hommes, même si nous nous sommes rendu compte que souvent les initiatives sont
féminines.
Il y’a en fait d’un côté ce besoin d’homogénéiser de la part des migrants, voire de
s’intégrer dans la communauté française, et de l’autre cette crainte d’être dissout dans le
magma des communautés immigrées en France.
Nous pointons ces hésitations que rencontrent les diolas en France, au même titre
sûrement que d’autres groupes. La question en filigrane de toutes ces questions, c’est
comment être, comment exister en pays étranger. Il faut le dire, plus que le refus, la crainte
d’être différent, est très présente. C’est ce qui justifie cette nécessité de s’intégrer dans la
nation française ressentie par les migrants et leurs enfants. En cela, les diolas ne sont pas
différents des autres. Nous retrouvons les mêmes angoisses dans les autres groupes
migrants. Nous pouvons l’admettre au vu des politiques migratoires et des politiques de
gestions des questions relatives aux migrants. Au-delà, il y’a comme un besoin d’être
invisible que nous avons ressenti au contact des personnes rencontrées. Ne pas se faire
remarquer est devenu une règle tacite pour les migrants diolas, pour ne pas gêner les
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« français de souche ». Mais cette discrétion est décrite comme une qualité chez les diolas.
Il faut s’effacer et s’intégrer. Il nous revient la crainte de ne pas déclencher de pétition de
la part des français. Les migrants ont très tôt intégré la nécessité de se rendre invisible aux
regards des populations locales. Cette volonté est facilitée par le fait que ces migrants ne
vivent pas ensemble et sont en contact avec d’autres groupes. Les relations interethniques
sont à ce propos, assez intéressantes. Nous ne pouvons manquer de souligner la
contradiction entre intégration et existence en tant que groupe.
La survie de l’individu est donc intimement liée à celle du groupe. Et cela, même si
les velléités d’échapper à cet héritage existent de plus en plus. En somme, l’angoisse
existentielle des migrants diolas est très forte, et très marquée par le fait de vivre en terre
étrangère. Elle sera transmise aux descendants et va être un élément fondamental dans le
mode de fonctionnement des immigrés et dans leurs rapports internes et avec les autres.
La crainte de disparaître constitue de ce fait, un frein à la création de grandes
associations fédératives. En fait, il est tentant de parler de conscience du risque de la
disparition de la langue et des cultures diolas. Le village reste le dernier noyau dur, qui
rattache l’individu à son terroir. C’est le symbole de son importance. Car qu’est ce qui fait
l’individu, si ce n’est un ensemble de valeurs, une histoire qu’il a acquis de ses ascendants
et qu’il va transmettre à ses descendants ? Nous pouvons donc comprendre que s’intégrer
peut-être vécu comme une forme d’aliénation pour une grande majorité de diola.
L’individuation chez les diolas est certes très forte, mais ne fait qu’insister sur une
interdépendance des individus entre eux. Ce qui nous fait penser à une certaine négation de
l’individu dans les sociétés diolas. Nous sommes de ce fait loin de l’individu indépendant,
anarchiste que peut-nous autoriser une rapide lecture superficielle des coutumes diolas.
Nous insistons sur cet aspect, qui nous semble être la base de la construction identitaire du
diola. La ritualisation à tous les niveaux de la vie, et de l’individu et de son environnement
sont les fondements de l’existence des villages et donc de la survie de l’individu.
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L’importance du village chez le diola est déjà soulignée par d’autres chercheurs. La
question « aw bey
139» que pose tout diola à son vis-à-vis, renvoie à l’appartenance
villageoise, mais aussi à la question identitaire. En demandant à son interlocuteur, « de
quel village tu es ? », le diola lui soumet un questionnaire qui lui permettra de l’identifier
et de le situer par rapport à un système de parenté, et à des aires rituelles. La réponse à
cette question va lui ouvrir tout un pan de l’histoire de son « frère diola ». C’est également
ce qui va lui permettre de se comporter comme il sied avec cet autre diola.
L’altérité au sein du groupe prend toute son importance. Un diola du village de
Suelle n’aura pas la même réaction face à un diola du village de Kadjinole, que face à un
diola du village de Katoudié. Les différences de coutumes prennent tout leur sens dans ce
cas de figure, et apparaissent dans ces cas. D’où la difficulté de retrouver des grandes
associations fédérales comme celles que l’on retrouve chez les migrants de la vallée du
fleuve Sénégal.
Nous nous sommes permise d’interroger l’altérité chez les diolas. Ce point s’est
invité dans nos recherches. Il nous a permis de mieux comprendre des non réponses face à
certaines questions. Il est vrai que le fait d’appartenir au groupe des diolas peut ne pas être
un avantage dans certains contextes. Les différences culturelles peuvent être très marquées
au sein d’un même groupe. Les diolas du département d’Oussouye et ceux du département
de Bignona peuvent ne pas se fréquenter en raison de différences culturelles qui perdurent
malgré le contexte migratoire, et peut être du fait de l’immigration. Il nous a semblé même
que ces différences sont cultivées en terre migratoire. Nous en voulons pour exemple,
l’observation des manifestations organisées par des diolas en France. Les origines des
participants dépendent fortement des villages d’origine des organisateurs. Il est rare ainsi
de voir dans une même célébration des diolas ressortissants du département de Bignona et
des diolas originaires du département d’Oussouye. De la même façon, les mariages
internes sont assez rares entre ces deux ensembles. Il n’y a pas d’interdit spécifique, mais
une habitude héritée des histoires de ces différentes faces d’un même groupe. Les raisons
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de ces réticences à un échange matrimonial entre personnes d’une même communauté
insistent sur des coutumes qui ne sont pas acceptées dans les différents sous-groupes. Il n’y
a pas d’interdit spécifique ou bien énoncé en ce sens. Il y’a des méfiances qui sont nées
d’un cumul de facteurs, qui vont ériger une distance entre des gens d’un même groupe. Ces
facteurs sont d’ordre religieux et culturel. Nous pouvons déjà voir une division religieuse.
Le sud est catholique et de surcroit semble plus ancré dans une culture traditionnaliste.
Mais nous verrons dans nos observations qu’elle est aussi très occidentalisée, surtout en
contexte migratoire. Il est vrai que la religion catholique est perçue comme une forme de
modernité. Elle est très européenne, et pour les diolas qui l’ont adopté, une façon pour eux,
de s’occidentaliser. C’est la religion du pouvoir et elle confère à ses adeptes une certaine
puissance d’abord, mais surtout est un signe apparent d’intégration à la société européenne.
Ce qui peut expliquer que le nord de la Casamance musulmane soit la région des diolas
non seulement acculturée même si le fait d’avoir adopté la religion occidentale est aussi
une forme, mais à une époque où l’Islam dérange et fait beaucoup parler, elle est la religion
des gens qui sont contre l’occident et contre toute forme de modernité. Ce qui est
intéressant c’est que par la religion, on verra des philosophies naitre qui vont opposer
davantage les frères d’un même groupe. Le sud reprochera aux diolas du nord
« mandinguisés » de n’avoir aucun respect pour les femmes et de les traiter comme des
objets. Dans cette relation, c’est aussi les relations avec les mandings qui sont indexées.
N’oublions pas que ces rapports ont été conflictuels dans l’histoire de l’islamisation des
diolas.
L’un de nos contacts, originaire d’un village du département d’Oussouye justifiait
son refus d’épouser une femme du département de Bignona, une « fille Foñi » pour
reprendre l’expression, par le fait qu’elles sont réputées être des femmes légères. Cette
méfiance vis-à-vis des femmes du Foñi comme il l’a dit, date de leurs pères. Cette
assertion surprenante, vient de la méconnaissance de certains rites, comme Ebuney, qui est
célébré dans certains villages diolas du département de Bignona. Pour le profane, c’est une
forme de libertinage. Or si ce rituel implique une femme, elle a pour fonction de confier un
« boekin » à une femme. La légèreté dénoncée fait partie des écarts que nous pouvons
trouvons en marge de chaque grand événement, et ce quel que soit la société concernée.
Les frontières internes sont très présentes, et peuvent être plus marquées que les frontières
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entre différents groupes ethniques. La religion si elle a une responsabilité dans ces
distanciations, elle ne vient qu’appuyer des traditions déjà présentes.
Mais au-delà de ces différences entre sous-groupes diolas, il existe beaucoup plus
de points communs dont le plus important est le bukut. Les clivages au sein du même
groupe sont exagérés en contexte migratoire. Si la classification des sous-groupes diolas
est plus variée, trois grandes entités sont plus visibles dans leur volonté de se différencier.
Une certaine rivalité non dite apparaît lors des rencontres des migrants diolas. Le premier
constat est que le groupe dit « kasa » issu du département d’Oussouye est rarement présent
dans ces grands rassemblements. Mais d’un autre côté, les deux grands groupes Bluf et
Foñi sont dans une concurrence latente. Un projet ou une association est labellisée selon
l’origine des dirigeants ou des initiateurs. Un de nos entretiens nous soulignait que pendant
très longtemps dans l’histoire, le Bluf a dominé le Foñi. Cela a un impact dans les
fonctionnements et les interactions dans les associations. Cela apporte des explications sur
la difficulté de fédérer les diolas dans une même association. Il est même difficile de parler
de ces sous-groupes, de les nommer dans les grands rassemblements. Le terme diola
réconcilie finalement ces sous-ensembles et permet de gommer superficiellement les
aspérités ethniques. Parler de diola est une façon d’unifier et de présenter un groupe lisse,
avec une vision commune.
Nous en revenons au concept de l’ethnie. Comment a été créée cette ethnie diola ?
Cela n’est pas sans rappeler les bétés de Côte d’ivoire, qui au début, étaient plusieurs
groupes qui ont fini par avoir une réalité ethnique. En ce qui concerne les diolas, leur auto
identification insiste sur le territoire, le village, et ce même du point de vue linguistique.
C’est pourquoi, le diola du village de Kaparan, va se présenter comme un ressortissant de
ce dit village et qui parle le dialecte de ce village. C’est aussi le cas des autres diolas qui
vont se définir comme des enfants de leurs villages. Il y’a, finalement, autant de groupes
que de villages diolas, pouvons-nous avancer. Il est donc naturel de parler des villages
comme des véritables blocs identitaires. Les revendications actuelles d’un grand groupe
soudé, bien que fortement visible du fait de la rébellion casamançaise, ne sauraient effacer
ces clivages au sein de l’ethnie.
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Il n’est pas question pour nous de nier l’existence de cette ethnie. A partir du
moment où des individus se reconnaissent du groupe, on ne saurait remettre en question
l’ethnie diola. En se disant diolas, ils se sont reconnu une histoire commune, même si
chaque sous-groupe va revendiquer l’authenticité au détriment des autres. Mais n’est-ce
pas le cas de tout groupe d’individus ?
Certes, nous sommes à une ère, et dans un contexte migratoire qui laisse penser à
une possible disparition des petits groupes. L’heure est à la civilisation universelle, mais
aussi aux résistances identitaires et également aux colonisations culturelles, qui empruntent
souvent un manteau cultuel. C’est le cas notamment pour les cultures islamiques, qui vont
fortement influencer les néo convertis et les adeptes de la religion musulmane, et qui sont
traditionnellement d’une culture autre que celle de la péninsule arabique.
La migration est un vivier idéal de la mondialisation ou encore de la globalisation,
Dans le document
Enjeux de pouvoirs et rapports au pays d’origine dans les associations d’immigrés diola en France
(Page 125-130)