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Section 2. Les situations triangulaires inversées

B. L’apport du droit communautaire

2. La subsistance de difficultés d’interprétation

Lors de la mise en place des directives, chacun aurait pu imaginer que l’instrument proposé permettrait de répondre aux incertitudes issues de l’application des traités en autorisant l’harmonisation des concepts issus des traités et arbitrer les conflits d’imposition entre les divers Etats, ceux-ci étant, par définition, partie de la même communauté d’intérêts. La réalité est autre.

Tout d’abord, la définition de la notion d’établissement stable pose une question spécifique dans le cadre communautaire. Il existe, par exemple, une définition de l’établissement retenue pour la TVA issue de la sixième Directive246, qui fait référence au concept

d’établissement stable mentionné à l’article 9(1)247 de la Directive dans les termes

suivants :

« Le lieu d’une prestation de services est réputé se situer à l’endroit où le prestataire a établi le siège de son activité, économique ou un établissement stable à partir duquel la prestation de services est rendue (…) »

La Directive ne définit pas précisément la notion, mais la Cour de Justice248 a, dans le

cadre de diverses décisions, permis d’appréhender le concept donnant lieu à une doctrine importante sur le sujet249, qui considère que la notion n’est pas exactement identique à

celle d’établissement stable, au sens du Modèle de convention OCDE et est principalement influencée par la substance matérielle et humaine locale. Cette définition diffère en effet de l’article 5 du Modèle de convention fiscale qui ne requiert pas la présence humaine pour la mise en évidence d’un établissement stable, en particulier en ce qui concerne les matériels250251.

L’approche originelle retenue par la communauté et celle retenue par l’OCDE marquent une profonde divergence quant à la possibilité de reconnaître un établissement stable. L’auteur crédule aurait pu penser que les directives avaient pour premier objectif d’harmoniser cette notion fondamentale dans le cadre de leur champ d’application, ce qui n’est pas le cas.

En effet, les directives ne contiennent pas directement à l’origine une définition de la notion d’établissement, que ce soit la Directive Fusion252 ou la Directive Mère-Fille253.

C’est après modification et avec l’introduction de la Directive Intérêts et Redevances qu’une tentative de définition va être donnée.

Est défini l’établissement stable dans la Directive Mère/Fille comme :

247 Référence aussi incluse à l’article 9 e (2) de la Directive Intérêts et Redevances.

248 Par exemple, ECJ 4 Juillet 1985 C 168/84 Berkholz, 17 juillet 1985 C 190/95 ARO lease, C 390/96 Lease plan Luxembourg.

249 Pistone (P), « Fixed establishment and permanent establishment », International VAT monitor, mars 1999, p. 101. 250 Modèle de convention commentaire de l’article 5 Com. 42.6 ajouté en 2003 : « Lorsqu’une entreprise exploite un équipement informatique à un endroit particulier, il peut exister un établissement stable même si aucun personnel de cette entreprise n’est nécessaire à cet endroit pour l’exploitation de l’équipement. La présence de personnel n’est pas nécessaire pour considérer qu’une entreprise exerce totalement ou partiellement son activité à un endroit si aucun personnel n’est en fait requis pour y exercer des activités d’entreprise. Cette conclusion s’applique au commerce électronique de la même façon qu’elle s’applique à d’autres activités dans lesquelles un équipement fonctionne automatiquement, par exemple une station de pompage automatique utilisée pour l’exploitation de ressources naturelles. »

251 Distaso (M), Russo (R), « The EC interest and Royalty Directive - a comment », IBFD, European Taxation, April 2004,

p 147.

252 Directive 86/434/EEC du 20 août 1990.

COIN, Raphaël| Thèse de doctorat | Juillet 2016

« Toute installation fixe d’affaires située dans un Etat membre dans laquelle l’activité d’une société d’un autre Etat membre est exercée en tout ou partie, dans la mesure où les bénéfices de cette installation d’affaires sont assujettis à l’impôt dans l’Etat membre dans lequel elle se situe en vertu du traité fiscal bilatéral applicable, ou en l’absence d’un tel traité, en vertu du droit national. »254

La Directive Intérêts et Redevances précise, quant à elle, que l’on entend « par

établissement stable toute installation fixe d’affaires situées dans un Etat membre dans lequel l’activité d’une société d’un autre Etat membre est exercée en tout ou partie. »255

Ces deux définitions font donc référence à une installation fixe d’affaires, située dans un Etat membre. Cette définition de l’installation fixe d’affaires est celle retenue par les conventions fiscales, dans la mesure où rien ne permet de penser différemment, même si l’absence de référence dans le texte ne permet pas une réponse indiscutable. Ces définitions répondent aux critiques existant avant 2003, au sujet de la Directive Mère-Fille qui ne mentionnait pas l’établissement stable.

Cependant, la définition proposée n’est pas similaire à celle de l’article 5 du Modèle de convention fiscale qui vise une installation fixe ou un agent256.

254 Directive Mère-Fille, article 2.2.

255 Directive Intérêts et Redevances, article 3.c 256 L’article 5 du Modèle de convention prévoit :

« 1 : Au sens de la présente Convention, l'expression « établissement stable » désigne une installation fixe d'affaires par l'intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité

2. L'expression « établissement stable » comprend notamment : a) un siège de direction,

b) une succursale, c) un bureau, d) une usine, e) un atelier et

f) une mine, un puits de pétrole ou de gaz, une carrière ou tout autre lieu d'extraction de ressources naturelles. 3. Un chantier de construction ou de montage ne constitue un établissement stable que si sa durée dépasse douze mois. 4. Nonobstant les dispositions précédentes du présent article, on considère qu'il n'y a pas « établissement stable » si : a) il est fait usage d'installations aux seules fins de stockage, d'exposition ou de livraison de marchandises appartenant à l'entreprise ;

b) des marchandises appartenant à l'entreprise sont entreposées aux seules fins de stockage, d'exposition ou de livraison; c) des marchandises appartenant à l'entreprise sont entreposées aux seules fins de transformation par une autre entreprise; d) une installation fixe d'affaires est utilisée aux seules fins d'acheter des marchandises ou de réunir des informations, pour l'entreprise;

e) une installation fixe d'affaires est utilisée aux seules fins d'exercer, pour l'entreprise, toute autre activité de caractère préparatoire ou auxiliaire;

f) une installation fixe d'affaires est utilisée aux seules fins de l'exercice cumulé d'activités mentionnées aux alinéas a) à e), à condition que l'activité d'ensemble de l'installation fixe d'affaires résultant de ce cumul garde un caractère préparatoire ou auxiliaire.

L’article 5 du Modèle de convention fiscale mentionne donc un type d’établissement stable, conséquence de l’existence d’un agent, qui n’est pas contenu dans les directives. En outre, on peut probablement penser que les exceptions à la reconnaissance d’un établissement stable, contenues dans l’article 5 du Modèle de convention fiscale ne sont pas reprises par la Directive. Ainsi, l’évolution possible de la définition dans le Modèle de convention fiscale en matière de commerce numérique n’aurait pas d’effet sur ce régime, obligeant l’Europe à évoluer sur ce sujet de manière autonome.

Conclusion du chapitre 1

L’analyse de l’application d’une convention fiscale entre l’Etat de source et l’Etat de situation de l’établissement stable ne permet pas d’éliminer, de manière satisfaisante, le risque de double imposition des situations triangulaires primaires identifiées par l’OCDE.

En ce qui concerne les situations triangulaires primaires originelles, pour lesquelles l’établissement stable est le bénéficiaire des revenus de source d’un Etat tiers, la difficulté est la conséquence directe du refus de l’OCDE d’accorder à l’établissement stable le statut de résident et de reconnaître pleinement cette relation. En conséquence, selon l’OCDE, le traité S/P n’est pas applicable.

Cette absence de résidence, impose l’application de la retenue à la source prévue dans le traité S/R, alors que le revenu est en réalité imposable dans l’Etat P, créant ainsi une divergence entre la réalité opérationnelle et la fiction fiscale, et possiblement une

5. Nonobstant les dispositions des paragraphes 1 et 2, lorsqu'une personne - autre qu'un agent jouissant d'un statut indépendant auquel s'applique le paragraphe 6 - agit pour le compte d'une entreprise et dispose dans un Etat contractant de pouvoirs qu'elle y exerce habituellement lui permettant de conclure des contrats au nom de l'entreprise, cette entreprise est considérée comme ayant un établissement stable dans cet Etat pour toutes les activités que cette personne exerce pour l'entreprise, à moins que les activités de cette personne ne soient limitées à celles qui sont mentionnées au paragraphe 4 et qui, si elles étaient exercées par l'intermédiaire d'une installation fixe d'affaires, ne permettraient pas de considérer cette installation comme un établissement stable selon les dispositions de ce paragraphe.

6. Une entreprise n'est pas considérée comme ayant un établissement stable dans un Etat contractant du seul fait qu'elle y exerce son activité par l'entremise d'un courtier, d'un commissionnaire général ou de tout autre agent jouissant d'un statut indépendant, à condition que ces personnes agissent dans le cadre ordinaire de leur activité.

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différence entre les entreprises qui investissent dans l’Etat P par l’intermédiaire d’une filiale et celles qui investissent dans l’Etat P au travers d’un établissement stable qu’elles y possèdent. La relation entre l’Etat de source et celui du bénéficiaire est ignorée au profit d’une relation fondée exclusivement sur le critère fiscal de la résidence de l’Etat R.

Les tentatives de remise en cause de ce principe ont peu d’effet, que ce soit la recommandation de l’OCDE de négocier une solution spécifique reconnaissant l’application du traité S/P ou la recherche d’une analyse constructive du texte du Modèle de convention fiscale.

La première solution n’a été appliquée que dans le cadre franco-italien et laisse subsister de nombreuses difficultés pratiques principalement liées au fait que cette relation est isolée et en conflit avec la vaste majorité des autres situations.

La seconde solution d’une lecture constructive, même si elle représente, selon nous, un intérêt réel, n’a jamais été soutenue par la doctrine majoritaire et se heurte à l’opposition quasi systématique des Etats ; seules quelques juridictions ont accepté de reconnaître ce principe dans des cas isolés.

Les situations triangulaires primaires inversées, sont, elles aussi, confrontées à une double imposition systémique liée à une incapacité du Modèle de convention fiscale à régler le conflit de source entre l’Etat de résidence du débiteur et l’Etat de situation de l’établissement stable débiteur des flux. Ici encore, la cause de la difficulté est l’incapacité à accepter la reconnaissance fiscale totale de l’établissement stable et corrélativement la relation conventionnelle entre l’Etat P et l’Etat B. Cette incapacité entraînant un risque élevé de double source et de double imposition corrélative, est assumée par l’OCDE.

7. Le fait qu'une société qui est un résident d'un Etat contractant contrôle ou est contrôlée par une société qui est un résident de l'autre Etat contractant ou qui y exerce son activité (que ce soit par l'intermédiaire d'un établissement stable ou non) ne suffit pas, en lui-même, à faire de l'une quelconque de ces sociétés un établissement stable de l'autre ».

Enfin, les solutions proposées par l’OCDE dans le texte du Modèle de convention fiscale ou dans les commentaires divergent et ne sont pas arbitrées. Une stratégie possible serait peut-être d’aligner la source sur le pays de déduction de la charge correspondante à l’instar du système prévu par la Directive intérêts et redevances au sein de l’Union européenne. Cette solution ne permet cependant pas d’échapper aux incertitudes des traités, dès lors que la Directive renvoi aux traités pour de nombreuses notions.

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