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Section 1. Les situations triangulaires primaires originelles

B. La solution franco-italienne

2. Les incertitudes pratiques

a L’augmentation du nombre de conflit de convention

Même si le régime issu de la convention franco-italienne offre une protection bien supérieure à celle issue du Modèle de convention, certaines questions pratiques subsistent. Elles sont rarement abordées par la doctrine.

On doit constater tout d’abord que l’application pratique de ce dispositif n’est pas simple.

La première question est de déterminer si la solution proposée est réellement favorable83en comparaison avec d’autres protections.

Analysons, par exemple, le cas d’un établissement situé en France d’une société des Pays-Bas recevant des redevances de source italienne:

Redevances

NL (R) France (P) Italie (S)

Situation franco-italienne (France Etat P)

Ce cas nous semble visé dans la convention et devrait être réglé en appliquant un crédit d’impôt en France pour la retenue à la source, versée en Italie en application de

82 Convention du 10 mars 1964 tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative en

matière d'impôts sur le revenu telle qu'elle a été modifiée par les avenants du 15 février 1971, du 8 février 1999, du 12 décembre 2008 et du 7 juillet 2009.

83 Même si la portée pratique doit être nuancée pour un Etat de l’Union européenne pour lequel il nous semble que d’autres

la « fiction » de relation bilatérale franco-italienne issue de l’application de la convention fiscale.

La spécificité est que la double imposition est éliminée en application de la clause contenue dans la convention franco-italienne et non, comme l’OCDE le propose, en application de la clause de non-discrimination contenue dans le traité entre les Pays- Bas et la France qui prévoit que les établissements stables d’un Etat ne peuvent être traités de manière différente des sociétés de l’un des Etats, aboutissant à l’application indirecte du traité France/Italie84.

Le régime d’imposition n’est pas organisé en application du traité Pays-Bas/Italie qui serait applicable dans l’Etat de source selon les grands principes établis par l’OCDE85. Il existe donc un risque de conflit entre deux traités applicables.

Dans une telle hypothèse, le contribuable aura tendance à rechercher l’accord le plus favorable en fonction de caque situation de fait. Ce risque est créé par le fait que la solution proposée est dérogatoire, donc pouvant être reprise ou non dans tel ou tel traité. Cette solution peut créer des conflits pour toutes les relations triangulaires mettant en jeu la France, l’Italie et un troisième Etat qui dispose d’une convention fiscale avec la France. Les cas sont potentiellement nombreux.

La protection directe offerte par la convention France/Italie nous semble supérieure à celle de l’article de non-discrimination contenu dans la convention entre l’Etat du siège et celui de l’établissement,86car elle oblige aussi l’Etat de source87 à limiter la retenue à la source au niveau prévu par le traité France/Italie. Elle a donc pour effet de partager l’obligation d’élimination de la double imposition entre l’Etat de source et l’Etat de localisation de l’établissement alors que, nous le verrons, l’OCDE fait porter cette obligation pratiquement en totalité sur l’Etat de localisation, quitte à

(CJCE, 21 septembre 1999 Aff. 307/97 plén. Cie Saint-Gobain ZN RJF 12/1999 n° 1629). Pour les exemples analysés ici nous avons négligé cet aspect.

84 Cf. ci-après, Section 2, nos développements sur le moyen indirect de résoudre la question en application de l’article de

non-discrimination du traité entre le pays de localisation de l’établissement et celui du siège de résidence de la société.

85 Le traité S/R s’applique, Modèle de convention fiscale : « Cas triangulaires », adopté par le Conseil de l’OCDE le 23

juillet 1992.

COIN, Raphaël| Thèse de doctorat | Juillet 2016

conserver une double imposition pour la partie de la retenue à la source excédentaire prélevée dans l’Etat de source en application du traité avec le siège (S/R), mais en contradiction avec le traité avec l’établissement stable (S/P).

b L’accès à un réseau conventionnel étendu

Il est ici question d’un traitement de l’établissement « quasi équivalent » à celui d’un résident et non plus « aussi favorable » que celui d’un résident de l’Etat P, soit la France dans notre exemple. C’est l’élément essentiel qui différencie ce traité de l’application d’une notion de non-discrimination issue du traité France/Pays-Bas. En pratique, l’interaction du droit communautaire aboutirait à nuancer cette avancée, dès lors qu’il pourrait être considéré que celle-ci est garantie par le droit communautaire, y compris dans l’Etat de source lorsque celui-ci est un Etat membre88.

On peut aussi s’interroger sur les limites d’application du régime lorsque tous les Etats ne sont pas liés par des conventions ou que celles-ci divergent dans leur rédaction. Même si le texte ne fait référence qu’à « l’établissement stable » au sens du traité France/Italie, il s’agit de l’établissement « d’une entreprise d’un Etat tiers ». Le vocabulaire utilisé et la référence à la notion d’établissement stable semblent laisser penser que la présence dans l’un des Etats ne peut être un « établissement » au sens du traité France/Italie, d’une entreprise d’un Etat tiers, uniquement si cette entreprise peut avoir un établissement stable en France ou en Italie et donc dispose d’une convention avec l’un ou ces deux Etats puisque la définition de l’établissement stable ne peut provenir que d’une convention fiscale.

87 En l’espèce, l’Italie.

88 Même si certains doutes peuvent exister sur ce point, cf. Chapitre 2, Section 1 B II, le développement sur l’effet du droit

Redevances

Etat non conventionné

avec laFrance et/ou l’Italie France

Italie

Situation franco-italienne hors convention (France Etat P)

Une absence de convention fiscale entre l’Etat du siège et l’Etat de source ne semble en revanche pas contredire cette rédaction89, ce qui pourrait amener à des

considérations intéressantes d’abus de traité, même si le traité France/Italie contient un arsenal développé de mesures anti-abus comme le point 15 du protocole du traité qui précise :

« Dans les cas où, conformément aux dispositions de la présente convention, un revenu doit être exempté de la part de l'un des deux Etats , l'exemption sera accordée si et dans la mesure où ce revenu est imposable dans l'autre Etat ce point permettant à l’Etat de source de refuser la réduction de retenue à la source si l’établissement stable bénéficiaire de tels revenus n’est pas effectivement imposable au titre des dits revenus. »90

Le texte ne semble toutefois pas viser l’obtention du crédit d’impôt dans l’Etat de l’établissement stable, mais uniquement la retenue à la source dans l’Etat de source, le traité restant applicable dans l’Etat P en cas d’abus91.

La seconde question qui se pose est de savoir si, en présence d’une convention fiscale S/R, la définition de l’établissement incluse dans ce traité peut avoir une influence sur le traité franco-italien en qualité de traité S/P. Afin d’éviter les risques relevés par

89 C’est entre l’Etat du siège et l’Etat de l’établissement que la notion d’établissement stable est mentionnée. 90 Convention fiscale France-Italie, protocole.

91 Même si dans cette hypothèse on peut s’interroger sur la base permettant l’imputation du crédit d’impôt relatif à la retenue

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l’OCDE en matière d’abus92, la doctrine administrative française précise le traitement à retenir dans le cas où il n’y aurait pas d’établissement stable dans l’Etat P en application d’un traité avec un Etat tiers :

« Toutefois, les dispositions du b du paragraphe 2 de l'article 25 ne trouvent pas à s'appliquer lorsqu'en vertu d'une convention entre l'Italie et un Etat tiers, l'établissement stable n'est pas imposé en Italie, notamment parce qu'il ne répond pas à la définition de l'établissement stable prévue par cette convention. (…) »93

En pratique, ce cas serait celui pour lequel, par exemple, la durée nécessaire pour la reconnaissance d’un chantier est plus courte dans le traité France/Italie que dans le traité entre l’Italie et un Etat tiers. Dans la mesure où, dans cette hypothèse94, il ne

devrait pas y avoir de présence taxable dans un Etat, la question peut apparaître théorique. La légalité de la doctrine administrative ne semble pas évidente au regard de la rédaction du texte de la convention.

Les limites anti-abus sont, en outre, plus précises que celles proposées par l’OCDE, puisqu’elles ne visent pas uniquement l’imposition ou non de l’établissement en vertu du droit interne de l’Etat P, mais aussi du régime d’imposition de cet établissement en application du traité avec un autre Etat, en particulier parce que ce dernier traité considérerait que l’établissement stable de l’Etat P n’est pas imposable en application de ce traité95. Cette précision interdit, selon nous, l’application du régime lorsque l’un des Etats reconnaît de manière unilatérale dans son droit interne l’existence d’un établissement stable à l’étranger pour une société établie sur son territoire, aboutissant en pratique à une double exonération. Ainsi, dans le cas pratique mentionné ci-avant, ce serait le cas si l’établissement n’était pas imposé en Italie, dans l’hypothèse où celui-ci ne remplirait pas les conditions requises dans le traité

92 Non-imposition effective de l’établissement sur les revenus reçus et donc utilisation exclusive pour réduire l’imposition de

la retenue à la source entre l’Etat de source et l’Etat du siège puisque la société ne présente pas effectivement de présence taxable dans l’Etat P (France ou Italie), mais souhaite bénéficier de la réduction de retenue à la source en Italie ou en France en qualité d’Etat de source.

93 Inst. 11 mars 1994, 14 B-1-94 n° 89.

94 Sous réserve que les définitions de l’établissement stable dans le traité France-Italie et le traité avec l’Etat tiers soient

identiques.

95 Par exemple, différence de durée pour qualifier un chantier d’établissement stable dans les deux traités la durée étant plus

Italie/Pays-Bas pour être imposable en Italie et que les Pays-Bas exonéreraient les profits rattachables à l’établissement italien en vertu de leur droit interne96 :

Redevance

NL Italie

France

Situation franco-italienne (France Etat S)

Dans une telle hypothèse, l’établissement ne serait plus « protégé » en application du traité franco-italien. Il pourrait éventuellement bénéficier de la protection liée à l’existence d’une clause de non-discrimination entre l’Italie et les Pays-Bas97 ou du

droit communautaire.

On remarquera, enfin, que le traité franco-italien constitue une exception au caractère purement bilatéral du traité, puisqu’il prend en compte les éventuels traités avec des Etats tiers, donc les modifications potentielles ultérieures de ces mêmes traités pourraient affecter la situation purement bilatérale. Cette limite n’a cependant pas empêché l’application de la convention franco-italienne.

A notre connaissance, une telle solution est isolée dans le monde.