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DE LA CONCEPTION DES SMA

3. Apport potentiel de la sociologie

3.1. Simulation de systèmes complexes

La simulation de systèmes complexes à partir de systèmes collectifs artificiels repose sur un principe d’analogie structurelle consistant à transcrire dans des agents artificiels les objets du système source. En construisant ainsi un ensemble d’agents en interaction

Modèles Multi-Agents pour l’Aide à la Décision et la Négociation en Aménagement du Territoire

130 reproduisant individuellement la dynamique locale des entités systémiques, on obtient une image artificielle du système source, qui peut soit valider des hypothèses locales par observation des processus émergents, soit servir de laboratoire virtuel pour tester des hypothèses comportementales ou des registres d’action. La condition de réalisation et d’utilisation d’une telle simulation est que le support matériel à l’implémentation des agents respecte le parallélisme intrinsèque (ou la séquence fine) des processus réels simulés.

Dans ce cadre, on peut admettre que les systèmes sociaux humains ne vont constituer un modèle que lorsque le système à simuler inclue une société humaine (proposition quasi-tautologique). Le recours à des modèles sociaux humains comme métaphore pour la lecture d’autres types de systèmes complexes ne devrait constituer qu’une médiation transitoire entre ces systèmes sources et leur simulation ; cependant, cette possibilité est souvent une réalité dans la mesure où les systèmes d’agents artificiels utilisés ont été fondés initialement sur des modèles explicites ou implicites de comportements humains. Si en revanche on cherche à simuler une société humaine, alors toutes les ressources de la sociologie (ou de la psychologie) peuvent être utiles pour déterminer les bons attributs et comportements à attacher aux agents artificiels. Dans une stricte perspective de modélisation / simulation, cela suppose que l’on dispose effectivement d’un modèle social transposable dans un système informatique. A cela deux perspectives : soit on ne reconnaît comme modèles sui-generis que des descriptions formalisées au moyen de langage axiomatisés autoréférents (« formels »), comme les mathématiques, et dont la transposition ne rencontre pas de difficultés techniques insurmontables. Dans ce cas, on s’expose à ne pouvoir rendre compte que de fractions limitées de la réalité sociale humaine, qui semble par nature difficilement réductible à des déterminismes stricts. Ainsi, par exemple, les théories économiques peuvent être supportées analytiquement, mais leur portée reste limité (encore que les systèmes économiques puissent à l’inverse espérer l’adaptation des individus réels au modèle). L’alternative est d’accepter que des modèles sociaux soient issus de démarches descriptives, fondées sur le discours, et structurées autour de lexiques argumentés, et eux aussi largement autoréférents. Dès lors on sort du cadre poppérien, mais en retour on étend les modèles, en particulier vers les fluctuations du champ symbolique, ou la diversité des comportements humains. Or il ne semble pas que cette approche soit moins bonne en terme de vraisemblance et d’opérationnalité des modèles. En effet, la validité d’un modèle n’est pas intrinsèque ; elle résulte du choix fait par l’observateur /

modélisateur quant à la clôture du système considéré. Et en particulier l’universelle validité de ce modèle (comme constitution d’une réalité acceptée socialement, et donc opératoire) repose sur le consensus. Qu’il se fasse sur la clôture comme dans les modèles formels, ou sur l’idiolecte pour les modèles discursifs, on se trouve confronté à des enjeux subjectifs de même nature. On objectera cependant que la transposition informatique n’est, dans l’approche discursive, pas acquise. Cela tient au paradigme dominant actuel qui suppose une description globale et séquentielle des processus (« de haut en bas »). Si on reconnaît, comme les tendances actuelles de la simulation distribuée portent à le croire [Ferber, 1995b], que l’approche adéquate de la simulation des systèmes complexes est la construction « de bas en haut », par production de micro-modèles interdépendants au sein d’un système englobants, alors on ouvre la voie à l’implantation informatique des modèles discursifs, au moyen de systèmes symboliques structurés, traduisant directement les concepts et leur articulation. Et donc, il revient aux disciplines descriptives et explicatives, ici la sociologie, ou les sciences sociales en général, de renseigner sur les modèles consensuels (ou prospectifs) à considérer. La notion de règle symbolique, au sens des systèmes à base de connaissance, constitue alors le médium de leur implémentation, transposé dans des modèles distribués de type multi-agents. La conclusion ici est qu’il est possible de modéliser et simuler des sous-systèmes de sociétés humaines, formellement ou non. La validité de l’approche va alors dépendre des objectifs, comme on le voit ci-dessous.

Lorsque l’objectif de la simulation est la vérification d’hypothèses structurelles ou fonctionnelles relativement à certain objet connu a priori (en général un système ou un fait social observé globalement), il faut disposer de données permettant la comparaison et la validation. Les enquêtes et analyses sociologiques nous les fournissent. On construit alors un modèle d’individu, et on observe le résultat social émergent. S’il correspond aux données, le modèle local est validé ; sinon, le modèle local doit être ajusté.

Si le modèle social a été validé, il peut alors servir un autre objectif : la prédiction et le test d’hypothèse. On accède alors à ce type de laboratoire virtuel dont rêvent de pouvoir disposer les sociologues pour une pratique expérimentale impossible autrement. On peut s’interroger en retour sur les potentialités induites de contrôle du système réel, c’est à dire la société (ici le sous-système modélisé).

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132 La sociologie peut aussi à l’inverse être utile en tant que référence méthodologique pour l’observation de la société artificielle : en effet les outils statistiques et les procédures d’enquête établies systématiquement en sociologie pourraient être utiles pour évaluer l’état des systèmes sociaux artificiels autrement que par la seule observation « gelstatique ». L’absence de méthodologie claire en matière de simulation provient essentiellement de deux causes : la multiplicité des paramètres pas toujours indépendants, et la difficulté à en mesurer les effets. Or précisément, la sociologie a, comme on l’a montré plus haut pour l’analyse de l’action sociale, cherché à discerner dans la complexité des sociétés quels en sont les déterminants structurels et fonctionnels. Par référence à la sociologie on peut donc envisager de « nettoyer » un certain nombre de modèles sociaux redondants. D’autre part les outils et les méthodes d’analyse factorielle manipulées en sociologie pourraient faciliter l’identification des dépendances dans les systèmes sociaux artificiels et donc permettre leur ajustement.