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RELATIONS INTERGENERATIONNELLES ET STATUT DES ENFANTS

1. Formes d’adresse et règles d’étiquette intergénérationnelle

2.1 Servir les ascendants la vie durant

Cassiane (13 ans) a déjà bien compris ce fonctionnement qu’elle exprime laconiquement, voulant me convaincre de l’importance d’avoir des enfants : « Tu dois avoir un enfant car ton enfant va te servir. »44

Le verbe « servir » (identique en portugais) apparaît de manière récurrente. Dona Risomar (72 ans) par exemple, avoue qu'elle n’aime pas trop faire la cuisine. Elle est contente de regarder sa fille, Dorinha (23 ans), qui habite à Aveiro45 et est venue passer quelques jours chez sa mère pendant les vacances : « Et voilà que ma cuisinière est

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« Eu, olha, eu tive nove filhos. Mas eu não me arrependo não, porque eles me ajudam muito sabe ? Nós, a riqueza nossa são os filhos. Porque a gente não tem salário, mas a gente trabalha, deus dá a saúde e a gente vai vivendo com a ajuda dos filhos d’agente, né? »

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« Tu tem que ter filho, porque teu filho vai te servir. »

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arrivée ! »46 Essayant de prolonger la discussion, je demande à dona Risomar : «Vous n’aimez pas la cuisine alors ? » À quoi elle me répond :

« Non... il faut être là, à côté et remuer et tourner…moi non. Ici, dans ma maison c’est toujours mes filles qui ont cuisiné. Quand elles ne sont pas là et que je ne peux faire autrement, je dois bien aller à la cuisine, car ici personne n’a d’employé (rires) ! Alors, on est obligé d’y aller. Mais dès qu’elles arrivent, ce sont elles qui vont me servir. Et ça a toujours été comme ça, dès qu’elles ont atteint la hauteur de la cuisinière. »47

Le vocabulaire employé par dona Risomar dans ce dialogue est significatif : les filles la « servent », elles jouent le rôle de l’« employé » (empregado) qui fait défaut.

Quand des descendants (fils, filles, petit-fils, etc) intègrent encore le groupe domestique48 de leurs ascendants, les femmes de la plus jeune génération assument systématiquement la responsabilité principale des tâches ménagères. Même quand celles- ci sont mariées, vivent dans leurs propres maisons et parfois ne dépendent pas (ou pourraient ne pas dépendre) économiquement de leurs parents.

Chez dona Neusa (65 ans, retraitée), c’est sa fille Neideci (36 ans, directrice de l’école du village et habitant dans une maison voisine de celle de sa mère) qui cuisine tous les jours pour les sept personnes habitant les deux maisons : dona Neusa et son mari, seu Calistro (73 ans, retraité), les deux petits enfants qui vivent chez eux, Gleice (13 ans)

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« Agora já chegou minha cozinheira ! »

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« Não… é ter que estar ali todo tempo, mexendo e mexendo, eu não. Eu gosto é de estar na roça, fazendo farinha. Aqui em casa foram sempre minhas filhas que cozinharam. Sempre elas que ficam na cozinha. Quando elas não estão, aí não tem jeito, eu tenho que ir pra cozinha, porque ninguém não tem empregado, então tem que ir. Mas elas chegando, elas é que vão me server. Foi assim todo o tempo, desde de que elas tavam do tamanho, chegaram na altura do fogão (risos) ! »

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Suivant la définition de Goody (1962), il s’agit d’un groupe d’individus qui habitent à proximité et dépendant d’une même source d’approvisionnement en nourriture ; ce sont majoritairement des parents, mais pas exclusivement (op..cit : 56). Dans le Tapajos, il s’agit principalement de parents qui partagent une parcelle de terre, mais peuvent vivre dans des maisons séparées et même avoir des revenus propres (salaire d’instituteur par ex.): ce qu’ils ont en commun c’est la terre. Tous sont subordonnés à ceux qui en sont les propriétaires.

et Pedro (18 ans), Neideci et son mari William (38 ans, instituteur), ainsi que leur fille, Cássia (11 ans). Tous mangent quotidiennement dans la cuisine de dona Neusa. Neideci, Cássia et Gleice se partagent le ménage (balayer les deux maisons, faire la lessive1). Les aliments sont fournis de façon partagée par les deux couples : la farine est issue de l’essart appartenant à dona Neusa et seu Calistro et cultivé avec l’aide de William et Neideci ; ce dernier couple possède une échoppe et fournit régulièrement viande en conserve, riz, sucre, café, huile, oignions, etc. Pendant mon séjour, les aliments que j’apportais (les mêmes que ceux vendus à l’échoppe) étaient incorporés aux repas. Seu Calistro ou Pedro apportaient un gibier ou du poisson en moyenne une fois par semaine ; au moins deux fois par semaine dona Neusa achetait du poisson dans le voisinage ; parfois encore, ils recevaient des dons en gibier ou en poisson.

Plus typiquement dans une situation de dépendance économique, Rosa (28 ans), séparée de son mari et mère de 5 enfants, habite chez sa mère dona Neide (53 ans, veuve). Tous travaillent dans l’essart qui appartient à dona Neide et, outre ce travail, c’est Rosa, aidée par sa fille aînée (âgée de 9 ans), qui s’occupe de la préparation quotidienne des repas, ainsi que du ménage.

Figure 29 : Neideci à la cuisine (Pinhel, novembre 2010) Photo de Lucie Robieux

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L’échange ci-dessous, au cours duquel dona Neusa me rapporte les conseils qu’elle a donnés à une de ses filles, Lea (25 ans), est intéressant à examiner. Léa vit dans une communauté voisine (Cametá) avec son deuxième mari. Elle a une fille d’un premier mariage, Marcela (11 ans) qui vivait avec elle lors de mon séjour. Le père de Marcela, lui, vivait dans une autre communauté. Dona Neusa me raconte que Marcela aurait un comportement problématique ces temps-ci, qu’elle aurait « séché » des cours et s’obstinerait à aller dans des soirées que sa mère lui interdit. Dona Neusa me relate ainsi le dialogue qu’elle a eu avec sa fille, Léa : « Mais Lea, ma fille, envoie cette gamine à son père. Là-bas, elle pourra le servir, s’occuper de ses vêtements, au lieu de rester ici et continuer à te donner des soucis ! Et peut-être son père va-t-il réussir à la dresser (adomar)… ». Dona Neusa ajoute ensuite à mon intention :

« Et bien moi je pense comme ça, si les enfants ne veulent pas accepter nos conseils, c’est déjà leur responsabilité. Ils les prennent ou les laissent. Je ne trouve pas correct que ma fille se fatigue autant à cause de cette gamine... [et après un moment de silence, elle conclut :] Tu sais Chantal, un enfant (filho), pour moi, n’est pas là pour donner du travail. Alors là, ça non…(Filho, pra mim, não veio pra dar trabalho. Mas quando, veio não…) »

2.2 Apprendre à aider : valeur éducative de l’aide et la juste mesure des tâches

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