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Section 2. Les situations triangulaires inversées

B. Les justifications du principe

1. La justification historique

Le premier projet d’article qui mentionne la question du rattachement éventuel des intérêts à un établissement stable date des travaux engagés dans le cadre du groupe de travail n° 11, dirigé par la France et la Belgique, à la demande du comité fiscal de l’OECE dans sa 7e session, en février 1958194. Ce rapport propose un premier texte

d’article sur le régime d’imposition des intérêts, fondé sur le principe de « force

attractive » de l’établissement stable qui permettrait de déroger au système

d’imposition à la source, lorsque l’on se trouve en présence d’un établissement stable auquel sont présumés rattachés des revenus, même en l’absence de lien économique. Il ne vise pas les situations trilatérales. Il vise en priorité la situation de l’établissement stable bénéficiaire, mais aussi à titre subsidiaire le cas d’un prêt consenti pour financer l’activité de l’établissement. Il est ainsi précisé :

« (…) Les intérêts de toute dette, quelle qu'en soit la forme, contractée par le résident d'un Etat Contractant dans l'autre Etat pour les besoins propres d'établissements stables qu'il y possède sont considérés comme ayant leur source dans cet autre Etat. (…) »

La règle proposée est simple et claire. Elle nous paraît parfaitement adaptée, à la condition que la notion de « besoins propres d’établissements stables » soit définie de manière précise afin d’éviter les abus195.

194 FC/WP11 (59) 1 du 15 janvier 1959, Rapport sur l’imposition des intérêts, rédigé par le groupe n° 11, reçu le 14.janvier

1959.

COIN, Raphaël| Thèse de doctorat | Juillet 2016

On notera que ce premier projet ne distingue pas intérêts et dividendes :

« Certains Etats estiment que les intérêts, comme d'ailleurs les dividendes, qui proviennent de sources situées sur leur territoire à des personnes physiques ou morales résidentes d'autres Etats, n'entrent pas dans le champ d'application des dispositions prises éventuellement pour éviter leur disposition à la fois dans l'Etat d'origine et dans l'Etat de domicile lorsque les bénéficiaires possèdent un établissement stable dans le premier de ces Etats. Le Groupe de Travail considère que ce point de vue est trop absolu et que les intérêts, en particulier, doivent être imposés dans l'Etat d'origine dans le cadre de l'établissement stable qui s'y trouve situé et qui est la propriété du bénéficiaire résident de l'autre Etat s'ils sont produits par des créances faisant partie de l'actif de l'établissement stable ou s'ils se rattachent à des opérations faites par cet établissement (cas des établissements bancaires notamment) ou encore s'il s'agit d'emprunts ayant un lien économique évident avec l'établissement. Dans cette dernière hypothèse, il est fait une mention spéciale des emprunts contractés pour les besoins du fonctionnement de l'établissement (…) »

On peut noter que les dividendes sont inclus dans le principe au contraire des redevances, sans raison apparente. L’explication est probablement que les travaux sur les dividendes étaient déjà engagés parallèlement aux analyses en matière d’intérêts. Lors des réunions suivantes du groupe 11, l’article est modifié et rédigé afin de proposer une distinction nette entre la situation dans laquelle l’établissement stable prête les fonds, et celle dans laquelle les fonds sont mis à sa disposition. On est alors en ligne avec la situation actuelle sur ce point et le dispositif est désormais séparé en deux parties196:

« Lorsque le bénéficiaire des intérêts, résident d'un Etat contractant, possède, dans l'autre Etat d'où proviennent ces intérêts, un établissement stable auquel se rattache efficacement la créance qui les produit, lesdits

intérêts sont imposables dans ce dernier Etat sans que la limitation de taux prévue au paragraphe 2 ci-dessus ait à être appliqué.

4. Les intérêts de tout emprunt, quelle qu'en soit la forme, contracté par le résident d'un Etat dans l'autre Etat pour les besoins propres d'un établissement stable qu'il y possède, sont considérés comme ayant leur source dans autre Etat. »

Il est insisté sur la notion de rattachement plus que sur celle de source. La situation est encore bilatérale (établissement stable situé dans le pays de source), puisque aucune référence n’est faite à ce stade sur la possibilité pour le résident d’être résident d’un Etat tiers.

Le troisième rapport du groupe de travail reprend ces difficultés et fait suite à la 18ème

session du comité fiscal de l’OCDE qui a procédé à la revue du rapport précédent. Il en résulte que197 la nécessité de l’inclusion de la clause est confirmée et justifiée car

« la disposition susvisée est destinée à remédier à des difficultés qui ne sont pas théoriques et dont des exemples concrets pourraient être fournis ». Il est affirmé, en

outre et conformément à notre analyse, « qu'elle ne fait pas double emploi avec la

clause insérée sous le paragraphe 3 de l'article proposé par le Groupe de Travail (paragraphe 4 de la rédaction nouvelle) qui vise le cas où la créance productive d'intérêts, et non la dette qui en constitue la contrepartie, se rattache à un établissement stable. »

Le projet est adopté en l’état. Lors de la 21ème session, des remarques importantes sont faites et des explications données198:

« (…) Le délégué des Pays-Bas estime que cette rédaction ne suffit pas car elle ne couvre pas le cas où un Etat tiers est en cause. Un emprunt peut, par exemple, être contracté par un résident d'un pays A auprès d'un résident du pays B pour les besoins d’un établissement stable que le résident du Pays A possède dans un pays C. Dans ce cas, le pays A pourrait faire valoir auprès du pays B qu'il a le droit d'imposer les

COIN, Raphaël| Thèse de doctorat | Juillet 2016

intérêts à la source en tant que pays de résidence du débiteur, mais le pays C pourrait également faire valoir auprès du pays B qu'il est en droit d'imposer les mêmes intérêts à la source du fait que l'établissement stable, pour les besoins duquel l'emprunt a été contracté et qui supporte la charge de ces intérêts, se trouve sur son territoire. (…) Le Comité charge le Groupe de Travail de préparer une rédaction définitive de ce paragraphe en tenant compte de la discussion (…) »

La situation triangulaire est identifiée dès ce moment en tant que telle.

La discussion définitive a lieu en 1961, lors de la réunion finale du groupe n° 11199.

La rédaction de l’article suivant est proposée afin de formaliser le caractère triangulaire de la situation :

« (…) Les intérêts sont considérés comme provenant d'un Etat contractant lorsque le débiteur est cet Etat lui-même, une subdivision politique de cet Etat ou un résident dudit Etat. Toutefois lorsque le débiteur des intérêts qu'il soit ou non-résident d'un Etat contractant, possède dans un Etat contractant un établissement stable pour les besoins duquel a été réalisé l'emprunt productif des intérêts sont réputés provenir de l'Etat contractant où l'établissement stable est situé. »

Des commentaires importants sur le sens de ce dispositif sont formellement publiés. Ils ne distinguent pas les intérêts et redevances, même si le texte des articles respectifs est divergent.