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De la simulation : le choix d’agents cognitifs socialisés

DE LA CONCEPTION DES SMA

2. Simulation / Résolution / Information

2.1. De la simulation : le choix d’agents cognitifs socialisés

Dans le domaine de la simulation de systèmes complexes, il est désormais établi que l’approche multi-agents est efficace et fonctionnelle. Ceci, illustré par des exemples en éthologie ou écologie, ne traduit pas une avancée propre aux recherches sur les SMA, mais

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116 plutôt une heureuse disposition de leurs communautés, qui, dans leurs travaux sur la parallélisation et l’activation autonome d’entités, ont, les premières, disposé d’outils informatiques leur permettant de rendre opératoire la systémique. En effet, celle-ci, même si elle paraissait très séduisante dans ses principes, n’a jamais connu de succès probant en termes de résolution de problèmes ou même de prédiction, car elle ne pouvait dépasser le stade de l’analyse et de la modélisation, tant que les ressources informatiques ne permettaient pas d’activer les dynamiques, ni d’en observer les effets émergents. Les communautés de recherche sur les SMA, déjà naturellement sensibilisées aux approches systémiques, ont profité de l’expansion des interfaces graphiques et des principes de développement d’agents issues des approches objets, pour proposer des solutions pratiques, et donc recueillir les fruits d’analyses antérieures non abouties. Il faut observer, à cet égard, que la simulation de systèmes complexes dans son approche multi-agents ne présente pas de difficulté particulière dans sa mise en oeuvre. La seule question informatique un peu fine est celle de la simulation de processus parallèles synchrones ou asynchrones sur machine séquentielle ou “multi-threadée” (processus légers). Pour le reste, la production de résultats scientifiques à partir de simulations conserve toutes ses limitations et contraintes intrinsèques, mais qui ne sont en rien spécifiques à leurs composantes informatiques. La modélisation convoque les disciplines sources, et non le prestataire de “service de simulation”. Les problèmes d’initialisation, d’observation, de contrôle, de validation, restent entiers, et ne sont pas résolus de manière “générique” par les travaux actuels sur les SMA.

Pour clore temporairement sur ces questions de simulation, on notera que nous n’avons pas fait référence ici à la “classe” de SMA considérés. En effet, dans les simulations, la distinction entre agents réactifs et agents cognitifs n’est plus pertinente, car elle tient essentiellement à la nature des dynamiques locales utilisées : soit on met à jour l’état d’un agent par application d’une fonction d’activation sur les variables d’entrée (interactions avec l’environnement et les autres agents), soit on fait appel à des mécanismes d’inférence symbolique intégrant à la fois d’éventuels percepts et messages, mais aussi une mémoire, et donc des croyances et stratégies relatives au monde. Cependant, formellement, ces deux approches ne différencient pas les problèmes posés par une simulation, car on retrouve uniformément les questions de la pertinence des modèles, de leur validation, de leur finalité, et enfin de leurs interdépendances. On peut tout au plus considérer qu’activer et exploiter à des fins scientifiques des grandes populations d’agents cognitifs, est plus

difficile et hasardeux que de viser les mêmes buts avec des agents réactifs, pour des raisons objectives de mise en oeuvre. La préférence “réactive” se justifie aussi par la relative omniprésence en simulation multi-agents de la problématique de l’émergence ; en effet, dès lors que l’apparition potentielle de structures globales stables est l’objet même de l’étude, il est généralement plus pertinent de minimiser la complexité locale tout en maintenant les formes cibles. Le choix “réactif”, en tant qu’il soit plus simple, est donc logique.

Cependant, et nous en venons ici à un élément de notre thèse, le choix d’une approche dépend du processus à modéliser et simuler. Lorsqu’on considère des objets simples en interaction au sein d’un contexte, on aborde la modélisation sous la forme d’une description des variables d’état, puis de leur dynamique, et on écrit l’ensemble sous forme analytique. On est alors naturellement dans un cadre réactif. Si on préfère une approche fonctionnelle plutôt qu’individuelle, comme souvent en systémique, alors on peut éventuellement envisager des descripteurs qualitatifs ou symboliques, dont la dynamique repose sur des relateurs logiques. Mais le mécanisme d’activation reste réactif.

Lorsque par contre on s’intéresse à des objets beaucoup plus compliqués, dont en particulier des êtres humains ou des organisations sociales élaborées, le caractère essentiellement symbolique des processus en jeu suggère de lui-même une simulation par des agents cognitifs. Or, de par sa plus grande facilité, et du fait de la domination du domaine par les communautés anglo-saxonnes, c’est en réalité un modèle réactif qui est couramment utilisé, dans la mesure où il est suffisant pour implémenter la théorie dominante du comportement des acteurs, à savoir l’approche utilitariste ou rationalisée. Celle-ci, très liée à la théorie des jeux, apparaît comme cadre permettant l’analyse de processus dits “sociaux”, mais dont on observe en général qu’ils font complètement abstraction de la représentation même de la situation par les acteurs. Ainsi, dans différents travaux classiques [Bonabeau & Theraulaz, 1994], si on fait apparaître des tendances émergentes en terme de coopération, ou de préemption de comportements locaux, on ne trouve aucune hypothèse sur la construction sociale de représentations, l’échange de valeurs, ou des mécanismes de socialisation “symbolique”. S’il est admissible que l’on puisse se limiter aux quantifications des interactions de la théorie des jeux pour l’évaluation de choix sociaux optimaux, hors temporalité des processus, cela devient largement insuffisant lorsqu’il s’agit de simuler des interactions sociales humaines dans leur déroulement. La maturation des croyances repose sur des processus incrémentaux d’adaptation mutuelle à partir des interactions symboliques, elles-mêmes largement

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118 contrôlées par les représentations sociales et la position relative des acteurs. Lorsque, ainsi que nous le faisons dans cette thèse, on s’intéresse à un processus dont l’objet est l’évolution des croyances, peut-être même des valeurs, comme ici dans les négociations qui nous intéressent, l’approche réactive semble inadaptée, à moins que l’on prenne des chemins incertains qui feraient évoluer des agents dans des univers de croyance posés a

priori.

Nous prenons donc le parti de simuler des processus sociaux humains à partir de modèles qui n’en soient pas réducteurs à des automates en interaction. Et nous faisons donc le choix de modèles cognitifs, intégrant mémoire, représentations sociales multiples, et stratégies collectives. Il s’agit donc de privilégier la composante symbolique des interactions humaines, et de tenter de les simuler. De ce point de vue, notre approche est donc antinomique des simulations les plus courantes, qui optent, comme on l’a vu, pour une simplification des agents, afin d’élucider les phénomènes émergents. Cette perspective est présente dans notre proposition, mais est précisément reportée dans une problématique dont elle est classiquement absente, à savoir la résolution de problèmes, abordée ci-après.

En résumé, nous traitons de simulations intrinsèquement non réactives, et nous en considérons les problématiques spécifiques au travers de modèles fondés sur les théories sociologiques non utilitaristes ; alors qu’à l’inverse, nous abordons la résolution de problème en nous abstrayant complètement de toute représentation symbolique, donc hors du cadre cognitif classique en Résolution Distribuée de Problèmes.