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Notons avec Poul Nielson93 (1999) que l’évolution de la politique communautaire d’aide au

développement et de sécurité alimentaire témoigne d’une ambition plus globale au cœur de la coopération internationale (dont la coopération européenne en particulier) au développement qui porte sur deux aspects fondamentaux. Le premier aspect est celui du partenariat avec les différents gouvernements et les institutions représentatives de la société civile et des groupes de populations vulnérables. La dynamique d’une telle démarche vise surtout à l’appropriation de la lutte contre l’insécurité alimentaire. Une collaboration manifeste entre donateurs et pays bénéficiaires appelle nécessairement à une prise en compte des dimensions aussi bien locales que régionales de la sécurité alimentaire. Le deuxième aspect concerne la responsabilité d’une coordination renforcée entre les donateurs ou les organisations d’aide au développement. Car, celle-ci est indispensable à une véritable efficacité et une prise en compte des défis posés par la mondialisation des échanges et des investissements.

93 Poul Nielson a été pendant une période donnée membre de la commission européenne du développement et d’aide humanitaire.

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Parlant de la région Afrique subsaharienne, il faut dire que depuis la fin de la décennie 1980, le rôle des pouvoirs publics est essentiellement en constante évolution. De plus en plus des chefs d’Etat et de gouvernement sont choisis « démocratiquement », gagnant en crédibilité à l’intérieur et à l’extérieur de leurs frontières. Les mesures prises pour faire face à l’insécurité alimentaire, la famine et la malnutrition sont aujourd’hui mieux appréhendées mais, sans une véritable volonté politique, aucune action ne peut durablement aboutir. Les individus et les différents groupes de populations peuvent faire beaucoup pour comprendre, mais l’efficacité de leur action dépend de l’environnement créé par les pouvoirs publics. Ils jouent un rôle dans la lutte contre la famine.

Si le droit à l’alimentation permet de réaliser la sécurité alimentaire, plusieurs études attestent que les situations de l’insécurité alimentaire ne résultent pas systématiquement, et encore moins exclusivement, des carences de la production locale. Elles dépendent de l’adéquation entre l’offre en céréales et la demande en termes de denrées alimentaires disponibles. Cette nouvelle manière de comprendre le problème de famine récurrente à laquelle les populations sont confrontées permet aux hommes politiques (et aux acteurs de développement) africains d’élargir le cercle des responsabilités et au-delà des clauses du Plan d’action de Lagos. Les atteintes à la sécurité alimentaire ne relèvent plus de la seule défaillance de l’État ou d’une organisation régionale de développement, mais également de celle de toute l’humanité94. Il

faut préciser que le besoin de se nourrir est inévitable et que la vie dépend elle-même du droit à l’alimentation et de l’équilibre alimentaire momentané ou encore durable. Principe social fondamental qualifié d’universel, l’élaboration de la stratégie alimentaire s’effectue autour d’un noyau central des politiques.

94On peut consulter à ce sujet la littérature sur le Pacte Mondial de la sécurité alimentaire adopté lors de la Conférence de la FAO tenue à Rome en 1985. Dans ses principes généraux, le pacte fait de la garantie de la sécurité alimentaire la responsabilité commune de l’humanité. En vertu de son article 3, le Pacte énonce trois moyens de garantie de la sécurité alimentaire : porter la production alimentaire au niveau souhaitable, stabiliser les approvisionnements alimentaires et permettre à ceux (celles) qui en ont besoin d’accéder aux disponibilités alimentaires. La solidarité en faveur les populations pauvres a conduit la communauté des Etats à souscrire à la Convention sur la sécurité alimentaire, la dimension d’aide alimentaire. La Déclaration du sommet mondial de l’alimentation et le Plan d’action de Rome – en 1996 – ont pour objectif de répondre aux situations d’urgence alimentaire et améliorer la situation d’insécurité alimentaire mondiale. On peut également consulter à ce sujet, les différents rapports d’activités du programme communautaire d’aide et de sécurité alimentaire publiés jadis par une section de la Commission européenne axée sur les questions de développement et d’aide humanitaire en Afrique et de par le monde.

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Une politique de développement agricole encourage surtout les initiatives des organisations paysannes, incite à leur multiplication au lieu de les étouffer. La mutation du système agricole ne se fait pas uniquement par des projets de développement qui réussissent, mais aussi par les initiatives qui transforment en profondeur le monde paysan. Encore faut-il que les projets de l’État95 et les initiatives locales rencontrent un environnement social et économique favorable.

Une politique agricole favorable est à transformer en un ensemble cohérent : une politique de recherche technique, de recherche en économie rurale susceptible de proposer aux populations des techniques et de nouveaux mécanismes de culture globaux, acceptables. La construction d’une meilleure stratégie contre l’insécurité alimentaire va de pair en effet avec la politique de distribution des matériels agricoles, des engrais, des pesticides qui permettent aux paysans qui souhaitent les acquérir de les trouver à leur portée ; la politique de crédit agricole s’appuyant sur la caution mutuelle que donneront de véritables coopératives, constituées par adhésions volontaires et dont les adhérents seront solidaires et la politique foncière basée sur l’arrêt de la dégradation des sols et de leur amélioration. La politique de commercialisation et la politique des prix des produits vivriers sont la clé de la mutation : il faut que le paysan ait la garantie de pouvoir écouler sa production agricole et de l’écouler à un prix qui rémunère ses laborieux efforts (Gentil et al. 1991, Giri 1986).

Dans le même sillage d’idées, Correze (1985) pense qu’il est plus que jamais indispensable de prendre en compte les différentes stratégies propres de chacun des acteurs sociaux dans les économies paysannes si l’on veut réellement que les stratégies alimentaires arrêtées au niveau de l’Afrique subsaharienne soient reçues par eux, aient des effets indicateurs sur le niveau de la production vivrière. Un autre aspect important à retenir à ce niveau est celui de l’impact du programme de réformes et d’ajustement structurel en partenariat avec les principaux bailleurs de fonds. Sous l’égide du Fonds monétaire international, la sécurité alimentaire s’inscrit dans le cadre région ouest-africain, pour ne prendre que cet exemple, et un comité permanent inter- Etats de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS) sera lancé en 1986.

95Selon Timmer, l’Etat devrait poursuivre quatre objectifs principaux en matière de stratégie alimentaire à avoir : une croissance efficace du secteur agro-alimentaire, une amélioration de la distribution des revenus, un état nutritionnel satisfaisant pour l’ensemble de la population et un degré adéquat de sécurité alimentaire (1984). Les objectifs sus-mentionnés se retrouvent dans les politiques agricoles dans la plupart des pays du Sahel, cependant l’ordre de priorité et les objectifs concrets et quantifiés, précise Sene (1990), varient d’un pays à l’autre selon les facteurs écologiques, économiques, politiques et sociaux.

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Encadré 6. La sécurité alimentaire : une forme d'intervention institutionnalisée

Au début des années 1990, une nouvelle acception du terme sécurité alimentaire apparaît, celle définie par le Programme des Nations Unies pour le Développement dans son Rapport sur le développement humain de 1994. En effet, selon les termes de ce rapport, la « sécurité alimentaire n’est pas une question d’armement, mais une question de vie humaine et de dignité » (PNUD 1994). La sécurité alimentaire existe, affirme Paul Ngaradoumri, lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, salubre et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active (Ngaradoumri 2006). En d’autres termes, elle est un « accès assuré à suffisamment de nourriture à tout moment »96 (Gabas 2000).

Quatre dimensions sont présentes dans la définition de la sécurité alimentaire : la disponibilité des aliments97 (c’est-à-dire la production domestique, les importations), la stabilité spatiale et temporelle

de ces approvisionnements (stockage, approvisionnement et transfert), l’accessibilité matérielle et économique de tous les individus à tous les aliments (pouvoir d’achat, construction d’infrastructures routières sous l’angle des échanges locaux, régionaux, internationaux…), la qualité (valeur nutritive et variété des aliments). Les conditions de l’amélioration de l’accès à la nourriture sont : la capacité de produire ou d’acheter des quantités suffisantes d’aliments variés et nutritifs ; le maintien et la stabilité de la paix civile permettant de consacrer les compétences, efforts et investissements pour réaliser l’objectif commun : « nourriture pour tous », la réduction de l’instabilité saisonnière et inter annuelle des approvisionnements.

Il convient de garder à l’esprit que la sécurité alimentaire est multidimensionnelle ; elle concerne d’autres secteurs tels que le Commerce, les Infrastructures, le Travail et l’Emploi, la Sécurité Publique ainsi que l’Administration du Territoire. Le secteur rural ne peut à lui seul atteindre l’objectif fixé par l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation : « faire manger les gens à leur faim ». Dans le contexte de cette étude, le concept de sécurité alimentaire est abordé sous l’angle de l’augmentation de la disponibilité des produits agricoles, notamment les céréaliers avec une stratégie d’approche par les groupements qui risque d’accentuer une différenciation sociale entre producteurs.

96 On parle habituellement de la sécurité alimentaire lorsqu’elle remplit les conditions de nutrition, à savoir : une alimentation dite bonne (de 2 800 à 3 400 calories par jour et de 20 à 70 grammes par jour de protéines animales) et une alimentation satisfaisante (de 2 400 à 2 800 calories par jour et de 10 à 30 grammes par jour de protéines). 97 Le concept « sécurité alimentaire » implique la présence des denrées qui composent le régime alimentaire en qualité et en quantité suffisantes pour satisfaire les besoins des populations. Au niveau des ménages, le problème serait lié à la disponibilité des aliments produits et autoconsommés ou à l’accès à des denrées non produites par les ménages mais disponibles sur le marché.

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Au titre des plans d’ajustement structurel, les gouvernements redéfinissent, par exemple, leur politique céréalière en concertation avec les bailleurs de fonds : promotion du secteur privé, restructuration du service public, développement rural, gestion des ressources naturelles, lutte contre la famine, désengagement des Etats et libéralisation du commerce. Le monopole public en charge de la gestion du secteur céréalier sera dissous au début des années 1990, notamment avec la naissance des organes de la société civile, et les pays disposent d’un stock de sécurité alimentaire. En outre, les banques céréalières villageoises98 interviennent pour la prévention et

la gestion des crises alimentaires.