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2.4.3.1. Modulations par la relation

Le paragraphe précédent a exposé les conséquences induites au plan émotionnel par certaines stimulations nociceptives auxquelles des espèces d’élevage peuvent être

umises (voire paragraphe 4.2 : La composante émotionnelle de la douleur chez les animaux). Le cadre conceptuel qui a permis d’interpréter les observations comportementales en termes d’émotions est issu de la psychologie cognitive. Ce cadre théorique repose sur la connaissance des capacités cognitives et sociales des sujets étudiés à savoir initialement des sujets humains. C’est dans une seconde étape qu’un cadre conceptuel explicatif a été étendu aux primates non humains. Enfin, plus récemment, d’autres études se sont attachées à mettre en évidence les conséquences d’interactions sociales entre congénères d’espèces non primates, par exemple chez des rongeurs ; le plus souvent il s’agit de repérer l’influence d’une interaction sociale sur l’expression d’une émotion dont l’objectivation repose sur l’observation de manifestations comportementales.

Dans le cas précis de réactions aux stimulations nociceptives et à leur intégration sous forme de manifestation de douleur, les effets du co

r une modification du seuil de réponse à la douleur. Si les données sont étayées expérimentalement chez les rongeurs, il n’en est pas encore de même pour toutes les espèces d’élevage. L’étude de leurs capacités cognitives et de l’expression de leurs émotions ayant débuté plus tardivement, les connaissances sont pour ces animaux encore lacunaires.

Les possibilités de survie dépendent de la capacité d’intégration du contexte social, ce qui est fonction

ncerne la douleur des animaux, quelques données d’observation et d’expérimentation démontrent la réalité des effets du contexte social sur le seuil de réponse à la douleur, essentiellement chez des rongeurs. Cette capacité a été qualifiée « d’empathie » chez l’homme. Le terme, dérivé d’un concept psychologique conçu pour l’homme, a été crée au début du 20ème siècle à partir de sympathie, avec em- « dedans » et -pathie, du grec pathos :

« ce qu’on éprouve ». Il a ensuite été repris par les primatologues, avec la signification de capacité de représentation de l’état mental d’un congénère, spécificité qui relève de la « théorie de l’esprit » (Premack & Woodruff, 1978). Cette forme « d’empathie » correspond plutôt à la capacité de comprendre ce que ressent un congénère, que ce soit une émotion ou une sensation. Mais ce n’est que dans la dernière décennie que l’approche de l’empathie par les neurosciences a complété les démarches des philosophes, des socio-anthropologues ou des éthologistes. Chez le sujet humain, l’imagerie cérébrale fonctionnelle a révélé que le substrat neuronal de l’empathie à la douleur implique le recrutement d’ensembles neuronaux codant la dimension émotionnelle de la douleur vécue (Singer et al., 2004). Seules deux

zones du cortex télencéphalique, connues pour être associées à la dimension affective de la douleur (l’Insula antérieure ou AI et la portion caudale du cortex cingulaire antérieur ou ACC), sont activées à la fois chez le sujet à qui est appliqué la stimulation génératrice de douleur et chez celui qui voit un autre sujet éprouver une douleur déclenchée par la même stimulation. Les ensembles neuronaux impliqués dans l’analyse des composantes sensorielles de la douleur (c’est à dire la « matrice neuronale de la douleur » avec l’aire corticale AI, le cortex sensorimoteur, SI/MI, la partie caudale du cortex cingulaire antérieur, ACC, les noyaux du tronc cérébral et le cervelet) ne sont activés que si le sujet reçoit effectivement une stimulation nociceptive. Ainsi, le Cortex Cingulaire rostral antérieur et le lobe antérieur bilatéral de l'Insula semblent refléter l’expérience émotionnelle de la douleur, ils constitueraient le substrat neuronal de la compréhension des émotions ressenties par un autre sujet (empathie).

En ce qui concerne la transposition du concept d’empathie aux animaux, ce sont des exemples de détection de situations d’inconfort ou d’alerte chez les congénères (Baack & Sw

ioiosa et al., 2009), il a été démontré que la réponse de str

s signaux sonores de détresse émis par les rongeurs en situ

itzer, 2000; Mateo, 1996) ou de réaction aux appels de détresse des progénitures (D'Amato et al., 2005; Ehret & Bernecker, 1986) qui ont en partie validé une conception étendue de l’empathie dans laquelle la perception des états émotionnels entre congénères s’inscrit dans la perspective initiale d’un « ressentir chez l’autre » ("feeling into" : Lipps, 1903). Cette conception contemporaine de l’empathie, théorisée dans le modèle de perception-action, initialement appliquée aux primates (Preston & de Waal, 2002), met l’accent sur le rôle de la réactivité émotionnelle entre congénères. Elle a été utilisée pour interpréter les manifestations de perception de la douleur entre souris de la souche albinos CD-1. Une étude récente a montré que le niveau de sensibilité à des stimulations nociceptives chimiques (test de contraction abdominale après injection de solution d’acide acétique à 0,9%) ou thermiques est modulé par la présence d’un partenaire familier alors qu’aucun effet identique n’est relevé en présence d’un congénère neutre ou nouveau (Langford et al., 2006). Dans ces expériences, la détection des signaux de détresse émis par la souris après injection passait par la perception visuelle des mouvements ou de la posture du congénère et non par l’audition (indices sonores = cris) ou par l’olfaction (émission de phéromones). Cette capacité de détection est en partie modulée par des composantes génétiques (Chen et al., 2009).

Dans une étude récente utilisant la peur conditionnée à un stimulus prédictif d’un stress exprimé par des congénères (G

ess chez la souris (modification du rythme cardiaque et signaux sonores de détresse) varie avec la souche génétique, la souche C57BL/6J (B6) ayant un comportement social très grégaire et des souches BALB/cJ l’étant beaucoup moins. Les auteurs concluent que certaines souris sont sensibles aux signaux de l’environnement prédictifs d’un stress social (vocalisations de détresse émis par des congénères) et que le fond génétique peut moduler l’évolution de ces réponses, selon des évolutions temporelles similaires à celles de sujets humains capables d’empathie.

Ces données peuvent être considérées comme indicatives des possibilités de contagion émotionnelle déclenchée par le

ation de vécu douloureux. Une telle hypothèse se trouve indirectement étayée par une étude (Gioiosa et al., 2009) montrant que des souches DB1 de souris répondent différemment à une stimulation chimique nociceptive (injection de formol à 1% dans une sole plantaire) en fonction du contexte social (testé seul ou simultanément et en présence du congénère familier), ce qui est indicatif d’un effet du statut social (dominant ou dominé d’une dyade stable). Testées simultanément au sein d’une même cage, les souris présentent un score de léchage des pattes moitié moindre qu’en test individuel. Pendant la première phase du test au formol, le sujet dominé présente des signes d’hypoalgésie (i.e. moins sensible) par rapport au dominant, son comportement adaptatif est plus passif que celui du dominant. De plus, l’observation du congénère en situation douloureuse modifie significativement le comportement de l’observateur. Les dominants mis en situation d’observateurs (i.e. non injectés) sont plus fréquemment engagés dans un comportement de toilettage, alors que les

dominés mis en situation d’observation du dominant injecté au formol observent plus souvent leur partenaire.

Cet ensemble de données expérimentales démontre que les réponses à la douleur de quelques espèces mammaliennes peuvent varier avec le statut des individus en présence (co

es de signaux de détresse entre co

me la conséquence d’un changement de seuil nociceptif sous l’effet d’é

ées qui infèrent l'existence de « f

r de

an

nnus, inconnus, relation de dominance,…) et sont modulés par leur composante génétique. En l’absence d’expérimentations systématisées reproduisant des pratiques génératrices de douleur, il est encore difficile d’étendre avec certitude aux espèces d’élevage des données obtenues essentiellement sur des rongeurs.

Le point important qui doit être gardé présent à l’esprit pour interpréter les travaux mettant en évidence les conséquences fonctionnelles des échang

ngénères en situation douloureuse est que toute réaction émotionnelle s’accompagne de modifications de l’activité du système neurovégétatif autonome. L'état neuro-végétatif d’un organisme - lui-même déterminé par les états de vigilance, l'équilibre homéostatique, le stress, etc.- retentit à de multiples niveaux du traitement des informations sensorielles (Blessing, 1997; Foo & Mason, 2003; Lovick, 1997; Mason, 2001). Le système nerveux autonome module en particulier l’activité tonique des fibres musculaires lisses de la paroi des vaisseaux sanguins périphériques. Ces vasodilatations ou vasoconstrictions ont pour conséquence de changer localement la température périphérique des tissus, donc des fibres nerveuses et de leurs propriétés ; il peut en résulter des variations des seuils de réponse à des stimuli nociceptifs.

Les modifications de réponses comportementales à la douleur sont souvent interprétées de manière erronée, com

changes de signaux possédant un caractère d’empathie, alors qu’en fait il s’agit probablement de la conséquence physiologique d’une modification du tonus neurovégétatif périphérique en réponse à un signal d’alerte (Craig, 2003a). Un certain nombre d’auteurs se sont concentrés essentiellement chez des rongeurs sur ces effets de biais méthodologiques dans la détermination de seuils de réponse à la nociception (Benoist et al., 2008; Le Bars et al., 2001; Mason, 2005). Ce point rejoint le phénomène souvent décrit chez l’humain d’analgésie induite par un stress (en anglais « stress induced analgesia »), phénomène qui fait toujours l’objet de débats scientifiques (Ford & Finn, 2008; Le Bars & Carrive, 2009). L’une des composantes de ce débat rejoint la question des méthodes employées pour caractériser et analyser ce phénomène. Des travaux menés sur des espèces animales d’élevage pourraient parallèlement aboutir à une meilleure maîtrise des conditions susceptibles de faire émerger des sensations douloureuses.

Il est donc nécessaire de considérer avec prudence, non pas les données expérimentales de la littérature scientifique, mais les interprétations de donn

ormes d'empathie » entre animaux d'une même espèce, sans avoir toujours pleinement prendre en compte la position phylogénétique de l’espèce étudiée. En rappelant que la notion d’empathie, étendue aux animaux, provient d’observations initialement réalisées chez des primates (Preston & de Waal, 2002), une démarche de précaution étayée sur des expériences réalisées sur chaque espèce d’intérêt s’impose. C’est en particulier le cas lorsque l’interrogation sur ce type de manifestation concerne des espèces d’élevage.

2.4.3.2. Modulations par les relations inter-espèces : le cas particulie

la relation homme animal sur les manifestations de douleur chez l’animal

Pour les animaux placés sous le contrôle de l’homme, celui-ci est évidement un élément très important de leur environnement. Plusieurs articles de synthèse montrent comment les imaux et les hommes développent des relations interindividuelles (Estep & Hetts, 1992) que ce soit chez les animaux d’élevage (Boivin et al., 2003; Hemsworth & Coleman, 1998; Waiblinger et al., 2006), les chevaux (Hausberger et al., 2008), ou les animaux de zoo (Hosey, 2008). Plus récemment, les capacités cognitives impliquées dans la communication homme-animal (chiens, chevaux) ont suscité un intérêt particulier, par exemple quant à l’existence d’attention conjointe entre l’homme et l’animal (Gacsi et al., 2005; Kubinyi et al.,

2009; Viranyi et al., 2008). Nous ne percevons plus maintenant nos partenaires animaux comme des êtres réagissant simplement par réflexes. Leurs réactions dépendent de la façon subjective dont ils interprètent leur situation. Cela conditionne leur état émotionnel et leur humeur (Désiré et al., 2002). C’est particulièrement vrai pour leur perception émotionnelle de l’homme. La peur de l’homme chez l’animal a été particulièrement étudiée pour ses conséquences sur le comportement animal, sa physiologie, et sa production (Hemsworth & Coleman, 1998; Rushen et al., 1999). La douleur comme perception d’une agression physique peut évidemment être influencée par cette relation homme-animal, en particulier si elle est mauvaise avec par exemple, des animaux qui ont peur de l’homme. Cette peur de l’homme a une composante génétique : une grande variabilité génétique a souvent été observée (Boissy et al., 2005; Phocas et al., 2006). Mais il a aussi clairement été démontré que la peur de l’homme est un phénomène appris (Hemsworth & Coleman, 1998). L’animal peut facilement associer la douleur d’une intervention d’élevage ou sanitaire avec la présence de l’homme (Davis, 2005). Par exemple, les ovins subissant la pratique du

mulesing (scalp de la peau autour de l’anus pour que la peau reformée résiste aux pontes

des mouches), se souviennent encore un an plus tard de la personne qui les a tenus (Fell & Shutt, 1989). Le comportement de l’homme envers l’animal lors des manipulations (coups, tapes, coups de pieds,…) peut lui aussi être générateur de douleurs et, quand il est répété, il peut créer un stress chronique chez l’animal (Hemsworth & Coleman, 1998; Waiblinger et al., 2006). La peur engendrée et le stress affectent tous les systèmes biologiques de l’animal, diminuant sa résistance immunitaire et sa santé, son bien-être, sa reproduction et sa production (Hemsworth, 2003; Rushen et al., 1999; Waiblinger et al., 2006).

La peur n’est pas le seul état émotionnel qui peut être évalué et affecter les réponses des animaux à l’homme et aux opérations douloureuses. Les animaux peuvent ressentir ce

l’animal : le cas du fœtus ovin

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