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Le club de Rome : initiateur des premières réflexions

Une volonté politique devenue nécessité économique : les étapes ayant conduit à

I. Le club de Rome : initiateur des premières réflexions

Le Club de Rome a été créé en 1968. Il regroupait une poignée d'hommes, occupant des postes relativement importants dans leurs pays respectifs (un recteur d'université allemande, un directeur de l'OCDE, un vice-président d'Olivetti, un conseiller du gouvernement japonais...), et qui souhaitaient que la recherche s'empare du problème de l'évolution du monde pris dans sa globalité pour tenter de cerner les limites de la croissance. Association à but non lucratif de droit Suisse, le Club de Rome conduit des réflexions inspirées de craintes de même nature que celles de Malthus développées en 1798.

1.1La théorie de Malthus

1.1.1 Définition de cette doctrine

"Un homme qui naît dans un monde déjà occupé, si sa famille n'a pas le moyen de le nourrir,

ou si la société n'a pas besoin de son travail, cet homme, dis-je, n'a pas le moindre droit à réclamer une portion quelconque de nourriture : il est réellement de trop sur la terre. Au grand banquet de la nature il n'y a point de couvert mis pour lui. La nature lui commande de s'en aller, et ne tardera pas à mettre elle-même cet ordre à exécution." T. Malthus, 1798.

Thomas Malthus avance l'idée que "la population a spontanément tendance à croître selon

une progression géométrique alors que la production agricole s'effectuerait selon une progression arithmétique, les dernières terres agricoles mises en culture étant celles dont la productivité est la plus faible. Ces deux dynamiques sont incompatibles et il doit en résulter une paupérisation croissante de la population et des phases de famines contraignant la croissance de la population à s'ajuster au rythme de progression des ressources agricoles"

(P. Chassande, p. 7).

1.1.2 Les apports de la théorie de Malthus

La doctrine de Malthus est apparue lors de la publication de L'essai sur le principe de la

population. Elle décrit donc la réalité du monde, la rareté des subsistances, la tendance de

La théorie de Malthus met en avant l'hypothèse que les moyens de subsistance s'accroissent mais seulement en raison arithmétique, alors que la population tend à s'accroître en raison géométrique. Le principal sujet de réflexion de Malthus est donc démographique. Selon lui, la population a tendance naturellement à croître à un rythme trop important pour les ressources alimentaires. Selon la loi des rendements décroissants, en effet, une faible population commencera par exploiter les terres les plus fertiles. Mais au fur et à mesure de la croissance de la population, on devra avoir recours à des terres de plus en plus difficiles à cultiver et nécessitant donc de plus en plus de ressources financières et humaines. Cela se traduit par des crises de famine périodiques. Il arrive donc inévitablement un moment où la courbe de la population dépasse la courbe de la production alimentaire entraînant pauvreté, famine et épidémies. La solution préconisée par Malthus revient donc à réduire l’accroissement de la population en agissant sur le taux de natalité. Il en déduit qu'il ne faut pas porter secours aux plus pauvres de manière à éviter leur multiplication... Depuis, lorsque l'on parle de malthusiannisme, on évoque les théories qui préconisent une limitation des naissances, ou parfois, d'une façon plus générale, de l'offre.

1.1.3 Les limites de cette théorie

Cette théorie est souvent évoquée pour critiquer le concept du développement durable. Pierre Chassande évoque alors deux arguments contradictoires dans la théorie de Malthus : "d'abord

parce que cette théorie est désespérément pessimiste, ensuite parce qu'elle est totalement invalidée par les faits. Or les raisons mêmes de son échec sont instructives aujourd'hui encore: l'analyse s'est focalisée sur un mécanisme de court terme et en a déduit des conclusions pour le long terme."

Malgré ces limites, la théorie de Malthus a inspiré les nombreuses réflexions du Club de Rome, notamment sur les dangers que présente une croissance économique et démographique importante, voire exponentielle, corrélée à l'épuisement des ressources naturelles et au développement des pollutions.

1.2L'idée émergente d'une croissance zéro : la controverse du rapport Meadows. En 1972, une équipe de chercheurs du Massachussetts Institute of Technology (MIT) a mené une série de travaux, à la demande du Club de Rome, sur la possibilité d'une croissance zéro. Compte tenu de ces recherches, il convient de rappeler que le "Rapport du Club de Rome" doit être nommé le rapport Meadows & al., du nom du directeur de l'équipe de recherche: Dennis Meadows. Ce rapport se compose d'un document de synthèse, présentant les principaux résultats du travail qui fut effectué.

1.2.1 Le contenu du rapport

Compte tenu de la multitude de conclusions que l'on attribue à ce rapport, il est important de souligner au préalable l'hypothèse qu'une grande majorité des personnes citant ce document ne l'ont pas lu. Par exemple, ce rapport aurait affirmé la fin du pétrole pour l'an 2000 ! Pourtant aucune trace d'une telle prévision dans le rapport Meadows24. Sa seule conclusion forte est que la croissance matérielle perpétuelle conduira tôt ou tard à un "effondrement" du monde qui nous entoure, et que, même en étant très optimiste sur les capacités technologiques à venir, l'aptitude à recycler ou à économiser les matières premières que nous consommons, à contrôler notre pollution et le niveau des ressources naturelles, nous conduira à cette effondrement avant 2100. A travers plusieurs modèles mathématiques25, les chercheurs américains du MIT arrivent aux conclusions suivantes : tant que le modèle global s'attache à rechercher une croissance annuelle de la production industrielle (ce qui est le projet de tout pays aujourd'hui), l'effondrement est inévitable avant 2100 quel que soit l'optimisme prévalant sur les autres hypothèses (ressources inépuisables, diminution possible de la pollution…). La seule possibilité pour éviter cet effondrement est de limiter de nous-mêmes cette production industrielle (et un certain nombre d'autres grandeurs physiques prises en compte dans le modèle) à un niveau compatible avec les possibilités de notre planète : c'est la remise en cause de la "croissance économique" qui se dessine, puisque depuis la révolution industrielle la croissance économique est allée de pair avec la croissance de la production industrielle.

24 Néanmoins, à la page 174 de la traduction française, on trouve un tableau indiquant que les réserves connues de pétrole, en 1970, représentent 30 années de consommation. Mais il ne s'agit en rien d'une "prévision" indiquant que le pétrole sera définitivement épuisé en 2000, mais simplement d'un rappel des connaissances du moment concernant les ressources naturelles. Serait-il juste de dire aujourd'hui que les pétroliers "prédisent" la fin du pétrole pour 2040, au motif que les réserves qu'ils déclarent représentent 40 fois la consommation de l'an 2002 ?

25 Cette thèse n'ayant pas pour sujet de recherches le rapport Meadows, nous ne développerons pas une critique des modèles utilisés par ces chercheurs.

1.2.2 La croissance zéro est-elle légitime ?

Si nos conclusions s'arrêtent aux dires des mathématiques, il convient de croire à la légitimé de cette recommandation. En effet, dans un monde fini, toute consommation de ressources non renouvelables tendra (en moyenne) vers zéro avec le temps. La simple application d'un théorème basique conduit à indiquer : si une fonction est positive et continue (donc intégrable), et que son intégrale est bornée, alors la moyenne sur un intervalle non nul ne peut que tendre vers zéro à l'infini. La consommation de ressources non renouvelables satisfait aux hypothèses : la consommation est une fonction positive (par exemple, nous ne pouvons restituer du pétrole à la terre), et la consommation cumulée (c'est-à-dire son intégrale) est bornée (sa valeur maximale est celle du stock initial). Dès lors, la moyenne sur une année d'une telle consommation ne peut que tendre vers zéro à l'infini. Dès lors que les chercheurs constatent que la croissance provoque l'effondrement avec le modèle utilisé, alors que celui-ci reproduit de manière à peu près satisfaisante les évolutions constatées de 1900 à 1970 pour les variables prises en compte, la question de savoir s’il faut limiter ou stopper la croissance pour éviter l'issue finale se pose de manière légitime.

Malgré le pragmatisme des modèles mathématiques, de nombreux auteurs se sont interrogés sur la légitimité de ce modèle. Alors que les besoins vitaux élémentaires d'une partie de la population mondiale ne sont pas satisfaits, est-il opportun d'arrêter volontairement la croissance économique ? N'est-il pas possible d'envisager une corrélation entre le développement économique et la protection de l'environnement ? L'émergence du concept du développement durable a permis de montrer qu'il était possible de concevoir de fortes interactions entre la croissance économique et le respect de notre environnement.

La seule ambition du rapport Meadows, finalement, a été de tenter de comprendre quel pourrait être l'enchaînement des événements qui se produirait si nous ne prenions aucune mesure préventive ; à quel horizon de temps ces événements pourraient survenir, et si des choix donnés au niveau mondial permettraient de se prémunir de la chute finale ou de la repousser très loin.

1.2.3 Des hypothèses vérifiées

A sa parution au début des années 1970, ce rapport avait suscité une attention importante de la pardes chercheurs, institutionnels, politiques et ONG. Malgré la pertinence de certaines hypothèses, nombre d'observateurs l'ont progressivement enterré au motif d'une non-réalisation de ces prédictions. Pourtant, il est important de rappeler qu'aucune date "précise" n'était indiquée dans ce document.

L'analyse de ce rapport nous a permis de constater des similitudes entre l'évolution de l'environnement prédite par le rapport Meadows et les recherches récentes sur le changement climatique relatée dans l'ouvrage de Jean-Marc Jancovici et Hervé Le Treut "Effet de Serre – Allons nous changer de climat ?"26. Les quelques éléments suivants illustrent ces analogies.

Les deux ouvrages relatent une même "pollution" globale due au surplus des trois principaux gaz à effet de serre dans l'atmosphère qui évolue de manière exponentielle, parallèlement à la production agricole (pour le méthane puis le N2O) ou industrielle (pour le CO2),

Le changement climatique dérivé de cette "pollution" sera susceptible d'affaiblir la production agricole, ou de diminuer l'espérance de vie des hommes (via des maladies qui apparaissent là où elles n'existaient pas, des sécheresses aggravées, et des risques divers), exactement comme la pollution du modèle du MIT était censée avoir ces effets,

les premiers "gros ennuis" éventuels, c'est-à-dire des transitions brutales (par exemple un changement du régime des courants marins dans l'Atlantique Nord) sont à l'horizon d'un demi-siècle à un siècle, c'est-à-dire à des échéances du même ordre de grandeur que ce qui ressortait des simulations de l'équipe du MIT.

La pertinence de certaines conclusions de ce rapport n’est plus à démontrer ; néanmoins, ce document souffre encore aujourd'hui d'une image "pessimiste"; faute à la traduction française et du titre apporté au document de synthèse ?

Ce document a été traduit en français au sein d'un livre paru sous le titre "Halte à la

croissance ?", alors que le titre original du rapport Meadows & al. n'est pas "halt to growth

?", ou "should we halt the growth ?", comme le titre français pourrait le laisser penser, mais

plus simplement "the limits to growth", signifiant, en Français, "les limites de la croissance". Aucun point d'exclamation ou d'interrogation dans le titre anglais, qui est sobre et factuel, à l'image du document lui-même.

Longtemps fustigé comme un rapport pessimiste et au delà de toute réalité, le rapport Meadows – base de réflexion du Club de Rome – trouve une deuxième jeunesse en ce début de XXIème siècle. Les maladresses de traduction associées à un état d’esprit réfractaire à toutes idées d’éco-développement ont condamné il y a trente ans certaines hypothèses de recherche. Même si la légitimité de la notion d’une croissance zéro reste très délicate à admettre, nombre de résultats, notamment sur les changements climatiques, sont scientifiquement avérés aujourd’hui. Le mérite du rapport Meadows est d’avoir engagé un processus de réflexion sur l’avenir de la Terre au vu de nos modes de consommation et de notre passivité face au respect de l’environnement. La conférence des Nations Unies sur l’environnement humain de Stockholm marque le premier acte politique d’une prise de conscience mondiale.

II. De l’éco-développement au développement durable : des années de