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concurrence fiscale dommageable initiée par l’OCDE4445, la double imposition constitue un obstacle à la concurrence équitable entre les agents économiques qui seraient épargnés et ceux qui seraient forcés à renoncer à des structures, afin d’être préservés de ces fléaux46 et donc au développement du commerce mondial, objet de l’effort des nations, durant tout le XXe siècle. Militer en faveur de l’élimination des doubles impositions, notamment en présence de situations triangulaires, participe de la volonté de préserver une neutralité fiscale, quelles que soient les structures juridiques choisies.

Accepter les incertitudes, quant au traitement fiscal applicable, revient à accepter une distorsion de la concurrence et donc de la compétitivité entre des groupes, ces derniers ne pouvant être assurés d’être dans une situation fiscale identique à celle de leurs concurrents, qui n’auraient pas recours à des situations triangulaires ou pour lesquels les droits internes de leurs Etats d’implantation proposeraient une élimination unilatérale des multi-impositions éventuelles.

En outre, les possibles multi-impositions réduisent corrélativement les profits des groupes qui les subissent, favorisant ainsi l’inflation et l’augmentation des prix pour maintenir les marges et récupérer ainsi le niveau de profit visé auprès du client final. Si ce coût additionnel n’est pas transféré au client final, comme semble le démontrer la situation économique en Europe, par exemple, en raison des conditions de marché, et que la concurrence mondiale impose une pression sur les prix, tout en maintenant les marges, il existe alors un risque d’arbitrage au détriment des coûts salariaux qui s’effectue en priorité aux dépens des Etats les plus développés. Le chômage devient alors la conséquence de la situation. Cette conséquence doit amener les Etats à arbitrer de manière équilibrée entre la ressource budgétaire possiblement issue de la double imposition et l’évaporation de la ressource budgétaire, éventuellement entrainée par l’augmentation du chômage. L’arbitrage budgétaire à court terme ne doit pas interdire la recherche de croissance et le plein emploi à moyen terme.

44 Concurrence fiscale dommageable : un problème mondial, OCDE 1998.

45 Dos Santos (A.), « What Is Substantial Economic Activity for Tax Purposes in the Context of the European Union and the

OECD Initiatives against Harmful Tax Competition? », 2015-24, EC Tax Review, Issue 3, p. 166–175.

COIN, Raphaël| Thèse de doctorat | Juillet 2016

Alternativement, l’émergence systématique de stratégies d’optimisation fiscale agressives qui permettent d’éliminer les coûts fiscaux supplémentaires entraînent, au mieux, une incertitude pour les ressources des budgets nationaux et plus probablement une fuite de la base fiscale.

La multi-imposition potentiellement issue d’une situation triangulaire est donc néfaste, tant pour les multinationales que pour les Etats, faussant la concurrence et entraînant des délocalisations. Elle constitue donc un enjeu stratégique macro- économique et micro économique. Elle ne constitue en rien un choix de la part des agents économiques qui la subissent. C’est un élément fondamental de notre analyse. Les agents économiques supportent ces contraintes sans pouvoir librement réagir. Le recours à des situations triangulaires ne peut en effet, selon nous, être présumé suspect, sauf à considérer que les entreprises auraient systématiquement un choix totalement libre des structures juridiques pouvant être mises en place. La réduction des marges de manœuvre nous semble au contraire être justifiée par une évolution fondamentale de l’activité économique et l’absence d’intention coupable présumée de l’entreprise, considérant celles-ci, plus comme une victime que comme une utilisatrice frauduleuse du système. Prendre comme hypothèse de travail que les groupes multinationaux disposent d’une liberté totale pour s’organiser sous des formes juridiques neutres en matière de situations triangulaires, serait une réponse qui ne prendrait pas en compte les contraintes autres que fiscales (contraintes économiques, juridiques ou réglementaires) et qui de plus, n’a pas été observée dans notre pratique professionnelle Ainsi, la motivation pour la mise en place d’un établissement stable peut, certes, répondre à des préoccupations fiscales, mais est généralement motivée par des contraintes fortes non-fiscales. Dans le domaine bancaire, par exemple, l’expansion au-delà des frontières, en particulier en Europe, est favorisée au travers de l’utilisation d’établissements permettant « d’exporter » la réglementation bancaire de l’Etat du siège dans un autre Etat et ainsi de centraliser le contrôle auprès d’un régulateur unique connu, mais aussi d’optimiser les coûts afférents. De même, les activités qui démarrent, ne sont pas nécessairement exercées par l’intermédiaire de filiales, cette structure n’étant pas toujours adaptée lorsque l’implantation se limite à un nombre restreint d’employés et que la certitude de développement n’est pas assurée. L’allocation de capitaux propres ainsi que la

simplification comptable et juridique peuvent, elles aussi, motiver la mise en place de succursales.

Dans tous ces domaines, les groupes multinationaux ne disposent que d’une marge de manœuvre réduite, le choix d’une structure n’étant qu’accessoirement influencé par des critères fiscaux. Le risque de mise en place d’optimisations fiscales sophistiquées pour lesquelles une réponse ciblée semble possible n’est, à notre avis, qu’une conséquence secondaire eu égard au but essentiel qui demeure l’élimination des doubles impositions. Les groupes doivent donc être présumés innocents lorsqu’ils ont recours à des situations triangulaires, sauf à démontrer de manière objective leur culpabilité. C’est en raison de tous ces éléments que nous considérons ces situations triangulaires comme passives ou subies.

Pour l’établissement stable, comme nous l’avons rappelé, il s’agit traditionnellement des cas identifiés et analysés par l’OCDE, l’utilisation de cette forme d’implantation est principalement retenue en raison de sa flexibilité juridique et de son adéquation à certaines contraintes règlementaires, comme par exemple, pour les assurances et les banques.

Pour l’OCDE, l’établissement stable est indissociable du concept de situation triangulaire et les situations triangulaires mettent systématiquement en jeu des établissements stables47. Ce sont les situations triangulaires « primaires »48.

Comme nous l’avons indiqué ci-avant, les situations triangulaires posent des difficultés structurelles liées au fait que le Modèle de convention fiscale se trouve confronté à des situations multilatérales inédites. En pratique, le refus par l’OCDE d’appliquer le traité entre l’Etat de source et l’Etat de localisation de l’établissement stable constitue une contrainte significative. Cette difficulté est structurellement attachée au système des conventions fiscales. Même généralisé, le fondement de la relation conventionnelle demeure, en effet, de donner accès à la protection du traité uniquement « aux résidents des Etats contractants »49. Les situations triangulaires

47 Modèle de convention fiscale : « Cas triangulaires », adopté par le Conseil de l’OCDE le 23 juillet 1992 ainsi que les

travaux préalables de l’institution. Par exemple CFA/WP1 (76) 4 du 8 mars 1976, groupe de travail n° 1.

48Qualifiées de « classiques » par l’OCDE dans son étude, « Cas triangulaires », adoptée par le Conseil de l’OCDE le 23

juillet 1992.

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sont de nature fondamentalement différente. Elles traitent certes d’un bénéficiaire et d’une partie versante qui sont résidents de deux Etats, mais le bénéficiaire se trouve être localisé dans un Etat tiers par rapport à celui de résidence.

En réalité, c’est la présence même de l’établissement stable dans un autre Etat et la nature polymorphe même de la « personnalité fiscale de l’établissement » qui fait naître des difficultés et des questions spécifiques. La complexité de la situation provient du choix de l’OCDE, qui donne à l’Etat de localisation de l’établissement stable un rôle central pour éliminer les doubles impositions, sans pour autant accorder le statut de résident à celui-ci. Le rôle est essentiel, les moyens accordés dérisoires. Le rôle dévolu dans ce domaine à l’Etat de résidence n’est pas non plus totalement satisfaisant.

Tout serait relativement simple si le traité entre l’Etat de source et l’Etat de localisation de l’établissement stable (traité S/P) s’appliquait sans restriction. Nous serions alors en présence d’une situation bilatérale résolue sur le fondement du traité S/P. En ce qui concerne les situations triangulaires primaires originelles, l’Etat P accorderait un crédit d’impôt pour l’impôt prélevé dans l’Etat S en application du traité S/P et pour les situations primaires inversées, l’Etat P prélèverait seul une retenue à la source sur les versements effectués par ce dernier. Le risque de double imposition serait corrélativement éliminé. L’analyse de l’OCDE est cependant différente.

L’OCDE accepte, en effet, l’existence d’un risque de double imposition potentielle des situations triangulaires en raison du refus de l’Etat P de garantir l’accès au traité P/S à l’établissement stable en qualité de résident. Sans envisager de solution alternative généralisée, elle constate sans réaction que l’établissement stable est imposable dans l’Etat S au travers d’une retenue à la source locale, sans pouvoir imputer avec incertitude la totalité de cet impôt sur ce même flux imposable lui- même dans l’Etat P. L’OCDE se limite à proposer des solutions optionnelles ou indirectes soumises à des arbitrages nationaux ne permettant pas de trouver de

solution harmonisée, ce qui, compte tenu de l’objectif du Modèle de convention fiscale, peut apparaître comme un échec relatif50.

L’objet de nos travaux n’est cependant pas uniquement de constater que les entreprises qui utilisent des établissements stables, sources de situations triangulaires, subissent potentiellement des multi-impositions et corrélativement des distorsions de concurrence, mais de déterminer si une analyse approfondie et éventuellement constructive des normes internationales en vigueur aboutit à des solutions adaptées. En pratique, les situations triangulaires passives subies par les agents économiques posent deux difficultés principales : l’application des conventions fiscales avec l’Etat de source et l’Etat de localisation de l’établissement stable (Titre 1), mais aussi si les autres traités en présence peuvent permettre d’éliminer les doubles impositions éventuelles (Titre 2). Si une multi-imposition subsiste à la fin du Titre premier alors, le Titre second permettra de déterminer si un nombre équivalent d’élimination de doubles impositions peut être obtenu.

50 Proposant, par exemple, d’accorder au cas par cas aux établissements stables au travers d’une clause spécifique permettant

l’imputation d’un crédit d’impôt prévu dans le traité P/S sans limite. « Cas triangulaires », étude précitée, Com. 56, laissant de côté une éventuelle approche harmonisée multilatérale probablement en raison des divergences de ses membres sur ce point.

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