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DECISION ET NEGOCIATION EN AMENAGEMENT DU TERRITOIRE

PUBLICATION - COMMUNICATION

4. Cas particulier : l’analyse des projets spatiaux et les Etudes d’Impact en Aménagement

4.3. Pratique Actuelle de l’Expert pour la Localisation des Fuseaux de Moindre Impact

4.3.3 Cartographie des sensibilités par critère

La cartographie des sensibilités reste essentiellement du domaine de l'expert, mais participe déjà davantage de la décision elle-même. En effet, il s'agit, en croisant les cartes d'enjeux avec les données structurelles de l'aménagement, d'évaluer la sensibilité des enjeux (donc des "valeurs") à un impact potentiel. L'expert doit donc déterminer pour chaque point et critère le niveau de sensibilité, c'est à dire la valeur qui serait détruite si l'aménagement passait en ce point. Il intègre dans son évaluation des information sur la "réductibilité" : l'existence de conditions locales particulières permettant d'envisager de réduire l'impact. Il peut aussi considérer que certains enjeux ne sont pas concernés par le projet. Il utilise en général 3 catégories d'impact (fort, moyen, faible). On comprend que ce travail soit moins objectif que le précédent, puisque l'expert opère une classification. Cette phase est ainsi plus sujette à contestation. Cependant la classification n'est pas globale : elle porte sur un point et un critère. Discuter l'impact du projet en un point pour un critère n'a pas en général d'effet sur l'ensemble de la décision. Et étendre sa critique au-delà sous-entend un autre niveau de contestation portant sur l'ensemble du processus, et donc non résoluble par l'expert.

La validation des sensibilités peut donner lieu à des modifications ponctuelles par les participants qui discuteraient des choix de l'expert.

A ce stade, le commanditaire ou décideur dispose de deux ensembles de cartes thématiques documentées donnant pour chaque critère les enjeux et les niveaux de sensibilité à l'aménagement. L'expertise scientifique et technique est terminée. Les phases ultérieures participent toutes de la décision elle-même ; en particulier elles impliquent des choix de nature "politique" et dépendent des décideurs. Elles devraient donc normalement leur être directement confiées. En pratique, comme on le voit ci-après, elles sont encore déléguées à l'expert qui est donc supposé se substituer au politique. Celui-ci transfère ainsi sa responsabilité sur un acteur perçu comme scientifique et technique, ce qui signifierait objectif et apolitique.

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46 4.3.4 Choix des fuseaux de moindre impact

La phase suivante, dite de choix des fuseaux de moindre impact, doit produire un ensemble de fuseaux de largeur à peu près fixe (1km pour un Avant Projet Sommaire), vérifiant les contraintes morphologiques et topologiques du projet, et qui soient « préférables » aux autres options possibles. Il s'agit donc de chercher les tracés minimisant l'impact, à partir des cartes de sensibilités.

En l'état, le problème est mal posé : il manque le mécanisme d'intégration des divers critères permettant de discerner les fuseaux « préférables » (pour tout l'espace et tous les critères, et pour un acteur particulier). L’expert est donc contraint de faire un choix non justifié rationnellement. Ceci est caractéristique de la décision multi-critères : sachant qu'il n'existe pas d'ordre total sur les espaces vectoriels de dimension supérieure à 1, comment classer des solutions, et à fortiori quand on dispose d'une infinité de solutions. Ce choix est politique et se traduit par une hiérarchisation des valeurs, ce que l'on peut exprimer par un système de pondération des critères (suivant en cela la plupart des travaux de décision multi-critères [Vincke, 1989]).

Avec les seules cartes de sensibilité, il manque donc au décideur une information synthétique monodimensionnelle lui permettant de choisir. Il attend de l'expert qu'il la lui fournisse. Dans la pratique actuelle, celui-ci produit en réponse une carte de synthèse rassemblant les informations de sensibilité pour les divers critères sur un même plan, sans distinction d'importance. Il sélectionne souvent parmi les données de sensibilité. Et à partir de cette carte, l'expert détermine lui-même les fuseaux de moindre impact essentiellement en repérant les "passages blancs", c'est à dire ceux qui, toutes couches superposées, restent vierges d'impact. Ensuite en respectant les contraintes morphologiques et topologiques il les relie et en tire des fuseaux. De cette façon, l'expert a réalisé un processus d’agrégation multi-critères implicite consistant à pondérer tous les critères au même niveau (compte-tenu de la présélection) et à appliquer une fonction d’agrégation "Max"5. Le type de solutions obtenues correspond à un compromis, c’est-à-dire à des solutions moins bonnes que toutes les autres propositions des acteurs, mais qui ont l’avantage d’être acceptable par tous.

5 Ce choix n'est jamais explicité par l’expert.

En résumé, l'expert répond au mieux à la « commande » en l’absence d’information sur les orientations politiques du décideur : il fournit les fuseaux qui minimisent l'impact maximal tous critères confondus (procédure type "MiniMax"). Mais ce sont des fuseaux « apolitiques », dont le nombre est conditionné par le seuil de tolérance sur les zones grises. Et ils ne contiennent malheureusement pas toujours les fuseaux plus « orientés politiquement » que pourraient retenir certains acteurs extrêmistes.

Ceci est illustré dans le schéma ci-dessous. On a la cartographie de deux sensibilités (par exemple milieu naturel et habitat) sur l'aire d'étude. Les points noirs sont les extrémités des fuseaux projetés. Les polygones noirs les zones d'impact fort. Pour chaque critère, on a en pointillé le fuseau idéal pour ce critère seul, et en noir le fuseau type MiniMax. L'expert va donner ce dernier fuseau, mais si un acteur plus « polarisé » intervient, il proposera certainement un des autres fuseaux.

En pratique, avec le seuil (implicite) de tolérance utilisé, le nombre de fuseaux proposés par l'expert est assez grand ; et on peut considérer que l'expert donne en fait tous les

fuseaux envisageables, ce qui est formellement absurde, mais est réaliste dans la mesure du

nombre limité d'acteurs rencontrés.

La validation de cette phase conduit d'ailleurs souvent à rajouter des fuseaux que l'expert n'avait pas retenus, mais qui ont paru important pour le comité au vu de la carte de synthèse6.

Comme nous le verrons dans le chapitre 6, cette phase a été la cible principale de notre travail, en cherchant à développer un outil qui facilite l’interaction entre le décideur et l’expert, et donne les moyens d’explorer davantage de solutions que les seuls compromis.

6 Ces ajouts postérieurs peuvent aussi correspondre à des évolutions dans les préférences des acteurs.

Critère 1 Critère 2

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48 4.3.5 Analyse des fuseaux avec comparaison "intracritères".

Enfin la dernière phase d'expertise est en général imbriquée dans la précédente et consiste à documenter et quantifier l'impact des divers fuseaux proposés. L'expert donne donc pour chaque fuseau et chaque critère le linéaire d'impact fort, moyen, faible, et commente éventuellement en rappelant pour les impacts forts la nature des "points noirs" pour chaque fuseau (description qualitative des impacts). La présentation est faite sous forme d'organigrammes facilitant la lecture et la comparaison. Par exemple ici pour deux critères et deux fuseaux (toujours de longueurs différentes) :

Impact par Critère

Km 0 20 40 60 80 100 Fus.1, Crit.1 Fus.2 Fus.1, Crit.2 Fus.2 Faible Moyen Fort

La simple lecture de ces organigrammes permet parfois d'éliminer directement les solutions dominées, c'est à dire celles surclassées par au moins une autre pour tous les critères. La notion de "surclassement" n'est cependant pas triviale, car, comme on le voit, il n'y a pas une valeur simple par critère, mais autant que de niveaux de sensibilité. Il faut donc choisir un mécanisme de surclassement par exemple du type :

Fus1 >> Fus2 ssi

Pour tous les critères : L(fort,1) < L(fort,2)

et L(moyen,1) < L(moyen,2)

où L(moyen,1) est le linéaire d'impact moyen du fuseau 1. Cet exemple ne prend pas en compte comme critère de surclassement la longueur totale du fuseau ; ainsi on peut avoir

Fus1 >> Fus2 avec un fuseau 1 beaucoup plus long. Le critère de coût n'est pas ici pris en compte..

L'expert, en analysant ainsi les différentes solutions, oriente déjà largement les décisions individuelles. En effet, tel acteur, au vu des organigrammes, peut facilement déterminer le fuseau idéal en fonction de sa propre pondération, souvent monopolaire : pour le coût il choisira le plus court, pour un autre thème, il choisira le meilleur pour ce critère...

Il reste enfin les deux dernières phases, qui ne relèvent pas de l’étude experte :

Choix multicritères d’un fuseau : ce choix peut être fait sans méthode explicite ou faire appel aux méthodes multicritères classiques [Vincke, 1989].

Négociation : une négociation est initiée dès lors que différents acteurs confrontent leurs propositions en vue de parvenir à un accord mutuel.

Une description complète du processus d'expertise et de son interaction avec la décision ne saurait s'abstraire des problèmes de communication en terme de production de documents. Nous n'abordons pas ici ce thème qui se réfère à une autre problématique relative à la sémiologie cartographique et aux diverses approches "modernes" de la publication.

5. Orientation dans la conception d’un système d’aide à la décision :