Chapitre IV : Constitution d'un corpus pour tester nos propositions
IV. 1. Notre corpus est extrait du dictionnaire Les Verbes français
Notre corpus est extrait du dictionnaire Les Verbes français (LVF) dans sa version électronique, publié en version papier en 1997 par J. Dubois et F. DuboisCharlier (Paris, LarousseBordas) et comporte toutes les constructions impliquant la préposition à, soit1979 cas appartenant à 59 classes que l'on peut considérer de deux points de vue : d'un côté, 14 classes qui couvrent chacune entre 21 et 99 entrées et que, pour cette raison, nous avons appelées « classes mineures » (« mineur » s'entendant sur le plan quantitatif) ; et d'un autre côté, 8 classes « majeures » couvrant chacune au moins 100 entrées et, ensemble, un total de 1130 entrées.
Vu l’exhaustivité du corpus dont nous disposons, nous ne sommes pas en mesure de traiter l’ensemble des exemples, mais nous avons choisi de sélectionner quelques opérateurs qui regroupent le nombre le plus important des GP en à. Cela ne nous empêchera pas de référer, au besoin, en cours d’analyse, à des exemples qui figurent sous les autres opérateurs et qui serviront à confirmer ou infirmer nos hypothèses.
90
IV.1.1. Justification du choix du corpus
Le choix de ce corpus repose sur des considérations théoriques et méthodologiques : le classement proposé dans LVF en effet « repose sur l’hypothèse de l’adéquation entre les schèmes syntaxiques de la langue et l’interprétation sémantique qu’en font les locuteurs », fondement en adéquation avec le cadre théorique que nous avons retenu, notamment avec le principe fondamental des grammaires de Z. Harris (cf. entre autres Harris 1971 : 229236 et Harris 1988 : 5665) : les mots véhiculent (« carry ») du sens (« meaning »), les phrases véhiculent de l’information (« information »). Z. Harris résume ainsi cette adéquation : « il existe une corrélation entre structure et signification. Chaque sousclasse de mots comprenant un opérateur ou une classe d’arguments particuliers possède un type de signification correspondant aux relations syntaxiques [ …] c’est pourquoi tout ce qu’on peut dire de la signification d’une phrase peutêtre obtenu directement à partir des significations et des positions occupées par les opérateurs et les phrases élémentaires » (Harris 1971 : 230)74. Si les principes théoriques et méthodologiques sont similaires, la modélisation et la terminologie diffèrent entre le linguiste américain et les auteurs français – ainsi le terme opérateur n'a pas le même sens chez Harris et dans LVF.
IV.1.2. Le classement des verbes par opérateurs
Les opérateurs constituent dans LVF des entités fondamentales de chaque classe dans la mesure où, dans cette classification qui associe propriétés formelles et interprétation, ils indiquent la notion commune aux verbes qui possèdent des propriétés syntaxiques en commun. Par exemple, dans les descriptions :
Loq AV (parler avec : discuter avec)
Loq AV qn D/SR qc (parler avec qn de/ sur qc : bavarder avec qn d’une question) Loq A qn (parler à qn : causer à qn)
le symbole « loq » représente une certaine constante sémantique (il s'agit de communication verbale : avoir une activité de langage), et syntaxique : les verbes qui la possèdent sont à complément nominal. Les suffixes AV, D, SR, qn, qc correspondent à des propriétés de souscatégorisation et de sélection lexicale (le verbe se construit avec un GP : AV représente la préposition avec, D la préposition de, SR la préposition sur et le nom peut être qn : « humain » ou qc : « non animé »).
74 .L’indication entre parenthèses sert à définir l’opérateur. C’est une notion commune aux verbes regroupés sous le même opérateur. Voir François et alii (2007), Le classement syntactico-sémantique des verbes français, Langue française 153 :10.
91
IV.1.3. Notre utilisation de cette base de données
Afin d'être en mesure de « gérer », dans notre test de l'hypothèse, cette masse de données, nous avons pris le parti de classer les opérateurs par ordre de fréquence décroissante ; voici quelques exemples de chaque cas de figure définis par LVF :
IV.1.3.1. L’opérateur dat (donner qc, qn à)
Cet opérateur définit un ensemble qui comporte 352 entrées de verbes construits avec la préposition à recouvrant les sousclasses suivantes :
Dat A qn : sujet humain, complément humain On arrhe une forte somme au propriétaire On dédicace son livre à un lecteur
On porte un grand amour à Paul
Sur 352 entrées de verbes construits avec la préposition à, 247 verbes ont, pour sujet et pour complément introduit par à, des humains.
Sujet non humain, complément humain La banque escompte une traite au commerçant
Sept verbes relevés sont construits sur ce modèle.
Sujet humain complément inanimé
Le commerçant affacture une créance à une banque On accorde de l’importance à ce projet
On attache une signification à ce geste Le médecin attribue la migraine à la tension On impute la crise à l’inflation
Soixante verbes sont construits de cette manière.
Sujet inanimé, complément inanimé
La compagnie frète des avions à une autre compagnie Les factures restent à la banque
92
IV.1.3.2. Opérateur dic (communiquer qc, que)
233 entrées dont la plupart ont un sujet humain et un complément humain, sur le modèle On dévoile à Paul les méfaits de son fils : dic A qn – les exemples dont le complément est nonhumain étant :
55. On corne aux oreilles de Paul la nouvelle
83. On télésignale les pannes d’un réseau à un opérateur 176. On oppose un refus à sa demande, à Paul
201. On reproche à la politique sa corruption, à la voiture ses freins 226. On mentionne au tribunal l’absence de Paul
IV.1.3.3. Opérateur ger (diriger qc ou qn)
Il comporte 177 entrées divisées en cinq sousclasses :
Sujet humain, complément infinitif ou infinitif + complément dans le cas du verbe transitif On occupe les enfants à jouer
On façonne Paul à obéir On amène Paul à se révolter
On amarine les marins à servir la marine On porte Paul à revoir la question Sujet humain, complément inanimé On expose Paul à un accident Cet enfant est inhabitué à l’effort On plie Paul à la discipline
Sujet inanimé, complément humain La vérité s’impose à Paul
Sujet inanimé ou abstrait, complément à l’infinitif Cet évènement destine Paul à occuper un poste important Ce temps invite Paul à sortir
Ce cachet aide Paul à dormir
Cela entraîne Paul à commettre une erreur Sujet inanimé , complément inanimé
93
Le soleil incite Paul au repos
IV.1.3.4. Opérateur ger mens (diriger qc ou qn) Il comporte 63 entrées divisées en trois sousclasses :
Sujet humain, complément inanimé On se donne à cette étude
On s’abandonne à un grand désespoir On se fie aux apparences
On place Paul à la direction Sujet humain, complément infinitif On s’active à rentrer le foin
On s’applique à résoudre ce problème On se prépare à partir
Sujet humain, complément humain (3 occurrences) On se fie à Paul
On s’en rapporte à Paul pour négocier On s’en remet à Paul pour cette affaire
IV.1.3.5. Opérateur ict (donner un coup)
Il comporte 48 entrées divisées en trois sousclasses :
Sujet humain, complément abstrait ou inanimé On se confronte à une situation difficile Le boxeur décoche un coup à la mâchoire Sujet humain, complément humain
On ne doit pas se frotter à Paul, il est violent On se heurte au ministre
Sujet humain, complément inanimé ou abstrait On se confronte à une situation difficile On se heurte à un refus, à l’incompréhension
94
IV.1.3.6. Opérateur f. ire (faire aller qp)
Il comporte 38 entrées divisées en deux sousclasses :
Sujet humain, complément humain On adresse une lettre à un ami
On adresse un malade à un spécialiste Sujet humain, complément inanimé
On adresse une fiche à la mémoire de l’ordinateur On mène le pays au désastre
IV.1.3.7. Opérateur mand (indique une demande)
Cet opérateur comporte 18 entrées divisées en trois sousclasses :
Sujet humain, complément humain
On pose à Paul la question du départ éventuel Sujet humain, complément inanimé
On appelle les ouvriers à la grève On exhorte Paul à la patience
Sujet humain, complément infinitif (13 exemples) On convie Paul à venir (à une réception)
Le professeur invite un élève à se taire On engage un ami à céder