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Section 2. Les situations triangulaires inversées

A. La double source

2. Le régime institué par l’article 11 du Modèle de convention

Ces situations triangulaires sont visées par le Modèle de convention fiscale de manière partielle et indirecte à l’article 11 qui définit la source des intérêts et leur régime d’imposition. De manière assez surprenante, le Modèle de convention de l’OCDE ne vise pas les autres revenus passifs, en particulier les redevances, au contraire du Modèle de convention proposé par l’ONU.

a Le partage de l’imposition

L’article 11 du Modèle de convention fiscale de l’OCDE pose tout d’abord le principe d’un partage d’imposition et plus spécifiquement de la détermination de l’Etat de source des paiements de la manière suivante:

« 1- Les intérêts provenant d'un Etat contractant et payés à un résident de l'autre Etat contractant sont imposables dans cet autre Etat.

2- Toutefois, ces intérêts sont aussi imposables dans l'Etat contractant d'où ils proviennent et selon la législation de cet Etat, mais si le bénéficiaire effectif des intérêts est un résident de l'autre Etat contractant,

congrès de Londres de 1999 et une étude plus spécifique de Marco Lombardi, « Triangular situations: a case of double source taxation of interest and royalties », IBFD, Bulletin 1997 April p. 177.

l'impôt ainsi établi ne peut excéder 10 % du montant brut des intérêts (…). »179

Le système est donc assez clair : l’intérêt est imposable dans l’Etat du bénéficiaire, l’Etat de source « d’où ils proviennent », pouvant de manière optionnelle prélever une retenue à la source, inférieure ou égale à 10 %.

Ce dispositif, pris dans sa mécanique, devrait donc permettre de manière assez simple et systématique à l’Etat R, en qualité de source unique, de prélever une retenue à la source qui devrait en théorie être imputée dans l’Etat du bénéficiaire. Il ne prévoit absolument pas un partage de sources.

b Les exceptions au principe

L’article 11 du Modèle de convention fiscale prévoit, en outre, une dérogation lorsqu’il existe un établissement stable dans l’un des Etats contractants, puisque l’article 11(5) propose alors une définition de la source différente :

« Les intérêts sont considérés comme provenant d'un Etat contractant lorsque le débiteur est un résident de cet Etat. Toutefois, lorsque le débiteur des intérêts, qu'il soit ou non un résident d'un Etat contractant, a dans un Etat contractant un établissement stable pour lequel la dette donnant lieu au paiement des intérêts a été contractée et qui supporte la charge de ces intérêts, ceux-ci sont considérés comme provenant de l'Etat où l'établissement stable est situé. »180

Il y a donc exclusion immédiate de la solution de principe, dès lors que le résident a un établissement stable et que les revenus sont rattachés à cet établissement situé dans un autre Etat contractant. En réalité, il s’agit plus d’une précision sur la nature de la notion de source. Cette solution alternative prévaut sur la solution de principe, par hypothèse exclue. Elle ne prévoit pas une source dans un Etat tiers, mais une détermination alternative de la source dans l’un des Etats contractants différente de

COIN, Raphaël| Thèse de doctorat | Juillet 2016

celle prévue par la règle de principe : la source est celle de l’Etat de résidence du débiteur, sauf si les charges sont allouées à un établissement stable situé dans l’autre Etat.

Ce dispositif a pour effet de transférer hors de l’Etat de résidence du débiteur (Etat R) la source des intérêts. La source est alors située, soit dans l’autre Etat contractant (Etat B) lorsque le débiteur est résident d’un Etat contractant, soit dans l’Etat contractant où est situé l’établissement (Etat P) qui n’est pas celui du bénéficiaire lorsque le débiteur est résident d’un Etat tiers (Etat A).

La solution ne concerne en réalité qu’une partie de la difficulté liée aux situations triangulaires pour lesquelles des entreprises, résidentes ou non d’un Etat contractant, disposent d’un établissement « dans l’un des Etats contractants ». Si l’établissement est dans un Etat tiers, la solution n’est pas applicable.

Elle ne s’applique que lorsque les intérêts sont engagés en relation avec l’activité de l’établissement stable, cette situation étant définie par la notion « d’intérêts payés » par l’établissement stable, concept qui juridiquement ne représente qu’une réalité virtuelle.

La première difficulté provient des conflits pouvant exister entre les Etats, aboutissant au risque de « double source » suivant :

- le traité R/B n’a pas d’effet sur la source pour l’établissement qui est situé dans un Etat tiers, en application de l’article 11(5) qui ne couvre pas cette question. Pour ce traité, la source est donc dans l’Etat R, en application de l’article 11(1) (source 1).

Intérêts Redevance

Etat R Etat P

Etat B

Article 11(5) du traité B/R source Etat R

- le traité P/B a pour effet en application de l’article 11(5), de transférer la source des flux dans l’Etat P (source 2)181.

Intérêts Redevance

Etat R Etat P

Etat B

Article 11(5) du traité B/P source Etat P

De manière assez paradoxale, l’Etat B a signé deux traités qui donnent une source divergente créant lui-même son risque de double imposition ou une nécessité de double élimination dans l’Etat B.

La situation n’est pas nécessairement trilatérale, elle peut être bilatérale lorsque l’établissement stable et le bénéficiaire sont localisés dans le même Etat ou lorsque le bénéficiaire et le siège sont localisés dans le même Etat.

181 Comme le traité P/R.

Source 1

COIN, Raphaël| Thèse de doctorat | Juillet 2016

La dérogation sur la source des revenus, proposée par l’OCDE dans l’article 11(5) peut être considérée comme le miroir des dispositions de l’article 11(4) qui prévoit, lui aussi des règles dérogatoires en présence d’un établissement stable, mais au cas où l’établissement est le bénéficiaire des revenus, alors que la situation analysée ici est celle pour laquelle l’établissement est le débiteur. Ces deux dispositifs sont de conception symétrique, les différences sont formelles.

La seconde difficulté provient du fait que l’analyse de l’OCDE est parcellaire, car elle ne vise que quelques situations triangulaires marginales, mais aussi que certains flux.

Elle ne vise pas, par exemple, les redevances. L’article 12 ne dispose pas, en effet, d’une rédaction similaire à celle de l’article 11(5) et ne prévoit pas le cas des redevances rattachées à un établissement localisé dans un Etat tiers, payées par ce dernier. La source demeure alors celle de l’Etat du débiteur, ne réglant pas le conflit et laissant subsister une double source quasi-systématique.

Il n’apparaît pas clairement des travaux de l’Organisation pourquoi uniquement les intérêts ont été visés, alors que le régime d’imposition des redevances, par exemple, a souvent été mis en place et modifié de manière conjointe avec celui des intérêts. On peut penser que la raison est liée à la vision de l’OCDE qui considère que la situation pratique problématique se retrouve principalement dans le secteur financier, donc dans le cas de paiements d’intérêts. L’évolution de l’économie digitale doit aujourd’hui laisser penser à l’Organisation que sa stratégie est erronée. Dans ce secteur, en effet, la question du versement de redevances y compris par des établissements stables, déclarés ou non, est essentielle182.

En pratique, certains traités en place prévoient un système similaire pour les deux types de paiement, démontrant que les justifications historiques de différenciation ne tiennent plus. C’est une pratique développée en France183.

182 Cf. Nos développements Partie 2 Titre 2 de nos travaux.

183 Par exemple Convention fiscale France/Malaisie du 24 avril 1975, article 12(7), Convention fiscale France/Italie du 16

On notera que cette démarche n’est pas celle retenue par l’ONU. Celle-ci a une analyse similaire à celle de l’OCDE concernant les intérêts184, mais étend le régime aux redevances à l’article 12 (5). Les commentaires du Modèle ONU sont cependant silencieux sur la motivation de cette extension. Probablement parce que l’ONU représente, de manière plus importante, des Etats de source et que cette question est un enjeu significatif pour eux.

Les dividendes ne sont pas non plus visés, alors même que les travaux de l’OCDE renvoient en matière d’intérêts à de nombreux commentaires faits pour les dividendes, les deux régimes étant souvent complémentaires185. La motivation pour

cela est plus justifiée que pour les redevances puisque, en réalité, la question des dividendes rejoint la question du traitement d’une distribution effectuée par la société résidente dans l’Etat R à sa société associée localisée dans un autre Etat et concerne donc une situation bilatérale186.

Bien entendu, pour qu’une situation de conflit existe, il est nécessaire que le prêt ou le contrat de redevance soit afférent à une activité réalisée dans l’établissement stable187. Cette question est liée au fait que, pour les établissements stables, l’OCDE

adopte une approche non seulement territoriale, mais aussi de rattachement effectif188. Les revenus sont imposés à la source dans l’Etat de résidence, sauf s’ils se rattachent effectivement à un établissement stable situé dans l’autre Etat. En cas d’absence de rattachement, la situation serait triangulaire, mais les revenus ne le seraient pas. Le sujet de notre étude concerne les flux qui sont triangulaires.

On notera, pour mémoire, qu’une solution serait que le droit interne de l’un des Etats de source renonce à imposer les revenus qui trouvent leur source dans un Etat tiers. Le plus logique serait que la source soit uniquement dans l’Etat de l’établissement stable. Cette solution est, à l’évidence, celle retenue par les Etats qui exonèrent de retenue à la source les intérêts, mais pas uniquement. On trouve, par exemple, dans le

184Article 11 du Modèle de convention ONU. 185 En matière d’intérêts excédentaires, par exemple.

186Il ne nous semble pas que cette situation soit influencée par la question analysée dans le cadre de notre étude et en

particulier le fait que les profits distribués soient de source étrangère. Dans le passé, en France, cette question aurait été principalement une question liée au régime du précompte et de l’avoir fiscal combinée avec les règles du traité R/B.

187 Autrement, il n’y aurait pas de conflit de source et donc pas de situation triangulaire, mais uniquement une situation

COIN, Raphaël| Thèse de doctorat | Juillet 2016

régime du précompte actuellement aboli en France, un exemple typique de cette prise en compte, puisque le précompte ne s’appliquait qu’aux revenus non-imposés, en particulier, en raison de leur source étrangère189. Le régime de l’ACT190 britannique, lui aussi aboli en Grande-Bretagne, procédait à cette même distinction.

De même, la question ne subsisterait pas si l’Etat de résidence considérait, en application de son droit interne, que les paiements effectués pour le compte de l’établissement stable étranger ont en réalité leur source dans l’Etat du siège et que l’Etat de situation de l’établissement partageait bien sûr cette vision. Cette approche est retenue par de nombreux Etats191.

Certains Etats ont tenté, à l’origine, de régler la difficulté de manière bilatérale, en fixant la source des intérêts, dans les traités eux-mêmes, dans un Etat tiers lorsque ceux-ci se rapportent à un établissement stable situé à l’étranger. Cette technique a été celle du Royaume-Uni ou de Singapour dans de nombreux traités192. Le Canada et

les USA ont aussi adopté cette formule, mais depuis les années 80 le seul Etat qui a systématiquement continué à utiliser cette technique est l’Australie. C’est cette situation qui a donné lieu à une évolution des commentaires du Modèle OCDE, constatant qu’en l’absence de rédaction spécifique une double imposition dans l’Etat de source ou dans l’Etat de résidence peut exister, en particulier lorsque l’Etat de résidence applique la première partie de la phrase de l’article 11 du traité B/R, alors que l’Etat de localisation de l’établissement n’étant pas concerné par ce dispositif pourrait, lui aussi, prélever une retenue à la source, au motif que lesdits revenus sont de source de cet Etat au sens du traité P/B et/ou R/P193.

188 En anglais « effectively connected income ».

189 Cette approche n’a pas été retenue pour la nouvelle taxe de 3 % sur les revenus distribués mis en place par la loi de

finances rectificatives d’août 2012, même si cela semble poser des questions de compatibilité communautaires.

190 « Advance corporate tax ».

191 Par exemple, les Etats Unis, l’Italie, et sous certaines réserves l’Australie, le Canada, les Pays-Bas et la Suisse. 192 Example Johns (J.A), « Tax treaty problems relating to source », IBFD European Taxation, March 1998 p. 81-82. 193 Probablement une lecture constructive combinée des deux traités permet de fixer la source.