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Les ONG : d’une relation défensive à des actions de partenariat

Identification des acteurs du développement durable inhérents à l’entreprise

II. Les ONG : d’une relation défensive à des actions de partenariat

Les ONG – Organisations Non Gouvernementales – se sont imposées avec force dans le paysage mondial. Ces structures associatives, petites et grandes, se comptent aujourd’hui par dizaines de milliers dans le monde. Leur point commun est de ne relever ni de la sphère publique ni de la sphère marchande et elles affichent une vocation d’utilité sociale. Pour les plus connues, les ONG jouissent d’un rayonnement international et annoncent des budgets comparatifs à de petites multinationales. En effet, Care International (l’une des plus importantes ONG d’intervention humanitaire aux Etats-Unis) possède un budget de 600 millions de dollars. En France, Médecins Sans Frontière affiche 96 millions d’euros de dons. Leur objet social apparaît varié. De la protection de l’environnement à la défense des droits de la personne, leur combat les amène à intervenir sur le terrain des Etats et des grandes entreprises. Compte tenu d’un développement exponentiel depuis le début des années quatre vingt à nos jours, les ONG se sont imposées comme une troisième force sur l’échiquier de la mondialisation à coté du pouvoir politique et du pouvoir économique. Certes, une telle puissance ne peut manquer d’être remise en cause par les acteurs qu’elle concurrence, et qui souvent sont les bailleurs de fonds : gouvernements, entreprises et donateurs privés. Les ONG se doivent donc de répondre à de nombreux défis afin de justifier cette nouvelle position :

La nature de leur modèle économique : la multiplication de ce type d’organisations et leur diversité les conduit à rivaliser en terme de communication et d’innovation afin d’obtenir toujours plus de revenus. Ces derniers se scindent entre les dons privés et l’accès aux fonds publics.

La nature de leur relation avec les autres acteurs de la mondialisation : Etats et entreprises. Initialement, les ONG privilégiaient des actions d’opposition vis-à-vis de telle politique d’un Etat ou de telle pratique d’une entreprise. Aujourd’hui, les

ONG : à quel moment les ONG deviennent-elles de simples sous-traitants de ces partenaires pouvant représenter une part très importante de leur financement ?

La représentativité des ONG : à travers ce troisième défi, on cherche à déterminer d’où les ONG détiennent leur pouvoir à prendre la parole et à agir ? Doit-on prendre en considération le nombre de donateurs privés, les expertises réalisées, le nombre de partenariats signés ou l’étendue de leur mandat ?

2.1 La fragilité de leur modèle économique

La croissance continue des ressources des grandes ONG a transformé ces organisations en entités économiques puissantes. En 2001, Care International affichait un budget de plus de 600 millions de dollars, World Vision 462 millions de dollars et Greenpeace 158 millions d’euros. Comme les multinationales, les grandes ONG ne possèdent qu’une seule et même structure mais réunissent de nombreuses filiales à travers les pays où elles opèrent ; ce maillage compliquant le recueil des informations et leur transparence.

En France, la Commission Coopération développement du ministère des affaires étrangères avance un budget global pour l’ensemble des ONG d’environ 700 millions d’euros pour l’année 2001. Ce chiffre connaît une croissance continue depuis quinze ans. Néanmoins, les ONG françaises fonctionnent avec des budgets beaucoup moins important que leurs homologues anglo-saxons. MSF61 totalise 96 millions d’euros, soit six fois moins qu’Oxfam – ONG Britannique. Deux autres ONG présentent un potentiel de financement supérieur à 50 millions d’euros : Handicap International et l’Unicef. Les autres organisations, une vingtaine, totalisent un budget compris entre 7 et 40 millions d’euros.

Quelles sources de financement pour ces ONG ? Financement privé ou financement public ? Contrairement à leurs homologues américains, les ONG françaises dépendent majoritairement de la générosité du public. L’état français ne contribue que partiellement à leur financement : seulement 8,4% des ressources en 2001. Les organisations françaises se tournent davantage vers les bailleurs de fonds internationaux comme l’ONU et les agences de coopération bilatérale de nombreux pays au premier rang desquels les Etats-Unis. Cependant, la

commission européenne reste le premier bailleur de fond de ces organisations en fournissant 17% des ressources en 2001.

Les ONG sont continuellement opposées à un dilemme : leur modèle économique repose sur les dons et les subventions. Quelle indépendance vis-à-vis des financements accordés par les gouvernements et les entreprises ? Alors que certaines ONG comme Greenpeace et Amnesty International refusent tout financement public, d’autres comme Gongos (Governement Oriented NGOs) dépendent entièrement de subventions des autorités publiques. Entre les deux, de nombreuses organisations recherchent un équilibre entre les divers types de financement. La dépendance à l’égard des fonds publics pose le problème de la conditionnalité qui tend à transformer les associations en sous-traitants des gouvernements. Cette problématique est identique pour les ONG dépendantes des apports financiers des multinationales : ces ONG ne deviennent-elles pas des sous-traitants de ces entités privées ? Le recours à la générosité du public butte sur des coûts de recherche de fonds de plus en plus importants. En effet, la multiplication des ONG et des causes qu’elles défendent intensifie la concurrence entre organisations. Elles seraient plusieurs milliers en France et plus de 65 000 à travers le monde à se partager une enveloppe de subvention stagnante. La lourdeur des procédures de récupération des dons nécessite une trésorerie importante. De plus, les subventions couvrent rarement plus que les frais des missions, sans dégager de marge permettant de financer les frais de siège. La pérennité de certaines structures est posée.

Certains spécialistes des ONG annoncent le développement certain d’une troisième voie de financement pour ces organisations : le partenariat avec les entreprises. Déjà expérimenté par certaines multinationales, ce financement soulève le problème d’indépendance des actions entreprises par les ONG partenaires.

2.2 La multiplication d’actions d’interdépendance : des relations complexes et instables entre ONG et entreprises.

initiative que des questions comme le réchauffement climatique, l’allégement de la dette des pays pauvres ou le travail des enfants ont été inscrites à l’agenda des grandes négociations internationales. De plus, les exemples d’entreprises amenées à modifier leur stratégie à la suite de critiques d’ONG sont nombreux. Des multinationales comme Nike (mis en cause pour le travail des enfants chez ses fournisseurs), Shell (renonçant à couler une plateforme pétrolière en mer du Nord) ou Procter & Gamble (réorientant ses approvisionnements en café selon des critères du commerce équitable) illustrent ces changements.

Parallèlement à cette logique d’opposition, les ONG développent de plus en plus des relations d’interdépendance et de coopération avec les autres acteurs de la société. Dans le cadre de nos recherches, nous analyserons l’évolution des relations entre les multinationales et ces organisations.

Comme l’évoque Thierry Pech et Marc-Olivier Padis dans leur ouvrage « Multinationales du cœur »62, les ONG ne sont plus toujours dans « l’opposition ». Leur positionnement officiel n’est plus aussi clair qu’au début des années quatre vingt dix. « Certaines ONG semblent

vouloir entretenir l’image d’organisation rebelle qui a fait leur renommée au départ, avec l’idée que c’est ce qu’attend leur public de donateurs ». Cette posture d’opposition aux

multinationales sur laquelle s’est construite la popularité des grandes ONG ne reflète plus la réalité actuelle.

Les entreprises détenant la manne financière constituant le troisième pilier du modèle économique des ONG et, étant donné que ces dernières ne peuvent plus se baser seulement sur les dons privés et subventions publiques, il n’est pas surprenant de voir les coopérations entre acteurs se développer. La professionnalisation des ONG, illustrée par le recrutement de cadres issus des entreprises, facilite le rapprochement entre les deux mondes. Comme pour les entreprises, les ONG doivent gérer le risque image découlant de ce rapprochement. Les réserves avancées dans les divers discours des présidents d’ONG démontrent cette volonté de prudence dans la mise en place de ces partenariats. L’attitude des ONG pourrait être jugée trop complaisante à l’égard des entreprises.

Même s’il existe toujours une distance idéologique importante entre le monde de l’entreprise et les associations, les multinationales recherchent le regard d’expert de l’ONG. L’objectif est de prévenir un effet négatif sur leur image d’une mise en cause de leur responsabilité sociale, sociétale et environnementale. De nombreux groupes se sont engagés dans de tels partenariats : Lafarge et l’ONG Care Internationale en Afrique (sensibilisation de son personnel au Sida), Thomas Cook et Care Internationale (réflexion sur le risque de tourisme de masse avec l’édition d’une charte du tourisme durable) et Carrefour et FIDH63 (contrôle des pratiques sociales de leur fournisseurs).

Ces coopérations soulèvent l’interrogation suivante pour les ONG : ces associations ne vont-elles pas se transformer en consultants rémunérés par les entreprises ? Pour Philippe Lévêque, directeur de Care France, « les sommes en jeu restent faibles […] La vraie question du

moment est de savoir si les entreprises vont réellement mettre en pratique les déclarations de bonnes intentions qui se multiplient depuis quelques années. Le passage à l’acte signifie toujours de renoncer pour elles, sauf dans de très rare cas, à une partie de leur profit. Il n’est pas certain que le sacrifice soit accepté pendant les périodes de mauvaise conjoncture ».

Les coopérations entre acteurs apparaissent inévitables. Doit-on s’en réjouir ? La mise en place de ces relations permettra dans un premier temps de multiplier les prises de conscience des multinationales aux problématiques relatives au développement durable : respect des droits humains, protection de l’environnement… Il reste à croire que les associations sauront garder leur neutralité et leur impartialité, éléments moteurs de leur ascension. La culture d’un partenariat efficace, autant pour l’entreprise que pour l’association, se fera par le respect des identités et des objectifs de chacun. Continuellement en recherche de représentativité, ces collaborations sont à forts enjeux : une remise en cause du professionnalisme des missions réalisées par une association engendrerait un déficit d’image conséquent pour la multinationale partenaire et une chute mortelle de la légitimité de l’ONG.

2.3 Quelle légitimité pour les ONG ?

des brevets des grands laboratoires pharmaceutiques dans le cadre de la lutte contre le Sida, depuis plusieurs années, la FIDH met en cause publiquement le groupe Total, soupçonné d’avoir soutenu le recours au travail forcé en Birmanie et défend, dans les instances intergouvernementales, le respect des droits sociaux des peuples, face aux puissances économiques et commerciales. La gouvernance de l’OMC est régulièrement l’objet de critique, tout comme la gestion de la dette des pays pauvres par le FMI. La récente coalition de plates-formes nationales d’ONG a rendu publique une déclaration commune devant le G8, à Sea Island en juin 2004.

Depuis le début des années quatre vingt dix, les ONG ont développé un véritable discours politique, acquis par la multiplication de leur présence au cours des conférences internationales. Mais, à quel titre des structures gouvernées par quelques dizaines de personnes, capables, certes, de mettre en avant une grande expertise, peuvent-elles prendre position sur les choix politiques d’un pouvoir élu démocratiquement ou sur les stratégies d’entreprises évoluant dans un cadre fixé par ces mêmes élus ? Les grandes ONG estiment que leur légitimité, et plus généralement celle des associations de manière globale, doit être mesurée selon la représentativité que leur confèrent les publics leur apportant leur soutien financier. On peut lire sur le site Internet de l’ONG Greenpeace : « en 2003, 13 353 adhérents

ont rejoint Greenpeace France. Le nombre d’adhérents a augmenté de 17% entre 2002 et 2003. Nous avons ainsi franchi la barre des 55 000 personnes qui soutiennent Greenpeace. C’est évidement plus de ressources mais cette participation croissante signifie surtout un contre-pouvoir plus efficace parce qu’il repose sur un plus grand nombre de membres »64. Néanmoins, ce raisonnement a quelques limites. La majorité des ONG s’exprime sur des problématiques transversales concernant l’ensemble des habitants de la planète. Pourtant leurs mandataires sont les donateurs des pays riches et leur représentativité se limite bien souvent à la population du pays où elles ont leur siège social. Cette faiblesse pèse sur la légitimité des ONG et conditionne leur pérennité car elle est susceptible d’avoir un impact sur la générosité du public. Or, sans dons, les ONG deviennent des sous-traitants des gouvernements et des entreprises.

Deux stratégies s’offrent alors aux ONG : la première consiste à développer la représentation en favorisant les regroupements et les fédérations d’ONG. La seconde utilise le recentrage du

mandat sur l’action en laissant de coté les plaidoyers politiques. C’est pourquoi, certaines ONG ont pris la mesure d’un développement international en créant de multiples filiales dans de nombreux pays. Une autre source de légitimité future est les partenariats entre ONG. Les associations « locales » vont chercher à intégrer une plate-forme nationale et/ou internationale afin de multiplier leurs sources de revenus.

Les ONG se sont imposées avec force dans le paysage mondial. Initialement engagées dans une relation d’opposition vis-à-vis des autres acteurs, les ONG s’orientent petit à petit vers des partenariats avec les entreprises. Les multinationales sont également confrontées à un troisième acteur : les agences de notation extra-financière.