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DECISION ET NEGOCIATION EN AMENAGEMENT DU TERRITOIRE

1. L’Aménagement du Territoire

Nous précisons tout d’abord ici ce qu’est l’aménagement du territoire, quels en sont les enjeux, les principaux ressorts, et pourquoi il existe des besoins en matière de décision et de négociation. On se référera essentiellement à [Madiot, 1993]. Cette présentation est destinée à bien recadrer l’ensemble de la démarche par rapport à son domaine final d’application.

1.1. Aperçu et définition

Chacun peut facilement se faire une idée de ce qu’est l’aménagement du territoire. Mais il s’agit d’une notion floue et multivoque. Par ailleurs, depuis plus de quarante ans, ce sujet est récurrent dans les préoccupations de politiques publiques, car il touche tout le monde, et il connaît des répercussions à tous les échelons de la société et de l’économie. En particulier, en liaison avec la déprise agricole, et le développement d’une conscience environnementale renforcée, cette question est devenue la source de nombreux conflits à tous les échelons. La politique de décentralisation, mise en œuvre au début des années 80, a conduit à un éclatement et une dispersion des pouvoirs, qui ont encore accentué les disparités à l’intérieur du territoire, ainsi que la difficulté pour la puissance publique de gérer de façon unifiée et cohérente son occupation et les activités qu’il supporte. La mise en place, à partir des années 50, de structures officielles d’évaluation et d’orientation des politiques publiques (Sociétés de Développement Régional, 1955 ; Fonds de Développement Economique et Social, 1955 ; Comité Interministériel d’Action Régionale et d’Aménagement du Territoire, 1960 ; Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale, 1963), a suscité de nombreuses recherches, colloques, comités, qui, tous, selon des modalités et des approches diverses, ont contribué à structurer la réflexion

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26 sur l’aménagement du territoire, ainsi qu’à nourrir des controverses sur la pertinence des différentes options stratégiques.

Claudius-Petit, père de l’aménagement du territoire en France, en proposait la définition suivante :

"Recherche, dans le cadre géographique de la France, d'une meilleure répartition des hommes en fonction des ressources naturelles et des activités économiques."

Cette définition appelle trois commentaires :

• Elle fait abstraction des critères permettant d’évaluer ce qu’est une « meilleure répartition », ce qui sous-entend sans doute que de tels critères absolus n’existent pas. Et, de ce fait, rappelle implicitement que l’aménagement du territoire traduit toujours un choix de valeurs, et constitue ainsi invariablement un processus politique, engageant la responsabilité des décideurs devant les citoyens.

• Il s’agit de la France... Et effectivement, la forme prise par l’aménagement du territoire en France est originale, une conjugaison de multiples facteurs historiques (évolution de l’espace et appropriation du sol), culturels (diversité des influences religieuses), géographiques (diversité, mais aussi perméabilité des milieux), et politiques (centralisation). Certains problèmes rencontrés en France depuis longtemps, ne sont apparus ailleurs que beaucoup plus tard (p.e. l’évolution de milieux anthropisés puis abandonnés).

• Enfin, s’agit-il de répartir les hommes en fonction des ressources, ou le contraire ? En fait, on peut penser que la situation a évolué, depuis l’époque (1950) où il s’agissait d’optimiser le fonctionnement économique global essentiellement à partir du développement de conglomérats industriels, et donc des zones résidentielles correspondantes. Depuis lors, on a plutôt cherché à désenclaver, à stabiliser le territoire, pour éviter que les déséquilibres s’amplifient en faveur des zones urbaines. On est passé d’une logique de mouvement des hommes, à une logique de mouvement des ressources, afin de fixer les populations (ou même d’inverser les processus précédents).

En résumé, l’Aménagement du Territoire est aujourd’hui devenu un très vaste programme incitatif visant à relocaliser les activités, pour maintenir un tissu homogène. Cela se traduit

par un ensemble complexe de perspectives de développement, orientées, facilitées, suscitées, par des mesures, des aides, des projets, des infrastructures, issues de tous les acteurs, qu’ils soient publics ou privés. A terme, comme l’indique le document introductif au débat national de 1993 [DATAR, 1993], il faut ainsi « permettre aux collectivités locales, aux entreprises, à l’ensemble des français de dessiner d’abord, de construire ensuite, l’image de la région et de la nation dans lesquelles ils veulent vivre. »

Dans ce même document, la DATAR identifie cinq principes d’action, parmi lesquels deux nous intéressent au premier plan : « donner aux collectivités locales des moyens adaptés », et « créer une véritable armature physique », car ils induisent des problèmes d’information et de décision individuelle et collective, que nous pouvons envisager d’assister. Il s’agit, pratiquement, d’une part, de faciliter l’élaboration et le suivi de politiques locales, en particulier en terme de gestion de l’espace, et, d’autre part, de développer les infrastructures d’échange et de transport à l’échelon national et régional.

1.2. Les objectifs

Ces objectifs nous intéressent, car, dans une perspective d’aide à la décision, il sont la justification ultime des développements engagés.

Madiot [1993], cite les objectifs suivants :

• le rééquilibrage du couple "ville-campagne",

• la réduction des disparités régionales afin de favoriser une répartition plus homogène des populations,

• le maintien d’un tissu rural et d’une façade urbaine cohérentes avec nos habitudes socioculturelles,

• la préservation du cadre naturel (préoccupation plus récente...)

Dans une approche plus politique, et donc tournée directement vers le citoyen, le rapport de la DATAR [1993], donne la liste suivante :

• « favoriser le développement et le bien-être de notre pays, et donc la création d’emplois » ; et, pour cela : « rendre notre pays économiquement plus attractif » ;

• « maîtriser la concentration urbaine », en rendant complémentaires villes et campagnes, en rétablissant la qualité de la vie dans les agglomérations, en mettant en valeur les

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28 ressources du monde rural, et en jouant de la mobilité spatiale pour réorganiser les usages du territoire ;

• « réduire et prévenir les déséquilibres », entre régions, entre « pays », et en particulier en faveur de la capitale ;

• « répondre aux attentes nouvelles des français », en matière d’environnement, de qualité de la vie, d’accès au savoir ;

• « affirmer l’identité de la France au sein de l’Europe ».

On voit au travers de ces inventaires, que les objectifs « ultimes » de l’aménagement du territoire sont très divers, ne serait-ce qu’à l’échelle des politiques globales. On imagine dès maintenant que la prise de décision ne peut être envisagé selon un modèle réduit à un unique objectif, a fortiori quand, comme nous le verrons par la suite, il existe autant d’objectifs que d’acteurs en présence.

1.3. Les orientations pratiques

Les objectifs vont orienter la pratique en fonction d’orientations stratégiques, c’est-à-dire de modalités d’action en matière de politiques publiques. Parmi les orientations actuelles, Madiot [1993] retient :

• le choix d’une politique volontariste, c’est-à-dire définissant explicitement les orientations retenues par la collectivité (pas de pure logique de marché), mais non dirigiste : on a recours aux mesures incitatives (primes, aide, support technique), et non à la réglementation...

• un aménagement décentralisé, visant à impliquer les collectivités et à distribuer les responsabilités, tout en conservant la tutelle régulatrice de l’état...

• la référence systématique au cadre européen, en termes positifs (aides, échanges) ou négatifs (contrôle, concurrence), mais toujours avec un droit de regard, malgré la « subsidiarité »,

• la nécessité d’un aménagement sélectif, construit sur des priorités, et non une tentative de résolution concurrente de tous les problèmes,

• un aménagement souple et ouvert, fondé sur la contractualisation, les efforts de prospective, le recours à des approches interdisciplinaires, systémiques, et enfin, la citoyenneté active, condition nécessaire (mais non suffisante, comme certains le prétendent) de la démocratie...

Ainsi posées, ces orientations paraissent raisonnables, et cohérentes par rapport aux objectifs initiaux. Mais, lorsqu’on raisonne en termes de stratégie d’acteurs, on s’aperçoit assez vite que la volonté d’ouverture, de distribution des pouvoirs, de libéralisation (par opposition au dirigisme), conduit à une situation telle que chacun, ou presque, dispose de moyens d’action lui permettant de tenter de réaliser ses buts, quels qu’ils soient. Dans ce cadre, on arrive à l’extrême à une situation où l’expression des intérêts collectifs n’est plus assurée. Et en particulier, l’environnement, dans sa durée, sa complexité, est une dimension qui tend à être occultée. Pour exprimer cet aspect, on peut ajouter à l’inventaire précédent :

• un aménagement inscrit dans le long-terme, et tenant compte le plus largement possible de la diversité des intérêts et des contraintes.

1.4. Réalisations concrètes en aménagement du territoire

Comme on l’aura compris, la concrétisation des politiques d’aménagement du territoire se fait « dans l’espace », qu’elle prenne la forme de constructions, ou d’attribution de statuts particuliers, et des aides afférentes, à des zones du territoire.

Pour des raisons qui tiennent essentiellement à l’expertise du partenaire industriel de cette thèse, nous avons surtout considéré le cadre rural, ou périurbain. Comme exemple de réalisations, on peut alors citer :

• les aménagements routiers, ferroviaires, énergétiques, touristiques : les "Infrastructures" ;

• les implantations industrielles, ou de services (centrales de traitement, écoles, postes) ;

• les schémas de développement, schémas de bassin, de gestion des eaux,

• les POS, les plans d’urbanisme ;

• les politiques d’attribution de subventions, selon les zones et l’activité ;

• le génie paysager, et la préservation des paysages ;

• la création de parcs, réserves, zones réglementées ;

• le classement de sites.

Parmi ces classes de projet, on peut faire une distinction en fonction de la dimensionnalité de l'aire d'effet du projet concerné (qui est à distinguer de l'aire d'impact, ou aire d'interaction, qui généralement est continue dans une portion du territoire). Nous distinguons ainsi :

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• des projets qualifiés de "ponctuels", donc de dimension nulle. Par exemple la localisation d'un poste EDF, d'une centrale d'épuration, ... Il s'agit alors de déterminer où on placera l'équipement à l'intérieur d'une zone considérée. On prendra en compte les contraintes existantes pour choisir un site.

• des projets de "fuseaux", pour les ouvrages linéaires, donc de dimension 1. Il s'agira alors de déterminer à l'intérieur d'un territoire des bandes susceptibles de porter un aménagement continu comme une route, une ligne EDF ou PTT, une voie ferrée... Le jeu est le même que précédemment à ceci prêt que l'on a des contraintes de continuité et de courbure. De plus l'extension de ces projets est plus grande, et donc on est amené à confronter davantage d'acteurs. Les contraintes se propagent sur les fuseaux : si une zone est interdite à une extrémité, cette contrainte va se propager « le long de la ligne », en fonction des conditions de milieux et des obligations de type courbure et continuité.

• des projets de "réseaux" ou "treillis" ou "arbres" ou "maillage", de dimension comprise entre 1 et 2. On pense aux réseaux de voirie, de distribution EDF ou d'eau, mais aussi aux aménagements de rivière ou même de bassins versants qui concernent un cours principal, mais aussi souvent ses affluents et canaux annexes. Ce type de projet vise à déterminer là aussi des fuseaux (cas d'une construction), ou à localiser des aménagements ou activités sous contraintes d'un treillis existant (aménagement de rivière). Dans ce cas les fuseaux à localiser seront astreints à une certaine connectivité, ainsi qu'à une certaine couverture territoriale, enfin des points de passage sont souvent imposés (transformateurs, usine).

• des projets "spatiaux" de dimension supérieure ou égale à 2, qui concernent des aménagements sur toute une zone avec des localisations éventuelles dans les 3 dimensions (un immeuble occupe l’espace visuel y compris « vers le haut »).

A noter que dans tous les cas, l'aire d'impact est de dimension 2, et inclut au moins l'aire de localisation.

Parmi les exemples cités, le cas des décisions catégorielles est particulier, car il n’y a pas décision par rapport à une portion précise de l’espace, mais par rapport à des types d’activités inscrites dans l’espace. La concrétisation spatiale de ce type de politique, se fera en fonction des demandes des acteurs concernés. Ce type de schéma est donc intégralement

prospectif, et relèvera toujours de scénario de simulation. Par exemple, les mesures incitatives à la préservation des zones en herbe constituent une mesure d’aménagement, mais qui n’a pas de réalisation immédiate.

Une autre catégorisation importante est relative à la réalité de constructions liées à la décision d’aménagement. Ainsi la perception d’un projet de construction d’autoroute est différente de celle d’un zonage réglementaire, qui n’a pas de portée physique immédiate. Il existe en France de très nombreuses zones industrielles ou commerciales sur lesquelles rien n’est construit. Les acteurs sont très conscient de cette différence. On parle ainsi de projet matériel ou immatériel.

Une autre dimension importante est la portée du projet dans le territoire, ainsi que son ancrage pratique sur les lieux. Les grandes infrastructures sont caractéristiques de cette dimension elles occupent une place très importante dans l’espace et les consciences de l’espace, mais elles n’ont souvent aucun débouché (au sens propre du terme) local : il y a au plus une gare tous les 150 km sur une ligne TGV, le sorties autoroutières sont espacées de 40 km en moyenne. En revanche, une école est une « valeur » locale. A l’inverse, les nuisances éventuelles d’un aménagement sont naturellement considérées en fonction de leur portée.

En terme de décision, les problèmes de localisation, surtout ponctuelle et linéaire, sont, relativement, les plus simples à analyser, puisqu’il y une construction effective à l’issue du projet, et donc des caractéristiques objectives que l’on peut prendre en compte.