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Les signes d’une mutation de la société : une gestion par les risques

Des donneurs d’ordres confrontés à de nouveaux challenges

III. Les signes d’une mutation de la société : une gestion par les risques

Quelle que soit la nature des organisations, celles-ci structurent leur stratégie en fonction des différents risques : réglementaire, actif immatériel, dommage collatéral, compétitivité, sanitaire, environnemental, image, réputation… Cette énumération des risques susceptibles de nuire aux performances d’une organisation n’a pas l’ambition d’être exhaustive. La gestion des risques est en corrélation avec une notion difficile à déterminer : le capital immatériel. On la définit comme l’ensemble des compétences humaines, des savoirs au sein d’une organisation, des marques, des relations clients, des méthodes et outils de production, le système de management de la qualité, ainsi que l’ensemble des facteurs intangibles constitutifs de la richesse immatérielle de l’organisation. Parmi tous ces éléments, la réputation d’une entreprise, son image de marque auprès des consommateurs, des investisseurs et plus généralement de l'opinion publique qui en font partie, constitue un capital à développer, à entretenir ou à préserver. Nos recherches portant principalement sur la relation entre donneurs d’ordre et fournisseurs/sous-traitants, le risque image – réputation pour l’entreprise donneuse d’ordre s’apparente comme le risque premier. En effet, la réputation de l'entreprise a pris une telle ampleur qu'elle est considérée aujourd'hui comme l'un de ses actifs. L'atteinte à la réputation constitue donc désormais un risque majeur pour les dirigeants et pour leur société.

Le risque réputation correspond à l’impact que pourrait avoir une opinion négative du public ou du personnel sur l’image de marque d’une entreprise. La réputation est l’élément majeur de leur fond de commerce.

« Des études menées en 1998 par Interbrand, agence-conseil en identité de marque, et

CityBank montrent que la valeur des sociétés entrant dans l'indice FTSE 100 s'élève à 824 milliards de livres sterling, à raison de 240 milliards pour les actifs tangibles et 584 milliards pour la survaleur. En d'autres termes, la survaleur basée en grande partie sur la réputation représente 71 % de la valeur totale de l'entreprise contre 44 % il y a dix ans. » La Tribune –

Un article du magazine « Fortune »48 annonçait que « Les 10 sociétés les plus renommées des

Etats-Unis (…) qui dominent toutes les autres entreprises américaines sur le plan de la réputation (…) les supplantent aussi en termes de performance (…). Un investissement de dix ans cdans ces sociétéss aurait apporté aux actionnaires un rendement trois fois plus élevé que celui des actions de l'indice S&P 500. » La réputation a pris une telle importance aujourd'hui

que le rapport Turnbull, qui fait maintenant partie des règles sur le gouvernement d'entreprise en Grande-Bretagne, conseille aux sociétés de la traiter sur le même pied que les autres actifs. Enfin, une étude menée en décembre 1999 auprès des gestionnaires de risques dans les sociétés britanniques montre que le risque majeur pour une entreprise est celui lié à sa réputation.

On peut donc définir ce risque comme la série de menaces qui affectent la confiance à long terme que les parties prenantes (fournisseurs, clients, salariés et actionnaires) placent dans l'entreprise. Ceci couvre les risques menaçant les produits, la société ou tout un secteur d'activité. Afin d’illustrer le risque lié aux produits, nous prendrons le cas de Mercedes-Benz en 1997, lorsque son nouveau modèle, la Classe A, s'est renversé lors du « test Moose » destiné à évaluer sa tenue de route. Dans cet autre exemple, les dommages subis par l'entreprise apparaissent clairement : en 1991, au cours d'un discours à l'adresse de l'Institute of Directors en Grande-Bretagne, le directeur de la chaîne de boutiques de joaillerie Ratners déclara, pour plaisanter, que certaines marchandises du groupe étaient « de la camelote ». Cette petite phrase aura contribuer à grandement chahuter le cours de l'action et conduisit ce directeur à la démission. Dernier exemple, et non des moindres, l'actualité de la crise de la vache folle illustre l'atteinte à la réputation de tout un secteur économique, qui a affecté et affecte encore aujourd'hui plusieurs pays. Ces quelques illustrations démontrent que le risque réputation influence considérablement les résultats financiers et économiques des entreprises. A l’origine de ces crises, on retrouve des symptômes classiques :

- Absence d’information,

- Méfiance croissante des consommateurs,

- Attention renforcée du public, des ONG et des médias, - Perte de confiance des parties prenantes,

48 Nous nous sommes basés sur les recherches de la presse technique, car il n’existe pas, à ce jour, de recherches académiques sur ce thème.

- Multiplication des pressions politiques et sociales afin d’inciter l'entreprise ou les personnes mises en cause à répondre de leurs actes,

- Conflit interne sur ce qu'il y a lieu de faire pour résoudre la crise.

Les entreprises capables de prévenir et de gérer ce type de crise sont mises en avant par leurs parties prenantes. L’exemple de l’après catastrophe aérienne de Kegworth en 1989, au cours de laquelle un Boeing 737-400 bimoteur de British Midland Airways s'était écrasé près de l'aéroport d'East Midlands en Grande-Bretagne, permet d’illustrer une bonne gestion de crise. Sir Michael Bishop, directeur général de la compagnie aérienne, avait alors donné des entretiens convaincants et chargés d'émotion, sans craindre d'affronter l'ampleur du désastre et de répondre aux questions du public et des actionnaires. En dépit de la sensibilité du public aux crashs aériens, British Midland enregistra même une augmentation de ses ventes après la catastrophe.

Les caractéristiques d'une gestion de crise réussie peuvent donc être les suivantes : - Démontrer une action réparatrice décisive,

- Faire preuve de transparence et donner une information adéquate, - Etre rapide et réactif dans sa communication,

- Emettre un discours uniforme,

- Connaître parfaitement les attentes de ses parties prenantes, - Développer une capacité à admettre ses erreurs,

- Avoir une stratégie de redressement claire.

Ces mesures sont généralement le résultat de procédures adaptées, d'une planification exhaustive, d'une formation appropriée et de systèmes de détection précoce, tous ces éléments participant à la stratégie de protection de la réputation de l'entreprise.

Le risque lié à la réputation couvre donc plusieurs aspects de l'entreprise. Sa bonne gestion exige une petite équipe transversale, ayant pour objectif de créer et de mettre en oeuvre une stratégie défensive, qui sera composée de représentants de la communication institutionnelle, des relations clients, du service d'hygiène et de sécurité, des relations avec les investisseurs,

Afin d’opérer une bonne gestion de son capital réputation, il serait opportun pour toute entreprise de suivre les démarches présenter ci-dessous :

1. Evaluer les menaces : Il apparaît primordial que l'entreprise identifie les principales

menaces pesant sur sa réputation en cas de problème éventuel : couverture médiatique soutenue, chute brutale du cours des actions, perte de confiance des clients. Ces menaces résultent de facteurs internes – qualifiés ainsi car ces éléments dépendent directement de la politique et des choix stratégiques de l’entreprise - comme la propagande, la discrimination sur le lieu de travail, les transactions contraires à l'éthique, les échecs du marketing ou des risques plus généraux comme les défauts des produits. Ces menaces peuvent également provenir de facteurs externes – non maîtrisés directement par l’entreprise – comme tous problèmes concernant l’un de ses fournisseurs ou de ses sous-traitants. La prolifération des Sweatshops et des risques qui leurs sont liés illustrent l’émergence des facteurs externes. « Cette expression anglaise qui signifie littéralement "atelier de la sueur" désigne

communément les lieux de travail où les ouvriers sont exploités : pas de salaire décent assurant le minimum vital, mauvaises conditions de travail, notamment du point de vue des cadences (nombre d'heures par jour trop élevés, nombre de jours de repos insuffisants), discipline arbitraire voire parfois des violences verbales ou physiques. Les industries du textile et du jouet sont les plus fréquemment montrées du doigt pour leurs recours aux sweatshops. Selon les ONG qui luttent contre ces pratiques, on trouve des sweatshop notamment en Asie et en Amérique Centrale » (Novethic, 2003). Comme nous l’avons déjà

démontré précédemment, l’entreprise américaine Nike fut l’une des premières multinationales à se retrouver confrontée au risque réputation issu des pratiques de ses fournisseurs et de ses sous-traitants. Depuis de nombreuses multinationales ont également subi les pratiques de leurs partenaires.

H&M (Hennes&Mauritz) possède 746 magasins répartis dans 14 pays et impose dans l’ensemble des pays où ses magasins sont implantés, sa mode à bas prix. En mai 1998, la société H&M est condamnée avec sept autres grands vendeurs de vêtements (Adidas, Nike, Levi Strauss, Benetton...) lors d'une mise en scène de procès organisé par l'organisation Clean Clothes Campaign à Bruxelles, s'appuyant sur des textes de loi réels pour montrer comment les consommateurs pouvaient se saisir de ces questions grâce à la loi. Ce procès s'est déroulé de fin avril à début mai à Bruxelles, avec pour objectif de montrer au public comment sont fabriqués les produits vendus par ces entreprises. Les retombées médiatiques de ce

procès sont immédiates pour les entreprises concernées. Des actions de boycott sont organisées dans de nombreux pays occidentaux. La réputation de ces multinationales est touchée.

Afin de se prémunir contre ce type d’action et faire respecter les cadres réglementaires existant, la firme suédoise décide de déployer chez chaque sous-traitant incriminé un émissaire afin expliquer la politique de l'entreprise vis à vis de ses fournisseurs. Depuis 1997, le géant du vêtement " bon marché " s'est lancé officiellement dans une démarche de contrôle de la politique sociale de ses 900 fournisseurs. H&M a édicté une charte de bonne conduite qu'elle fait signer à ceux-ci ainsi qu'à leurs sous-traitants. Ils s'engagent alors à respecter certaines règles : le travail des enfants est interdit, les horaires sont limités, un niveau de salaire est assuré (évalué en fonction du salaire moyen du pays), le lieu de production doit être correctement aménagé (aération, équipements de sécurité). Il est en outre interdit aux fournisseurs d'H&M d'utiliser des produits nocifs pour l'environnement. Il conviendrait de s’interroger sur la justesse et la rigueur de ces inspections. Nous développerons le contrôle des sous-traitants dans la dernière partie de nos recherches.

Il est donc nécessaire de répertorier les risques liés à la réputation et d’exiger de l'honnêteté et de l'obstination (en faisant appel, par exemple, à des organismes indépendants) afin de surmonter d'éventuelles positions défensives adoptées dans l'entreprise.

2. Classer les risques par ordre de priorité : une fois les risques identifiés, il convient

d’établir leur priorité afin que les managers sachent sur quoi orienter leurs efforts et leurs ressources. Ce processus sera lié aux stratégies existantes de gestion des risques et aux diverses impulsions stratégiques du Corporate. Le groupe de travail concerné peut évaluer les risques liés à la réputation sur la base de leur probabilité ou de leur impact afin de définir leur rang. Une entreprise peut, par exemple, se rendre compte que le risque d'un tremblement de terre affectant l'une de ses principales activités est relativement faible, mais que la situation serait catastrophique s'il survenait. On est alors en présence d'un risque faible avec de fortes conséquences.

Il convient également de matérialiser cette gestion des risques par une connaissance juste de ses partenaires, notamment au niveau de la chaîne d’approvisionnement. La mise en place d’une cartographie fournisseurs précise recensant les activités et les situations géographiques où opèrent chaque partenaire. Une fois que les procédures requises sont identifiées, on peut dresser la carte des risques pour la réputation de l'entreprise et analyser les éventuels écarts.

4. Contrôler les risques : Une fois la carte des risques éditée, l'entreprise établira des

procédures pour surveiller les premiers signes indiquant leur intensification ou leur réduction. L'un des postes d'écoute les plus importants dans une société est le service client. Celui-ci est souvent capable de déceler les signes avant-coureurs d'une tendance avant même que le problème ne soit connu du public. Les consommateurs connaissent l'impact d'une mauvaise publicité et sont capables de s'en servir comme enjeu dans leur négociation. La multiplication des émissions télévisées et radiophoniques sur les problèmes subis par les consommateurs démontre que le risque image – réputation devient un enjeu stratégique pour les entreprises. Les téléspectateurs voient dans ces émissions le moyen de faire prendre conscience aux entreprises du sérieux de leurs requêtes.

5. Réagir et communiquer face aux risques : Aucune entreprise ne peut éviter ou anticiper

tous les risques qu'elle court puisque le risque fait par définition partie de sa raison d'être. En revanche, il est dans son intérêt de se doter d'une armure défensive afin de protéger sa réputation en cas d'imprévu. La mise en place de quelques procédures, de plan de formations, d'une bonne documentation et de l'entretien de relations sont quelques exemples de protection.

6. Intégrer le processus sur les risques : le risque réputation de l'entreprise doit être traité, à

certains égards, de la même manière que d'autres risques traditionnels comme les risques financiers, réglementaires ou opérationnels. Ils seront, par exemple, inclus dans la procédure d'audit interne de l'entreprise afin de garantir l'application et la mise à jour des processus mis en place pour les éviter, les identifier et y répondre. Le bogue de l'an 2000 en constitue une excellente illustration. Bien que la plupart des sociétés soient sorties quasiment indemnes de cet événement, pour nombre d'entre elles, ce risque n'est apparu sur l'écran radar de la réputation qu'en 1999, alors qu'il constituait déjà un risque opérationnel bien avant cela. « Une étude effectuée par le « Conference Board » fait ressortir que, parmi les motivations

considèrent qu'en premier lieu il s'agit de renforcer leur image de marque. Cela explique l'attention croissante portée aux « investissements » en capital-réputation avec la publication de rapports sociaux et environnementaux, la participation à des prix ou des trophées, le soin croissant apporté aux réponses aux questionnaires des agences de notation sociale, ainsi que la proposition de l'un des « big five » PriceWaterhouseCoopers (PWC) d'évaluer le capitalréputation de ses clients et de les conseiller pour le valoriser. L'attente du public à l'égard des engagements sociaux, éthiques et environnementaux des entreprises devient l'une des données économiques qui accroît la vulnérabilité des firmes, dont la dégradation de l'image peut se révéler très néfaste. L'entreprise doit donc intégrer dans la gestion des risques ceux qui sont liés à une dégradation de son image. Mais celle-ci devient également un enjeu de compétitivité : les firmes qui anticipent notamment l'évolution des législations sociales et environnementales sont susceptibles de dégager un avantage compétitif par rapport à leurs concurrentes moins avisées. » (Capron, 2003).

L’émergence du risque réputation, le développement des communications sociétales, la mise en place de reporting et la multiplication des catastrophes écologiques sont un ensemble de signes démontrant la nécessité pour tous les acteurs, entreprises privées et organismes publics – consommateurs et ONG internationales, de s’atteler vers des actions transversales engageant toutes les parties prenantes. Ces nouveaux challenges développés dans cette première sous partie ne peuvent se concrétiser qu’avec une collaboration totale entre acteurs du développement durable. Un travail de partenariat entre ces derniers est essentiel dans l’optique d’une gestion durable de notre économie.

Section 2

Identification des acteurs du développement