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III.2. Le datif dans LVF

III.2.2. Datif lexical et datif étendu dans LVF

Si nous nous fions à la définition de Ch. Leclerc (op.cit), dans le datif « lexical » l’échange est exprimé par le verbe lui­même, contrairement au datif « étendu » où l’échange est traduit par à N : l’hypothèse est alors que les GP non supprimables renseignent sur « le datif étendu », hypothèse en écho à celle de Ch. Marque­Pucheu (2008: 80) qui considère que l’omission du GP dans le datif lexical ne supprime pas l’idée de l’échange : « Si l’omission du complément à N donne un sentiment d’ellipse, elle n’annule pas l’idée d’échange chez les datifs lexicaux ». Cela veut dire que lorsque l’omission du GP est possible parce que l’idée de l’échange est intrinsèque au verbe, nous avons affaire à un datif lexical. Or nous relevons un paradoxe entre ce que nous avons annoncé en tant que paramètres définitoires du datif et l’hypothèse avancée supra, étant donné que dans notre sélection de la structure dative, nous n’avons pris en considération que les exemples ayant un GP supprimable, ce qui constitue une caractéristique du datif sachant que ce dernier et de toutes façons supprimable sans nuire à la grammaticalité et ni au sémantisme de l’énoncé, causant juste son incomplétude. Par conséquent, seuls les GP supprimables sont considérés comme des datifs. Sont­ils pour autant tous des datifs lexicaux ?

L’examen des exemples sélectionné révèle que parmi les GP supprimables, plusieurs constituent des datifs étendus, si l'on se fie au critère selon lequel le verbe, alors, ne traduit pas intrinsèquement l’idée de l’échange. Ce constat concerne tous les opérateurs relevés supra qui contiennent des datifs supprimables.

L’opérateur dat : nous relevons parmi les GP supprimables 249 occurrences répondant aux paramètres du datif, dont 202 représentent des datifs lexicaux soit 81%) et 47 des datifs étendus (soit 19%). La sélection a été faite sur la base de l’intuition qui nous permet de dire si l’idée de l’échange est explicite dans le verbe ou non et si l’objet de

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l’échange existait ou non auparavant123. Par exemple dans 6. On dédicace son livre à un lecteur, 16. On cède sa place à Paul, l’idée de l’échange est nette à partir du sens du verbe qui exprime un transfert du donneur vers un receveur, tous les deux humains. Les GP relèvent alors du datif lexical. En revanche dans 71. On ménage une surprise à Paul, l’idée de l’échange est moins nette dans la mesure où il n'est pas dit que Paul sera effectivement surpris, et où la surprise ne passe pas de « on » à « Paul » (autrement dit, le sens du verbe ménager ne suppose pas obligatoirement un receveur (qui reçoit) ni un objet d’échange). L’échange est, également, quasi absent dans l’exemple 243. On verse du vin à Paul où la présence de à N (à Paul) est nécessaire pour exprimer l’idée du transfert (sans le GP, l'idée d'un transfert est annulée puisque l’on peut imaginer quelqu’un verser du vin sur la table) : c’est le cas du datif étendu.

La première conclusion possible qui émane de cette analyse est que, pour le datif lexical, l’échange est exprimé par le verbe lui­même et le sens ne peut être affecté par l’omission du GP. En revanche, pour le datif étendu, l’idée de transfert est moins nette ou parfois quasi absente du sens du verbe, la présence du GP (à N) est donc nécessaire pour l’expliciter. Par conséquent nous pouvons dire que le datif étendu est plus attaché au verbe que le datif lexical puisqu’il le complète sémantiquement. En ce qui concerne l’opérateur dat, le nombre des exemples comportant un datif lexical est plus important que celui du datif étendu, ce qui apparaît normal vu que les classes définies syntaxiquement dans LVF débouchent sur des classes sémantiques.

L’opérateur dic : sur 153 exemples impliquant un datif, 97 (soit 62%) représentent des datifs lexicaux et 56 (38%) représentent des datifs étendus. L’objet d’échange est ici un message verbal. La distinction intuitive entre les deux types du datif n’a pas été très nette parce que les verbes, sémantiquement apparentés, portent dans leur sémantisme l’idée de véhiculer un message comme confesser, avouer, chuchoter, susurrer, murmurer. Nous avons retenu pour les datifs étendus les verbes où l’idée de l’échange est moins nette comme accorder, conseiller, détailler. Soit en effet l'extrait du corpus :

2. On avoue son amour à Paul 5. On confesse à Paul son erreur

42. On explique à Paul les raisons du refus

Dans ces exemples, les verbes portent dans leur sémantisme le sens « dire » qui consiste pour un émetteur à adresser un message verbal à un récepteur, confirmant l’idée

123 L'intuition est confirmée par la possibilité d'une description de la situation du type : Z n'avait pas Y avant que X V Y à Z (Ida lègue ses biens à Luc = Luc n'avait pas les biens d'Ida avant qu'elle ne les lui lègue), et par les enchaînements tels que proposés par Anscombre & Ducrot (op. cit.) du type : Ida lègue ses biens à Luc donc désormais Luc possède des biens (*mais désormais Luc possède des biens).

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de l’échange entre deux humains : cette structure verbale du datif implique un datif lexical et l’omission de à N n’annule pas le sens « transfert ». En revanche, dans :

13. On accorde à Paul des excuses.

19. Le médecin indique à Paul des médicaments. 36. On prouve à Paul son innocence.

44. Le professeur commente le texte aux élèves.

Le message verbal impliquant le sème « dire » n’est pas explicite même si l’idée de transfert entre un émetteur et un récepteur n’est pas absente. Avec l’effacement de à N (à Paul), le transfert est moins évident : nous aurons tendance à dire qu’il s’agit d’un datif étendu.

L’opérateur abda : rassemble des constructions verbales à sens privatif de type ôter quelque chose à quelqu’un, l'un des deux pôles de la construction dative. D’ailleurs, dans tous les exemples relevés contenant un datif, tous les verbes sont commutables avec ôter ou prendre :

15. On supprime à Paul les crédits (ôter)

16. On emprunte une grosse somme d’argent à Paul (prendre) 36. On confisque un illustré à un enfant (ôter)

Le constat le plus trivial qui ressort de ces exemples est que à, qui indique normalement la direction ou la destination que l’on retrouve dans donner à selon le mouvement d’approche linéaire, se trouve ici avec des à N qui indiquent la provenance ou l’origine et qui privilégient habituellement la préposition de, ce que montrent les paraphrases :

Les crédits viennent de Paul

Cette grosse somme d’argent provient de Paul L'illustré vient de l’enfant

Cela nous amène à nous demander pourquoi les verbes à effet privatif appellent la préposition à et non pas la préposition de, car si l’idée de l’échange est exprimée par les verbes, supprimer, emprunter, confisquer qui supposent l’existence d’un donneur et d’un receveur, le schéma d’échange est inversé ici : le donneur devient le SN3 et le receveur est le SN1. En effet, dans On supprime à Paul les crédits c’est Paul qui est donneur (malgré lui, certes) et on receveur ; de même dans On emprunte une grosse somme d’argent à Paul, c’est Paul (SN3) qui a pour rôle de donner et on (SN1) celui de recevoir.

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Pareillement pour l’enfant (donneur) à qui l'on confisque un illustré. Par conséquent, la structure privative du verbe peut engendrer des datifs lexicaux.

L’opérateur grp, comme l’opérateur abda, présente des constructions verbales privatives de type grp 4. Cet écrivain emprunte cette idée à Paul, grp 17. On arrache Paul à sa famille, où les verbes sont également paraphrasables par ôter ou prendre. L’expression de l’origine qui découle de l’ensemble des occurrences ne justifie pas l’emploi de la préposition à là où l'on attendrait de : selon la thèse que à exprime la destination, la direction et de l’origine, la provenance, on ne voit pas a priori d’explication qui justifie pourquoi on dit 20. On confisque Paul à ses amis et non *On confisque Paul de ses amis, 44. On retire son estime, sa confiance à Paul et non *On retire sa confiance de Paul. Trois hypothèses sont envisageables pour l'expliquer : ou bien il se dégage ici un nouveau sens de à, susceptible d'exprimer aussi l’origine, la provenance dans la construction verbale privative ; ou bien l’échange est exprimé d’une manière rétrospective dans un mouvement linéaire inverse allant de à N3 vers N1 (« Paul va de ses amis vers on ») ; ou bien l'on considère que le GP indique l'entité visée pour l'action verbale (la confiscation vise les amis, à qui on souhaite enlever Paul – les deux dernières hypothèses sont a priori plus satisfaisantes du fait qu'elles exploitent l'identité fondamentale de à telle qu'elle a été circonscrite jusqu'ici. Il s’agit d’un datif lexical puisque l’idée du transfert est nette. Cependant la suppression du GP ne paraît pas acceptable : On confisque Paul ; *On retire son estime, ce qui constitue un contre exemple à la propriété retenue pour opposer le datif lexical et le datif étendu.

Dans l’ensemble des constructions datives classées sous cet opérateur, tous les exemples contiennent des datifs lexicaux où l’idée de l’échange est intrinsèque au sens du verbe comme dans 12. La police extorque les aveux au suspect.

L’opérateur f.ire : les trois exemples répondant aux paramètres du datif et classés sous l’opérateur f.ire parmi les GP supprimables sont dotés d’une construction verbale bénéfactive qui justifie l’emploi de la préposition à. Ainsi l’objet de l’échange est exprimé clairement dans 5. On expédie un colis à Paul même avec la suppression de à N. Il s’agit clairement d’un datif lexical.

L’opérateur ict : sur les 17 exemples contenant un datif, 11 représentent un datif lexical de type 21.On donne une giffle à Paul où l’idée de l’échange est intrinsèque au sens du verbe, et 6 représentent un datif étendu où l’échange est exprimé par à N comme dans 25. Le boxeur place un crochet à Paul. Dans ce dernier exemple, l’échange n’est pas assuré intrinsèquement par le sens du verbe placer mais par la présence de à N. Le GP datif étendu est donc sémantiquement plus proche du verbe puisque sa présence est nécessaire.

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L’opérateur mand : les cinq exemples contenant un datif présentent un datif lexical. Ils sont paraphrasables avec le verbe demander qui explicite l’idée de l’échange sans recourir au SP à N comme dans 5. On quémande un secours à Paul. Le verbe quémander implique l’origine qui normalement privilégie la préposition de : le donneur est Paul et le receveur est le sujet on.