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La société civile et les stratégies la lutte contre l’insécurité alimentaire

Il importe de garder à l’esprit que l’État n’est pas le seul à intervenir dans la lutte contre les crises alimentaires en Afrique. La plupart des décisions sont micro-économiques et basées sur des stratégies diverses. Le rôle primordial que doit jouer les organes de la société civile est désormais reconnu : l’adoption d’une démarche d’appui à son égard a pour but principal de responsabiliser les acteurs locaux et de leur permettre d’acquérir un potentiel d’intervention en faveur du développement socio-économique. Quels que soient leurs efforts, les populations pauvres sont difficilement en mesure de résoudre à elles seules99 et de manière continue les

problèmes d’insécurité alimentaire. Somme toute, l’aide extérieure, sous forme de ressources financières et techniques, et l’implication de la société civile sont essentielles (PNUD 1999, 2005).

98S’agissant des banques céréalières villageoises, il faut dire que les réserves sont distribuées à des membres du

groupement ou du village qui en ont besoin. Afin de reconstituer le stock collectif de sécurité, chaque membre de la communauté devrait rétrocéder une fraction de sa production agricole quand elle excède ses besoins ou il devrait rembourse en numéraire. Les récoltes des champs et les achats auprès des membres, des adhérents ou sur le marché permettent de compléter l’approvisionnement des greniers collectifs qui constituent une assurance complémentaire aux mesures de stockage prises traditionnellement dans les familles (Thieba 1991). Au cœur de multiples activités initiées par les organes de la société civile (associations, organisations non gouvernementales, etc.) en Afrique subsaharienne, les banques céréalières villageoises (autrement appelées banques de céréales) peuvent être considérées, entre autres, comme le lieu d’expression d’une réelle coopération internationale entre les bailleurs de fonds, les associations de développement, les agents de développement et les populations locales dans un milieu donné (cf. le projet « banques de céréales » soutenue par l’ONG ACRA dans la région du Guéra).

99Le Mali, pays agricole, demeure un pays d’une évolution économique structurellement précaire due à une série

de longues années de sécheresse et aux retombées d’une crise économique internationale sévère et persistante. Avec la permanence de la sécheresse et la mauvaise répartition des pluies sur toute l’étendue du territoire, la production agricole en général et la production vivrière en particulier, ont beaucoup baissé. Face à cette lacune, certains villages ont trouvé des solutions spontanées (imaginées) par les paysans eux-mêmes ou encouragées par les pouvoirs publics et les organismes de développement.

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Au fur et à mesure qu’évolue le rôle de l’État, les différents organes de la société civile (ONG et associations) jouent de plus en plus un rôle d’intermédiaires entre les pouvoirs publics et les populations vulnérables. Les Gouvernements ont aujourd’hui pris conscience de l’importance du rôle des ONG dans la lutte contre la famine en Afrique et commencent à faire appel à leur collaboration100 pour certaines activités essentielles pour améliorer les conditions de vie des

populations pauvres et souvent vulnérables. Peu importe le nom de l’association ou de l’agent de développement présent sur le terrain, chaque acteur (agent) a sa propre stratégie. Parmi les stratégies, on retrouve la stratégie de producteur, la stratégie de commerçant, la stratégie de consommateur, la stratégie du gouvernement et la stratégie du donateur. Ces stratégies sont habituellement divergentes, voire opposées entre les organismes de développement au niveau local, régional, national et international.

IV.1- Les stratégies101 féminines dans la production des produits de base

Les femmes sont désormais reconnues comme des acteurs indispensables de la production vivrière, bien que la mesure de leur apport (différenciée selon les communautés et les villages auxquels elles sont reliées) reste à quantifier dans les pays à risque de crise alimentaire et que les données chiffrées disponibles sur leur production des produits de base conduisent à des appréciations contradictoires. Leur rôle dans la conservation, la transformation et la vente des produits vivriers n’est pas mis en question (De Suremain et al. 2008). Cela dit, la participation des femmes à l'agriculture est inégale selon les productions et les pays. Elle est notoire dans

100 Les acteurs dans ces organisations articulent les voix des « laissés-pour compte » et transmettent les besoins de ces derniers aux bailleurs de fonds et autres décideurs au sein des institutions nationales et internationales.

101 Une stratégie alimentaire, c’est d’abord un objectif de production alimentaire en termes chiffrés. Ensuite, ce sont les voies choisies par les populations pour résoudre le problème alimentaire qui se pose dans un contexte donné. Elle repose sur le développement de toutes les catégories de production alimentaire (végétales, animales, halieutiques) en fonction des potentialités, des technologies disponibles et des besoins quantitatifs et qualitatifs des populations. Elle repose également sur les capacités de conservation, de stockage et de transformation des produits alimentaires et sur l’équilibre alimentaire, compte tenu des importations et des exportations de produits alimentaires. Une stratégie peut être nationale, régionale ou internationale. Quant à la politique alimentaire, c’est un ensemble de mesures réglementaires, structurelles, fiscales, financières, politiques, etc., prises ou à prendre pour atteindre l’objectif fixé par la stratégie alimentaire. Une politique alimentaire est avant tout nationale. Elle dépend plus particulièrement des politiques : de commercialisation (circuits, étatisation, libéralisation, prix au producteur) ; de transformation ; de transport ; fiscales (subventions, détaxes, taxe intéressant les intrants, les produits locaux, les produits importés) et de crédit à la production, à la consommation. Elle doit prendre en considération les habitudes de consommation des populations, la pression démographique et la protection de l’environnement écologique. Elle s’appuie sur les connaissances techniques et socio-économiques fiables (Sene 1990).

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les cultures qui se suffisent des techniques traditionnelles, sans mécanisation, sans crédit, ni intrant important : légumes, manioc, sésame et activité artisanale. Cette participation dans les productions vivrières connaît des variations selon qu'elles sont de type céréalier (mil, sorgho, fonio, maïs) ou forestier (plantain, igname, taro). Elle est essentiellement significative dans les productions agricoles de rente du capitalisme agraire moderne (cacao, café, banane, thé, foresterie).

Ce qui apparaît largement méconnu (ici) et sous-estimé, ce sont les stratégies déployées pour assurer au niveau domestique le maintien et la reproduction de la force de travail et pour participer aux stratégies économiques et sociales du groupe familial : l’apport de céréales ou des produits de base, l’apport qualitatif au niveau de l’alimentation familiale à travers des condiments qui enrichissent les sauces, la vente des animaux leur appartenant pour faire face à la pénurie ou à des dépenses imprévues telles : paiement des frais d’écolage, dépense de santé, d’habillement des enfants (dépenses assurées par les hommes au sein de la cellule familiale). Autrefois partagées, selon plusieurs règles qui s’imposaient aux différents membres des unités domestiques, de nombreuses charges indispensables à la survie, à la qualité de vie, aux stratégies sociales des sociétés paysannes sont de plus en plus assumées par les femmes, soit directement à travers leur propre production, soit par le biais d’un revenu propre. Bien que les données manquent pour mesurer l’importance économique et sociale de cette contribution, des études et interventions auxquelles nous avons fait recours nous permettent de constater qu’elle s’accroît sous l’effet d’obstacles que connaît l’environnement rural : la destruction des ressources, l’endettement, l’exode rural, l’absence d’infrastructures, etc.

Dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, on relève que le nombre de femmes chefs de famille ne cesse d’accroître. Ce qui justifie l’hypothèse selon laquelle la situation alimentaire des sociétés paysannes et leur capacité à dégager des surplus vivriers dépend non seulement des mesures prises au niveau global pour améliorer les conditions de la production vivrière dans son ensemble et de sa répartition, mais aussi des mesures prises pour appuyer l’effort des femmes, préserver ou agrandir les espaces et les marges de manœuvre dans lesquels elles développent leurs stratégies propres (Petonnet 1985 ; Régnier 2006). Quant à l’espace, il reste déterminé par le groupe auquel appartiennent les femmes et les situations sont extrêmement

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diversifiées. La situation du monde rural dans la région où elles se trouvent, les règles de fonctionnement de leur groupe ethnique, leur statut à l’intérieur de la cellule familiale (âge, rang d’épouse, femme de chef de famille), la situation économique du groupe familial auquel elles appartiennent (terres disponibles, ressources monétaires, degré d’équipement agricole, etc.) sont là des critères parmi tant d’autres qui déterminent les marges dont elles disposent pour assurer le rôle économique accru qu’elles sont amenées à jouer, parce qu’elles y sont contraintes ou parce qu’elles le choisissent.

Les stratégies économiques déployées par les femmes sont diversifiées : production agricole, transformation et vente des produits, petit élevage et accumulation de gros bétail, cueillette, transformation et vente, artisanat, pêche et transformation du poisson, commerce, vente de force de travail par individu ou en groupe, etc. Les femmes visent à faire face aux nécessités quotidiennes mais également à maintenir le tissu des relations sociales qu’elles entretiennent avec d’autres femmes, avec leur groupe d’origine qui les accueillera d’autant mieux – si elles y reviennent un jour pour cause de divorce ou d’exode prolongé du mari – qu’elles auront matérialisé le lien parental par des cadeaux réguliers ; elles contribuent à la participation de leur groupe aux pratiques sociales ou aux rituels qui exigent un apport (échange) de nourriture transformée ou encore une participation monétaire. Elles permettent également la satisfaction de besoins personnels non satisfaits dans le cadre de l’économie du ménage en Afrique au sud du Sahara (Lahlou 1998 ; Chaudron 1983).

La principale critique adressée à l’égard des conceptions formulées par Correze (1985) touche la rareté d’unanimité des décisions à prendre, vu que les couches sociales n’ont toujours pas, loin s’en faut, des intérêts convergents à court terme. Par conséquent, les stratégies des acteurs peuvent aller à l’encontre de l’intérêt général des populations. C’est le cas des consommateurs lorsqu’ils soutiennent ainsi les programmes d’importation qui concurrencent déloyalement les céréales locales, des producteurs quand leur stratégie de stabilisation des revenus se traduit par une réduction des cultures (produits) agricoles, des commerçants lorsqu’ils combattent la transparence de l’information sur le marché national ou de l’État-nation quand la politique de stabilisation des prix des céréales se transforme en système de ponction sur les revenus de l’agriculture.

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