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LA REFERENCE SOCIOLOGIQUE

3. Pourquoi le social ? Définition et conditions d’existence

3.3. Les normes dans l’action sociale

Les normes vont permettre d’ajuster la conduite des individus, plutôt naturellement tournée vers la satisfaction du plaisir, aux manières collectives d’agir. Elles vont leur donner un cadre comportemental commun. On peut donc lire la signification de la conduite des individus à partir de règles ou normes de communication et d’action, sur lesquelles il existe un consensus accepté par les acteurs. On notera que les normes se réfère bien à des actions

et comportements concrets et observables. Elles n’ont pas directement d’expression

symbolique (la sentence « tu ne tueras point » n’est pas une norme ; l’interdit du meurtre en est une).

Les normes assurent la régulation fonctionnelle du collectif. Elles en constituent le « code de fonctionnement ». Par exemple « les agents laissent toujours passer plus gros qu’eux », ou en terme de communication, « ils respectent tel protocole ». Du point de vue constructif, il est difficile de distinguer clairement les normes imposées par le concepteur des simples limitations fonctionnelles non évoquées en sociologie, comme celles relevant du principe de réalité : « on ne peut pas voler », « on peut mourir », etc. On peut admettre que les normes sont des limitations imposées à des fonctions disponibles (les agents se déplacent : fonction, verticalement : norme). Mais ceci est très artificiel, car inversement on peut admettre que certaines contraintes fonctionnelles humaines résultent de normes.

D’autre part, le caractère non symbolique des normes peut être traduit par ce qu’on qualifie parfois de registres de comportements des agents, c’est à dire des ensembles d’actions accessibles en fonction directement de percepts (registres sensori-moteurs).

L’interaction est ainsi structurée à partir de normes collectives, mais celles-ci peuvent relever de différentes « sous-sociétés » ou « tribus ». L’individu est donc le « produit des tribus » [Rocher, 1968], au sens que sa conscience individuelle est forgée par la combinaison des différents niveaux de conscience collective qu’il intègre.

Si on définit différentes « classes d’agents » par des registres d’action, un agent particulier peut éventuellement être construit par combinaison de classes.

D’autre part, les normes sont fondamentales pour assurer la deuxième condition "wéberienne" : la conduite humaine n’est significative et cohérente aux yeux d’autrui que par référence à une structure de règles ou normes collectives. Elle s’inscrit dans un cadre reconnu qui la rend sociale. Et cette cohérence permet a tout individu de prévoir les comportements d’autrui, et donc d’élaborer des stratégies sociales. La prospective des actions et réactions des autres obéit ainsi à un ensemble de modèles culturels (« cultural

patterns »).

Le respect des codes décrits par les normes est certes une garantie de bon fonctionnement. La référence au code de la route est édifiante : en fonction de ce qui est supposé respecté par autrui, chacun construit une stratégie locale. La confrontation des modèles culturels français et anglais de code de la route est évidemment désastreuse.

3.3.1 Le rôle social

Le répertoire de normes utilisés par les différents acteurs n’est pas identique. Même s’il y a cohérence des différents systèmes, l’action des sujets qui occupent une position ou une fonction particulière dans un groupe ou une collectivité est soumise à un ensemble spécifique de normes, qui définissent ainsi un rôle social. Celui-ci est modulé selon les personnalités, mais il garantit certaines stabilités comportementales utiles à l’action sociale. Le rôle doit être bien différencié de la fonction : le rôle est l’ensemble des manières d’agir qui, dans une société donnée, sont censées caractériser la conduite des personnes dans l’exercice d’une fonction particulière (cette définition du rôle n’est pas automatique).

Pour assurer une fonction donnée, un agent doit respecter un ensemble de normes, qui précisent son rôle : la fonction de balayeur suppose qu’en présence de déchets l’agent les balaye...

Etant donné la multiplicité des fonctions que remplit un individu particulier au sein d’un collectif, il est donc amené à « jouer » différents rôles sociaux. Ce qui a conduit (dès Weber) à la notion d’acteur social (reprise et enrichie par Touraine et Crozier), qui dispose, de même qu’au théâtre, d’une capacité de modulation de son jeu. Cependant, la complémentarité et l’interdépendance des rôles au sein d’une société cohérente contraignent leurs variations. De manière générale, il est souhaitable (mais difficile) de distinguer les rôles (plus que les fonctions) pour bien comprendre le fonctionnement social.

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La modulation du jeu de l’agent est l’élément de fluctuation qui doit permettre une plus grande souplesse dans les comportements collectifs. Ainsi, toujours dans l’exemple du code de la route, le comportement face à un feu orange peut osciller entre l’arrêt et l’accélération, en fonction des capacités du véhicule (paramètre intrinsèque), ou de la présence d’un policier (paramètre extrinsèque).

3.3.2 Sanctions

Les normes sont fonctionnellement justifiées au titre du collectif social, mais cela ne suffit pas à les imposer aux individus, qui peuvent vivre avec des systèmes d’action « anormaux ». Il existe donc un mécanisme de sanction : la conformité est récompensée, et l’insoumission punie. On distingue classiquement [Rocher, 1968] quatre types de sanctions (négatives ou positives) :

• physiques, qui instituent la violence sociale,

• économiques, par contrôle social des biens et richesses de l’acteur,

• surnaturelles, par imposition d’une logique symbolique magique ou surnaturelle, • sociales, par modification des processus d’interaction et de la place sociale.

L’ensemble des sanctions assurent la cohésion et le fonctionnement de la société, et permettent le contrôle social (mise en conformité des conduites aux modèles établis).

Par construction l’agent est conforme. Cependant si on accepte les fluctuations ou l’adaptation, à des fins d’amélioration du système, il faut pouvoir sélectionner. Dans les systèmes évolutionnistes artificiels on définit ainsi la « fitness », et un paramètre énergétique qui éliminent peu à peu les moins adaptés. C’est un exemple de sanction artificielle de type « économique ». Si on reprend les différents types de sanction, on observe que pour permettre une sanction physique, il faudrait concevoir une forme d’intégrité « corporelle » de l’agent qui pourrait être dérangée, l’extrême étant la disparition (mort). Imaginer une sanction surnaturelle nous entraînerait trop loin dans les fondements sociaux du surnaturel. Par contre, la sanction sociale est fondamentale car elle recouvre tous les processus d’avancement hiérarchique, d’éviction, et de « boycott » social.

Au delà de la réalité des sanctions, c’est davantage l’image qu’a l’acteur de la sanction, qui va influencer son comportement. Or, les sanctions vont s’appliquer aux agents sans qu’il y ait eu « crainte » auparavant, puisqu’un tel niveau de

représentation n’est pas utilisé. Comme la représentation de la sanction permet de traduire l’existence du collectif dans la décision individuelle, les agents ne peuvent tenir compte du collectif que relativement à des interactions particulières. Par conséquent, il ne peut alors y avoir adaptation des agents.

Une théorie récente (Coleman, 1990, Foundation of Social Theory, Chicago), d’orientation apparemment « utilitariste », pose différemment le problème de la norme et de la sanction. Elle énonce que les normes n’ont de réalité qu’au travers d’un ensemble d’acteurs les supportant, et qu’en particulier les normes ne s’imposent pas a priori aux acteurs. Il faut pour que le contrôle social s’effectue que des acteurs « s’en chargent », et en aient les moyens. Car en effet l’imposition de normes n’est pas gratuite. Comme toute activité, elle a un coût. Dès lors, il faut que le collectif institue un ou des acteurs comme régulateurs et leur attribue une part des ressources collectives à cet effet. Cette théorie est justifiée par l’idée que si le collectif fonctionne bien, alors la part distribuable est augmentée ; mais qu’en général chacun n’a pas intérêt à collaborer (problème standard du compromis vs. consensus en terme d’utilités). Ce mécanisme de sanction est très élaboré, car il suppose déjà constituée une conscience collective, ainsi qu’une capacité de représentation sociale.

3.3.3 Socialisation normative

Que ce soit dans l’éducation de l’enfant ou l’intégration d’un « étranger » dans une société, il doit y avoir acceptation et intériorisation des normes sociales. Cette socialisation vise le développement de dispositions ou tendances conformistes. Pour ce faire, les désirs, attentes ou besoin subissent par le jeu des sanctions un processus de sélection, qui institue « le bien et le mal ». Les normes sont ainsi toujours relatives à une société particulière, et elles n’ont pas de valeur absolue.

Le processus de socialisation illustre l’imbrication des perspectives de Durkheim et Weber. En effet, évoluant au sein de ce qui est collectivement accepté, chaque individu se construit en intégrant et faisant sien des rôles particuliers, qui structurent intégralement son être. L’intériorisation due à la socialisation conduit même, comme Freud [1930] l’a montré, à produire une image sociale "autocontraignante". La conformité est alors désirée.

Dans les systèmes sociaux artificiels clos, la socialisation n’a de sens que relativement à l’arrivée d’un agent dans un groupe préétabli, ou à sa migration. Par contre, dans les systèmes ouverts (du type agents sur réseaux télématique), la

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socialisation est fondamentale car elle permet l’intégration des « nouveaux » au système préexistant, sans connaissance a priori du contenu. Pour généraliser, on peut remarquer que la socialisation, à la différence des notions précédentes, est un processus. Pour un agent artificiel, l’équivalent sera tout ce qui relève de l’apprentissage et de l’adaptation, pour les normes et les représentations sociales.

3.3.4 Ordre social et liberté des acteurs

L’ordre du social ne reflète que le processus de régulation permettant le fonctionnement, et non un quelconque contrat explicite ou « ordre naturel ». Le déterminisme social qui conduit à la standardisation des conduites individuelles laisse cependant une place à la spontanéité (jusqu’à même affronter l’ordre social). Comme on l’a énoncé précédemment, il existe une échelle « de rigidité » des modèles allant du plus impératif au plus facultatif, de l’interdiction à la préférence ; par ailleurs, les modèles sont plus ou moins réalistes, certains relevant de « l’idéal ». Rappelons aussi qu’il existe un ensemble de choix possible de modèles : il y a donc toujours une part de décision, en particulier entre des modèles divergents. La liberté de l’acteur réside alors dans ce choix (variance).

Le recours à des modèles marginaux ou interdits reste possible, il y a alors déviance. Ce choix peut être source de changement social lorsqu’il y a reconnaissance par un groupe marginal. La coévolution des différents systèmes de normes est une des lecture possible de l’histoire sociale.

Le déviance d’un agent est un concept séduisant, mais difficile à mettre en oeuvre sans utiliser des processus aléatoires. On peut aussi introduire une proportion de déviants et observer s’ils persistent et quel effet ils produisent.