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Nous avons sélectionné dans LVF un corpus contenant des GP infinitifs introduits par à qui, à notre sens mériterait d’être analysé en rapport avec ce qui a été dit dans la littérature évoquée supra. Pour mener à bien notre analyse, nous avons procédé à un classement des exemples selon la parenté sémantique qui existe entre les verbes recteurs. Ainsi, l’idée commune qui préside à l’ensemble des exemples relevés est qu’il existe un passage d’une situation A à une situation B. Ce cadre global a été subdivisé en d’autres sous­classes rassemblant chacune des caractéristiques communes.

II.1.1. Le mouvement d’approche ou mouvement

prospectif :

Les verbes du corpus sélectionné marquent l’engagement actif du sujet vers l’atteinte d’un objectif.

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Dans l’ensemble du corpus relevé108 (excepté 3, 10, 14), le verbe conjugué construisant son complément avec à marque que l'on s’approche progressivement vers le but à atteindre exprimé par le verbe à l’infinitif. Ainsi dans l’exemple 1. On apprend à Paul à travailler, il y a un mouvement abstrait qui consiste à changer Paul d’une situation initiale où il ne savait pas travailler à une situation nouvelle où il a appris à travailler. De même, dans 2.On amarine les marins à servir la marine, le SP à servir la marine constitue le but à atteindre. On s’approche progressivement vers le but à atteindre et on rejoint l’idée du mouvement d’approche annoncée par Guillaume. Dans 5.On conduit Paul à douter, il y a un passage d’une situation où Paul ne doutait pas à une situation où Paul doute. Dans 17. Cet évènement détermine Paul à partir, nous avons un passage d’une situation initiale où Paul n’était pas déterminé à partir à une situation nouvelle dans laquelle se trouve Paul. Cette situation nouvelle constitue dans tous les cas le but à atteindre109.

II.1.2. La volonté du sujet

L’atteinte de l’objectif dépend de la volonté du sujet, nécessaire à la réalisation de l’action exprimée par l’infinitif. Dans 9. On acclimate Paul à travailler en silence, 11.On autorise Paul à sortir, 18. Cette amitié dispose Paul à se confier, la réalisation de l’action exprimée par le GP est liée à l’engagement du sujet. Autrement dit, le sens est que sans l’autorisation du sujet, Paul ne peut pas sortir, ou que sans l’existence de l’amitié, Paul ne peut pas se confier, ou encore que si Paul est parvenu à travailler en silence c’est qu’on l’y a acclimaté110.

II.1.3. La destination

Le verbe contient l'idée d'un objectif visé, lequel est formulé par l'infinitif.

13. On destine Paul à succéder à son père

108 Il s’agit ici du corpus 2(voir annexe) dans lequel nous avons placé tous les exemples de nos opérateurs sélectionnés de LVF où le GP = à + infinitif.

109 Cette analyse sémantique de l'identité lexicale du verbe peut se vérifier à l'aide d'enchaînements (Anscombre & Ducrot, op. cit.) ; par exemple, la suite Paul ne sait pas travailler donc on lui apprend à travailler est logiquement consistante, par opposition à # Paul sait travailler, donc on lui apprend à

travailler (en l'occurrence, savoir présuppose apprendre (on sait parce que l'on a appris), d'où l'inconsistance de l'enchaînement).

110 Là encore, les enchaînements possibles et impossibles confirment l'analyse sémantique ; ainsi Léa autorise Paul à sortir donc Paul sort est consistant, de même que Léa autorise Paul à sortir mais Paul ne sort pas, à l'encontre de # Léa n'autorise pas Paul à sortir donc Paul sort ou # Léa n'autorise pas Paul à sortir mais Paul ne sort pas (qui ne sont acceptables que si l'on imagine une situation ad hoc).

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16. Cet évènement destine Paul à occuper un poste important 22. Rien ne destine Paul à jouer un rôle politique

La destination ici n’est pas à prendre dans le sens spatial mais dans celui de la préparation du référent du SN2 à accomplir l’action exprimée par l’infinitif introduit par à. Cette préparation effective consiste en un cheminement qui rejoint l’idée du mouvement linéaire de Guillaume et la notion de « dynamisme » de Gougenheim.

II.1.4. L’expression de l’intensité

Le verbe indique une stimulation forte du référent du sujet de l'infinitif dont on attend qu'il réalise l'action visée. Dans les exemples qui suivent, les verbes conjugués sont sémantiquement apparentés puisqu’ils expriment une certaine intensité dans l’effort effectué par leur sujet. L’emploi de à est favorisé par la visée prospective précédemment soulignée, introduisant l'objectif exprimé par le verbe à l’infinitif d’autant plus que l’engagement du sujet est très marqué.

6. On excite Paul à se révolter 7. On impulse les masses à agir

8. On instigue Paul à poursuivre son effort 29. On s’efforce à raccompagner Paul chez lui

76. On s’escrime à vouloir partir le premier (s’évertuer, s’acharner) 77. On s’esquinte à vouloir finir ce travail

78. On s’exténue à vouloir répéter toujours la même chose 79. On se fatigue à vouloir répéter la même chose

Cette analyse fait écho à l’idée de Grevisse (1959 : 665) selon laquelle « l'infinitif précédé de à s'emploie comme complément de beaucoup de verbes marquant un effort, une tendance, une aspiration, une direction, etc. ». Nous retenons en l’occurrence l’idée de l’effort intrinsèque au sens des verbes recteurs.

II. 1.5. Le mouvement d’approche n’est pas explicite

dans le sens du verbe

Dans l’exemple 90. On s’abandonne à un grand désespoir, à désespérer, le verbe n’exprime pas une activité marquée malgré la présence de la préposition à mais, au

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contraire, une certaine passivité. Cependant, dans l’abandon qui mène au désespoir, nous retrouvons « le mouvement linéaire » annoncé par Guillaume (op.cit.) même s’il va dans le sens inverse de celui qu'expriment les autres verbes. En effet, par un mouvement d’abstraction, le SN2 est tiré vers le bas avec l’emploi de réduire, assujettir et soumettre (il n'est pas poussé à se dépasser), comme il est visible dans les énoncés suivants :

3. On réduit Paul à emprunter

10. On assujettit le contribuable à payer (obliger) 14. On soumet les contribuables à payer (contraindre)

Le mouvement d’approche n’est pas intrinsèque au sens du verbe soumettre. L’interprétation sémantique est cependant que dans l’assujettissement des contribuables à payer, se trace un mouvement linéaire dans lequel le sujet on pousse le C.O.D à effectuer l’action indiquée par l’infinitif introduit par à. Il s’agit donc également d’un passage d’un état à l’autre, d’une situation ordinaire à une situation de désespoir, de soumission, d’assujettissement.

L’intuition est plausible dans la mesure où l’on peut établir un lien entre l’interprétation des exemples et les hypothèses sémantiques soulignées par les auteurs annoncés supra, lien que nous avons vérifié avec les enchaînements. Cependant, il nous manque des preuves distributionnelles qui permettent de mettre à l’épreuve ces interprétations. Pour tenter de trouver des explications empiriques plus fiables, nous recourons au test de nominalisation et à celui de télicité.

II.2. Le recours à l’outil distributionnel : la