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Des révoltes paysannes aux conflits inter-ethniques, les différents moments de troubles politiques trouvent leur fondement dans le modèle étatique autant prôné par le pouvoir sortant (c’est-à-dire, celui du président Tombalbaye) que par les successeurs à la tête de l’État. Peu importe le responsable politique, les faits demeurent coercitifs et le peuple tchadien fait continuellement face à une dure crise sociopolitique. Une réminiscence des événements nous permet ainsi d’expliciter le paradoxe existant entre la priorisation des écarts ethniques, critères par excellence de recrutement pour certains postes dans la fonction publique et la défense avec opiniâtreté de l’idée de l’égalité de chances à l’emploi dans les ministères (santé publique, finances et budget, justice et droits de l’Homme, transport et infrastructures, affaires étrangères, agriculture, etc.) et entreprises à l’échelle nationale.

En effet, jusqu’à la chute de Tombalbaye, les hommes en armes – pour ne prendre que ce secteur de la fonction publique – étaient majoritairement issus du sud du pays. En 1978, non seulement Habré devient Premier Ministre, mais il dispose de sa propre armée123. Tous les

différents organes de direction antérieurs sont déclarés dissouts. Celui-ci les fait occuper par ses éléments, originaires de l’est et du nord du Tchad. L’obstruction des services fut totale et le conflit était latent entre les combattants du FROLINAT (la rébellion) et les Forces armées tchadiennes (FAT), mais également entre les autres forces armées présentes dans la ville de Ndjamena : les Forces armées du Nord (FAN) du Premier Ministre Habré et l’armée nationale tchadienne (ANT) fidèle au chef de l’État, le Président Malloum (Chapelle 1980). Cette

123 Après la mort de Tombalbaye, Malloum s’empare du pouvoir. Habré devient Premier Ministre à la suite d’une charte fondamentale destinée à servir de base à une constitution. Mais, les rivalités entre les deux hommes les empêchent de bien diriger le pays. Les rebelles vont ainsi prendre le pouvoir suprême à travers Goukouni (1979-1982) avant que le Premier Ministre déchu ne revienne en force et se saisisse du pouvoir (les années entre 1982 et 1990).

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situation de violences, au sommet de l’État, fragilise la nation tchadienne et les différentes couches sociales qui la composent, allant un moment donné de l’histoire jusqu’à la tentation indépendantiste d’une fraction des leaders politiques ; tous originaires des départements du sud du pays.

Partant de ce postulat, il est clair que les causes lointaines et l’évolution du « conflit inter- ethnique » au Tchad plongent leurs racines dans la violence politique. Au moment où le conflit éclate, en 1979, les identités « nordistes » et « sudistes », souligne Debos (2013), se cristallisent. La polarisation des identités est d’abord l’affaire des citadins et des intellectuels (Magnant 1989) avant qu’elle ne devienne une audition à laquelle même les laissés-pour- compte avaient droit de participer. Ainsi s’était développée une forme de terreur touchant aussi bien le nord que le sud, responsable d’un « exode » massif de populations du sud vers le nord et inversement. Disons que les populations originaires du nord installés au sud étaient généralement des commerçants et celles du sud, établies au nord, étaient des fonctionnaires. Le départ des fonctionnaires vers leur région d’origine videra de leur substance les structures publiques telles : tous les services (hôpitaux, écoles, etc.) s’arrêtèrent de fonctionner et cette situation se poursuivit même si des signes importants de redémarrage apparaissaient actifs (Dadi 1987). Tous les paysans et agents de l’État étaient laissés à leur sort.

Au-delà du cessez-le-feu et des accords de réconciliation signés par les protagonistes, avec le concours de la France, des Nations Unies et de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA), l’actuelle l’Union africaine (UA), une grande famine s’installera sur l’ensemble du territoire tchadien, principalement au nord et au centre. Plusieurs barrières seront mises en place par les belligérants, le long des principales artères routières, pour empêcher la circulation des aides alimentaires (mil, riz, etc.) dans les zones de pénuries. Les appels aux dons seront relayés par des opérations de grande envergure à travers le monde. La médiatisation de l’événement suscitera nécessairement l’émotion de l’opinion internationale face à la famine à laquelle les populations étaient confrontées. Mais sur place, l’aide alimentaire ne parvint que rarement aux populations. Car, elle était monnayée ou détournée par les rebelles et les forces armées qui jouaient le rôle de médiation entre les populations et les agences humanitaires présentes sur le terrain. Devant l’impuissance de ces organisations humanitaires, la coalition d’anciens

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rebelles et de forces rattachées aux hommes forts d’Habré facilitèrent l’accès aux denrées dans les zones les plus touchées par la famine et la malnutrition, principalement au centre et dans la partie septentrionale du pays. A cela s’ajoutent les régions les plus meurtries du sud : le Chari et les deux Logone (occidentale et orientale).

L’élément marquant le « conflit inter-ethnique », déchirant le pays et créant de profondes blessures sociales, est celui de la répression contre les populations civiles et la stupidité d’une guerre en termes d’opposition nord-sud. Les moyens mis en œuvre ne cessèrent de croître, tant dans le domaine économique, social et politique. Les interventions militaires des pays étrangers (Lybie, France, Soudan...) au profit des belligérants feront basculer ce conflit interne en un conflit ouvert, au niveau régional et international. Ainsi commence un long cycle de guerres civiles qui émaillera l’histoire du pays. Le contexte politique n’avait pas favorisé le développement politique et socio-économique en provoquant des conditions incompatibles avec le but ultime recherché : la quête du bien-être des Tchadiens, en dépit de leur différence ethnique, à travers la réduction de l’extrême pauvreté et la lutte contre la famine, l’accès au logement, à la santé, à l’éducation, etc. et l’aspiration à la liberté et à la prospérité.