• Aucun résultat trouvé

Chapitre III : Les différents types syntaxiques des GP régis par à

III. 1.1.6. « Les actants circonstants »

III.2. Structures à double complémentation

III.2.1. SN1 verbe SN2 à SN3

III.2.1.1. à SN3 datif

C’est une structure à triple actant, où le GP correspond au « tiers actant » selon l’appellation de Tesnière (1959 :102), le « complément d'attribution » de la tradition scolaire : « Du point de vue sémantique, le tiers actant est celui au bénéfice ou au détriment duquel se fait l’action » (Tesnière, op. cit. 109). Il est illustré par les exemples suivants : Jacques offre des fleurs à Catherine, Jean fournit un renseignement à Pierre, Marie prête sa robe à sa sœur, Marie ôte des affaires à son amie, la maman sacrifie sa vie à ses enfants, elle sacrifie son temps à son travail, elle sacrifie son métier à sa famille.

Le GP correspond au cas datif latin, mais en français il ne s'identifie pas morphologiquement ni même syntaxiquement puisque la construction vaut pour d'autres analyses du GP, le terme désignant en l'occurrence un rôle sémantique : « le datif, construit

71

avec les verbes de transfert, est un cas réservé à l’expression du destinataire de l’action, fréquemment en corrélation avec une structure accusative, exprimant l’entité transférée. Il marque, selon les emplois, l’intérêt, l’attribution, la finalité » (F. Neveu, 2004 : 89). Il y a donc lieu de voir si l'interprétation repose sur des propriétés formelles et nous commençons, dans notre tentative de mettre au point les critères pertinents pour un classement scalaire des différents (GP en à) régis par le verbe, par l’application des tests classiques révélant un argument­complément.

A. LA SUPPRESSION

Contrairement au deuxième actant, SN2 (complément direct dit « accusatif »), le troisième actant, à SN3, est supprimable en ce sens que la phrase est syntaxiquement grammaticale et sémantiquement acceptable sans lui (il est possible de dire la maman sacrifie sa vie), son effacement ayant pour effet (attendu) de laisser indéterminé le destinataire présupposé par le verbe.

B. LE DEPLACEMENT

Le déplacement du GP en tête de phrase ne donne pas un énoncé très naturel (il n'est pas jugé acceptable) : ? A Catherine, Jacques offre des fleurs. Cependant, il est possible dans deux autres cas de figures :

Le premier est ce que B. Lavieu appelle « le déplacement contraint »59 tel que nous le constatons dans A Catherine, Jacques offre des fleurs mais à Marie, il offre des bijoux ou A ses enfants, elle sacrifie sa vie, à son mari, elle fait des concessions – forme de contraste à laquelle nous en ajoutons une autre : A ses enfants, elle sacrifie sa vie mais pas à son mari ou A Catherine, il offre des fleurs mais à Marie, non.

Le déplacement peut s'opérer au sein du syntagme verbal, par une permutation du GP avec le SN2 – laquelle est plus naturelle si le constituant final est plus long que celui qui le précède, selon une règle stylistique commune en français :

Jacques offre à Catherine des fleurs /Jacques offre à Catherine des fleurs exotiques Jean fournit à Pierre des renseignements (précieux)

Marie prête à sa sœur sa robe (préférée)

Marie ôte des affaires à ses amis (les plus chers)

La maman sacrifie à ses enfants sa vie (pourtant pleine de promesses) Elle sacrifie à son travail son temps (de repos en famille)

59Dans sa thèse, B. Lavieu (op.cit. :138) observe que pour certains compléments indirects la position frontale est possible mais avec « un effet de contraste » visible dans son exemple « A son grand père, elle lit le journal et à sa grand­mère, elle fait les ongles ».

72

Elle sacrifie à sa famille son métier (qui pourtant la passionne)

Elle sacrifie à son métier sa famille (à laquelle elle est pourtant si peu attachée)

Le GP en à est donc déplaçable mais seulement au sein du groupe verbal, ce qui montre son lien proche avec le verbe. Dans la mesure où la permutation se fait alors avec le SN2, la conclusion est que les deux sont également mobiles, le complément d'objet direct n'étant pas non plus déplaçable en tête de phrase. Cependant, sa suppression n’aboutit pas à un résultat agrammatical, contrairement à celle du SN2 : il est donc attaché au verbe à un moindre degré que l’accusatif, mais il n'en est pas moins à considérer comme un complément du fait que sa pronominalisation est possible.

C. LA PRONOMINALISATION

Le GP datif peut être pronominalisé par lui (ou leur) lorsque le SN3 est humain : Jacques lui offre des fleurs, elle lui prête sa robe, elle lui ôte ses affaires etc. et par y lorsque le SN3 est non­humain : elle sacrifie son temps à son travail / elle y sacrifie son temps60 vs elle sacrifie son métier à sa famille/ elle lui sacrifie son métier.

Un autre test nous paraît permettre de mesurer le degré d’attachement du GP au verbe : la passivation.

D. LA PASSIVATION

Les constructions au datif permettent une forme de passivation qui met en exergue le SN2 accusatif et le GP au détriment du sujet, puisque ce dernier est susceptible d'effacement :

Des fleurs sont offertes à Catherine Des renseignements sont fournis à Pierre Sa robe est offerte à sa sœur

Des affaires sont ôtées à ses amis Sa vie est sacrifiée à ses enfants Son temps est sacrifié à son travail Son métier est sacrifié à sa famille

Ce test nous permet de dire que le datif constitué d’un GP en à est un complément obligatoire puisqu’il persiste avec la passivation. Cependant, il pourrait lui aussi être

60 Nous ne confirmons pas pour le moment qu’il s’agit ici d’un datif dans la mesure où le datif exprime par définition un échange entre deux SN humains mais nous retenons ce cas (du SN non humain) qui sera traité dans notre partie sémantique

73

supprimé, puisque les suites Des fleurs ont été offertes, Des renseignements ont été fournis, Une robe a été offerte, etc. sont grammaticales. Cela montre que ce complément est moins attaché au verbe que l’accusatif, qui lui n’est pas supprimable dans cette construction passive.

Un autre critère semble valable pour déterminer le SN3 datif, c’est celui des constructions inversées. En effet, Max donne un livre à Luc est l’équivalent sémantique de Luc reçoit un livre de Max, Jacques offre des fleurs à Marie de Marie reçoit des fleurs de Luc, Marie prête sa robe à Léa de Léa emprunte la robe à Marie. Cependant ce critère n’est pas général, les verbes à construction dative ne connaissant pas tous de « converses »61, tels fournir et sacrifier.

Dans cette structure à trois actants, le SN3 datif est le cas le plus dominant. Il assure une complétude sémantique au verbe qui appelle un troisième actant. Par conséquent, il s’agit d’un complément même si sa suppression n’aboutit pas à un résultat agrammatical, analyse que confirme son caractère déplaçable (mais seulement au sein du groupe verbal) et la possibilité de le pronominaliser.