant d’ancêtres communs. Partant
de là, il est difficile d’assigner un individu dans une ethnie. Il y’a ainsi une porosité qui
permet à chaque personne de passer d’un groupe à un autre. Un Diola né en France, peut se
revendiquer français et revendiquer par la même occasion des traditions françaises. Pour
revenir sur les mots et leurs implications, l’histoire fait état de rapports très conflictuels
entre les Mandings d’un côté et les Diolas d’un autre. Les Mandings
55sont une des
premières populations, sinon la toute première à avoir conquis ces régions. Mais ce qui est
intéressant, c’est que la suprématie manding a duré dans le temps, et encore aujourd’hui les
54
Bétés : groupes ethniques ivoiriens
55
50
cultures mandingues sont encore bien perceptibles dans beaucoup de villages diolas,
surtout dans le Foñi. Plusieurs explications nous ont été données pour justifier l’usage de
ce terme. Il semblerait que les Mandings aient usé de ce terme pour nommer les Diolas. Ce
mot qui viendrait de « m’be jola » signifie dans leur langue « celui qui prend toujours sa
revanche ». Il paie toujours sa dette. Cette expression définit à elle seule une histoire des
relations entre populations voisines. N’oublions pas qu’il y’a eu un contexte de conquêtes
et de résistances. Les chefs mandings, dont l’un des plus connus, Fodé Kaba Doumbiya,
ont islamisé le Foñi, dès le 19ém siècle. Cette grande conquête ne s’était pas faite sans
résistance. Le terme diola peut s’expliquer donc. Le plus intéressant c’est la
réappropriation de ce terme par les Diolas eux-mêmes qui la complètent par une expression
« inje a jola, u san di kafatom, ni san di kafati »
56.La façon dont un peuple se définit, est
très parlante de la philosophie du groupe concerné. Les Diolas, si nous faisons foi aux
traditions orales concernant leur groupe, se sont toujours appelés « kujamat
57» au pluriel
ou « ajamat » au singulier. Cette auto appellation donne un sens à la notion de personne
chez les diolas. Plus qu’un mot, « Ajamat » est une définition qui nous permet de cerner le
système de pensée chez ces populations.
Nous retrouverons ce radical « jam » dans le « kujam
58». Ce terme globalisant
désigne les lois de la vie de famille. Si les « ukin » sont les garants de la vie des Diolas
dans leur quotidien, nous pouvons même considérer que c’est une sorte de code de la
famille des Diolas. C’est la notion du « kujam » qui signifie la sanction d’une transgression
d’un interdit fondamental dans les sociétés diolas, et qui marque les divisions entre
hommes et femmes, mais aussi entre ascendants et descendants. Cette particularité nous
enseigne beaucoup sur les processus d’individuation, et sur les places, rôles et fonctions de
chaque individu dans la famille. « Kujam » est une sorte de moyen de régulation de la
famille dans la législation diola. C’est la règle du vivre ensemble diola, qui fixe les limites
de chaque individu et lui offre un espace privé, d’où sont exclues les personnes les plus
56Je suis diola, si tu souilles mon champ (mon jardin), je souille le tien
57
Ajamat, kujamat : ancien nom pour désigner les diolas
58
Kujam (ak) : se dit d’un mal qui atteint la personne à l’issue d’une transgression des règles de divisions de sexes de la société
51
susceptibles de menacer ce territoire : les ascendants d’un côté et de l’autre, le sexe opposé
Dans le document
Enjeux de pouvoirs et rapports au pays d’origine dans les associations d’immigrés diola en France
(Page 49-52)