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LA REFERENCE SOCIOLOGIQUE

3. Pourquoi le social ? Définition et conditions d’existence

3.2. L’action sociale

Ce que la sociologie appelle « l’action sociale » va nous intéresser au premier plan, car ce terme recouvre l’ensemble de l’action humaine dans et relativement aux différents cadres

sociaux.

3.2.1 Niveaux d’analyse

L’action élémentaire est l’interaction entre deux individus. L’étude spécifique de la structuration et du comportement d’une personne relève de la psychologie que nous n’abordons pas ici. La combinaison et la structuration des interactions produit des systèmes sociaux intermédiaires comme la famille ou d’autres groupes restreints, qui se combinent pour engendrer les sociétés globales, cohérentes. Il est acquis désormais (cf. Gurvitch, cité dans [Rocher, 1968]) que la séparation des différentes échelles n’a pas de sens ; ainsi l’analyse microsociologique (interactions unitaires) et l’observation macrosociologique sont inséparables.

Dans la sociologie moderne, on se réfère aussi aux réseaux sociaux, des systèmes transversaux, structurés comme des systèmes d’interaction plus étendus mais non institués symboliquement, et qui constituent ainsi des maillons cohésifs de la société.

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88 3.2.2 Définition

Par Action Sociale, nous entendons toute manière de penser, de sentir et d’agir dont l’orientation est structurée suivant des modèles qui sont collectifs, c’est à dire. qui sont partagés par les membres d’une collectivité quelconque de personnes [Rocher, 1968]. On retiendra ici que aussi bien la manière de penser, que la manière d’agir, et même la manière de sentir (cf. les préférences gustatives) sont structurés socialement. En particulier la perception et la représentation que l’on a d’autrui déterminent les processus d’action collective.

Dans une perspective artificielle, l’action sociale des agents recouvre ainsi leurs attributs et comportements qui directement (explicitement) ou indirectement (après analyse et transcription dans la structure des contraintes sociales) prennent en compte l’existence et le comportement des autres agents. Il s’agit ici de modèles collectifs “par construction”, et non par “observation”.

Il existe deux approches principales de l’action sociale, qui ont trait au niveau d’analyse retenu. Tout d’abord la définition subjective de Weber aborde l’action sociale par l’individu et ses interactions. L’idée principale est que l’action est sociale quand elle tient compte des autres, avec une triple condition :

• elle tient compte du comportement des autres et de leur présence et existence ;

• elle a une valeur signifiante ou symbolique pour les autres, et respectivement l’action affiche symboliquement la reconnaissance des attentes perçues des autres (avec tous les malentendus possibles) ;

• elle est modifiée en fonction de l’action des autres et de soi-même.

Pour un agent, la première condition signifie la dépendance (statique) de son état à l’état des autres, la deuxième qu’il existe un mécanisme d’interprétation symbolique de l’action des autres, et un processus d’élaboration d’une réponse effective, enfin la troisième implique que le comportement même de l’agent (sa dynamique, sa stratégie comportementale) dépend de l’état des autres et de lui-même.

Par ailleurs, dans la définition objective de Durkheim, l’action sociale consiste en « des manières d’agir, de penser, et de sentir, extérieures à l’individu, et qui sont douées d’un

pouvoir de coercition en vertu duquel elles s’imposent à lui » (Durkheim, 1904, cité dans [Rocher, 1968]). L’exteriorité des modes d’action sociale situe cette analyse comme davantage globale et structurelle. Durkheim introduit ainsi le concept de conscience

collective, qui vient s’opposer à la conscience individuelle. La force de coercition des

modes collectifs d’action est variable selon les sociétés ; et détermine le processus d’intériorisation de la conscience collective en chacun. La contrainte est ainsi remplacée par l’habitude et par la conscience morale. Dans la perspective durkheimienne, l’action individuelle peut donc être influencée par le collectif sans qu’il y ait interaction effective, tout en restant cependant sociale.

Il faut rappeler ici que l’objectif premier de la sociologie est l’analyse et la compréhension de l’action sociale, et non sa construction. On peut donc s’interroger sur la pertinence des distinctions opérées entre les deux niveaux d’explication de Weber et Durkheim, lorsqu’elles sont appliquées à l’ingénierie des systèmes collectifs artificiels. En particulier le développement de la « conscience d’un agent » n’a a priori pas de sens dans la mesure où leur construction doit être achevée pour envisager l’utilisation effective du système collectif artificiel. Mais cette hypothèse de "pré-construction" n’est pas indispensable ; en effet on peut tout à fait envisager un processus d’adaptation par apprentissage, et donc effectivement d’intégration du fait social au fur et à mesure des interactions.

Par ailleurs, les deux analyses ont bien une transcription possible : soit (« subjectivement ») on ne spécifie pour les agents que des modes d’interaction sociale qui vérifient tout ou partie des conditions "weberiennes", et on va alors observer ou non l’émergence de processus collectifs particuliers, et l’obtention d’une réponse fonctionnelle à certain état de l’environnement ; soit (« objectivement ») on construit a priori un répertoire d’actions et de connaissances (une conscience collective artificielle), un ensemble de règles parmi lesquels les agents vont puiser pour déterminer leur comportement. Le travail de construction de cette « conscience collective artificielle » suppose que l’on ait analysé auparavant les différents configurations collectives possibles afin de toujours pouvoir orienter l’action. En pratique il semble que les deux approches doivent être concomitantes et qu’il est souvent difficile de tout spécifier individuellement, sans en passer par des déterminants collectifs donnés a priori. Le cadre de l’agent autonome (p.e. un « agent WWW ») nous limite cependant souvent au local, par méconnaissance

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exhaustive des situations et autres agents que l'on peut rencontrer (on touche ici au problème des systèmes collectifs artificiels en environnement ouvert).