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Il y’a eu des transformations apportées par les nouvelles religions adoptées par les
diolas, et qui ont contribué à une nouvelle position des femmes dans la société. Il n’est plus
loisible à une mère de provoquer le divorce de sa fille. Les religions musulmanes et
catholiques qui sont les deux religions largement adoptées par les diolas ont d’autres
visions sur le mariage et sur le divorce. Il faut néanmoins reconnaître que dans le cas du
divorce en milieu diola, il s’agit surtout d’une libération. Il y’a toujours des faits et des
preuves concrets avant qu’une mère ou un membre de sa famille, se permette de venir
libérer une femme des liens du mariage. En fait, la mère de la fille demande à son gendre
de lui rendre sa fille, puisqu’il ne sait pas s’en occuper correctement. Nous pouvons
avancer que le mariage diola s’il exige des ascendants un respect de la conjugalité de leurs
enfants, il ne leur renie pas un droit de regard. C’est ce contrôle ou protection qui donne
l’aval à une mère de venir récupérer son enfant. Ce n’est pas un hasard si le terme
« rendre » est utilisé. On ne donne pas sa fille en mariage, on la confie à une autre famille.
Il est donc normal de récupérer son enfant s’il n’est pas dans des conditions confortables.
Lors d’un décès d’un individu, les femmes de son lignage interviennent pour délier
le défunt de sa descendance. Ce qui est curieux par contre, c’est que ce rite de déliaison se
fait par les tantes maternelles des enfants du défunt ou de la défunte. Mais il peut arriver
que les « ku riman » opposent leur veto à ce qu’un enfant soit délié lorsqu’elles ne le
reconnaissent pas comme un des leurs. C’est ce qui est arrivé lors du décès d’un homme
dans un village diola du département de Bignona. Au moment de la déliaison des
descendants du défunt, ses sœurs ont refusé qu’une de ses filles subissent le « esis
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arguant qu’elle n’est pas la fille biologique de leur frère. Il y’a une rencontre entre les deux
lignages de l’individu à qui on fait le rite de déliaison. Il est intéressant de noter que c’est
un rituel qui interpelle les femmes des filiations maternelles et paternelles. Il y’a ainsi un
contrôle, sinon, une approbation des femmes de la lignée paternelle dans ce « esis ». Cet
incident nous permet, par ailleurs, de marquer la différence entre la famille biologique et la
famille sociale d’un individu. Il n’est pas rare qu’une personne soit confiée à une autre
famille et y grandisse, ou encore qu’une femme accorde la paternité de son enfant à un
autre homme, en général son époux. Il n’y a pas de test ADN pour confirmer ou infirmer la
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paternité d’un homme. Il ne reste que la femme pour désigner le père de son enfant. Elle
peut, comme dans cet exemple précité, attribuer la paternité à un autre. Mais ces cas de
figure, il y’ a toujours une réhabilitation lors du décès d’un des protagonistes. La paternité
biologique reprend toujours ses droits lors des grands moments de la vie d’une personne.
Le droit du sang est très important et se manifeste à travers des rites. C’est pourquoi, il
importe de distinguer la paternité sociale de la paternité biologique. Il est donc
presqu’impossible de priver un père de son droit de père, même s’il n’en a pas assumé les
devoirs. C’est ce qui justifie que dans cette société patriarcale, est diola celui dont le père
est diola. Cette appartenance étant ritualisée dès la naissance, ne permet pas à l’individu de
s’échapper de son groupe. On pourrait s’interroger sur ce rejet d’une paternité que le
défunt a de son vivant accepté. Il n’y a pas de raison de délier ce qui n’est pas lié. Mais la
raison avancée est que délier un enfant qui n’est pas du patrilignage expose ce dernier à
une extermination de la lignée. C’est un peu voler le sang d’un autre patrilignage. Les
« ukin » ne l’admettent pas. Il est d’ailleurs courant de trouver des astuces pour éloigner
toute personne étrangère au « bœkin » lors des rites qui imposent la participation de tous
les membres du lignage, surtout si cette personne ignore son statut d’étranger. Il ne s’agit
plus d’une décision individuelle, mais sociale. Pour l’unité pour une bonne cohésion
sociale, l’individu ne peut s’approprier un enfant qui n’est pas sien, sous peine d’exposer
sa lignée. C’est la preuve encore que l’individu soit juste un élément d’un cosmos, le
groupe manquer de préciser que cela concerne aussi les neveux et nièces. Même si dans la
culture diola, le frère du père est appelé « papa » et qu’il joue ce rôle de père en apparence,
on ne peut qu’admettre qu’il est surtout un parrain pour les enfants de ses frères. Il ne
saurait être le père, puisque lors des rites de déliaison, seuls ses enfants biologiques sont
concernés. De la même façon, pour la mère, ce principe s’applique. Les liens biologiques
reprennent le dessus dans certaines circonstances. Cela implique des considérations qui ne
s’arrêtent pas sur les relations sociales. Il y’a très souvent des frustrations et des vexations
qui vont survenir parfois lors des séances de « esis ».
En d’autres termes, l’ethnie revendique et marque de son sceau ses membres
biologiques. Il n’est donc pas étonnant que les révoltes casamançaises aient un cachet
ethnique. L’acceptation de l’individu est donc très importante. La notion de personne prend
tout son sens dans la communauté diola. A la naissance, et aux premiers âges de l’enfance,
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on reconnaît à l’individu sa qualité d’humain. Ce statut est très important. Nous sommes
dans un registre de pureté qui rejette tout handicap. Quand on estampille un enfant comme
« non humain » ou « kanut an »
179, il y’a un traitement rituel qui est appliqué. Ce sujet est
difficile à analyser, puisque les informations sur la question ne sont pas à la portée de non
initiées. Retenons cependant que le diagnostic d’un enfant non humain, est fait par
plusieurs experts, et traité d’une certaine façon. Il est d’abord conseillé aux parents de
l’enfant de s’éloigner de leurs lieux de résidence habituelle et de séjourner ailleurs que
chez eux pendant un certain temps, avant l’opération et après l’opération. Ce repli est
nécessaire pour que l’âme de l’enfant ne les retrouve pas. Il est dit que ce genre d’enfant
s’est fixé comme objectif de venir torturer leurs parents et de faire de leur vie un enfer. Il
ne cédera pas facilement et ne se laissera pas éloigner de sa cible. La mort de ces enfants
n’est pas considérée comme un deuil normal, et en tant que tel, il n’y a pas de deuil ou de
funérailles comme dans les cas habituels. Ils sont d’ailleurs jetés dans « fubeten
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enterrés dans un cimetière. Comment est reconnu un enfant qui n’est pas un humain ?
Nous venons de parler du rite de déliaison. Il nous semble normal d’en parler,
puisque c’est un des moments les plus importants dans la vie d’un individu. Nous avons
parlé du « bœkin » de la corde qui lie l’individu à son groupe, de la naissance qui lie le
nouveau-né à sa famille. Il est donc normal qu’à la fin de la vie, les liens soient dénoués
entre le défunt et le reste du groupe, notamment ses descendants.
Autant la naissance, est l’occasion pour les tantes paternelles de montrer leur
Dans le document
Enjeux de pouvoirs et rapports au pays d’origine dans les associations d’immigrés diola en France
(Page 174-177)