• Aucun résultat trouvé

Points communs aux deux versions : le leurre des encantados et les encantados en tant que « mères des lieux ».

Pinhel, Parauá, Alter do Chão Un aperçu ethnographique

2. Le temps des histoires : le perroquet et autres êtres enchantés

2.2 Points communs aux deux versions : le leurre des encantados et les encantados en tant que « mères des lieux ».

Dans les deux versions, les humains sont leurrés après avoir accepté quelque chose proposé par l’être enchanté : de la nourriture, du divertissement, etc. Dans la première version, l’enchanté lui-même est l’appas : un jeune homme inconnu mais beau

26

« E nunca eles acharam, tia, a moça? »

27

« Saíram da consulta e ela estava lá na comunidade, quando chegaram em Santarém ele já estava lá ! »

et de belle prestance, bon danseur et charmeur. Comme le boto, il a l’apparence et le comportement des personnes d’une position socioéconomique supérieure. La famille consent à le recevoir, puis accepte sa proposition de danser et ils dansent tous ensemble. La mère finit même par accepter de faire venir sa fille au salon. Dans la deuxième version, la fillette ramasse les poissons jetés à terre par une vague mystérieuse. Les narrateurs insistent sur le fait qu’il s’agit de jaraquis, espèce de poisson très prisée par les villageois. Dans les deux cas quelque chose de très valorisée est accepté par les villageois.

D’après tous les narrateurs, la fillette et son perroquet ont été enchantés à cause d’une désobéissance de la fillette : elle avait ses règles et s’est approchée de la rivière. Certains narrateurs disent même qu’il s’agissait de sa première menstruation (ménarche), ce qui renforce le caractère liminaire de ce moment : « c’est lorsque la femme se forme, qu’elle passe de l’état de petite fille à celui de femme, alors elle se forme, n’est-ce pas ?»28

Jusqu’à aujourd’hui, les villageoises de Parauá comme celles de Pinhel, d’Alter do Chão, et sans doute maintes habitantes de Santarém et d’autres localités en Amazonie (cf. Maués 1995), sont censées respecter un certain nombre de règles durant leur période menstruelle. C’est une période pendant laquelle « la femme n’est pas en mesure de recevoir n’importe quoi »29, m’explique dona Neide (53 ans), habitante de Pinhel. Elle ne peut pas manger d’aliments jugés trop forts (reimosos), ne doit pas faire d’efforts trop importants et, la règle la plus systématiquement suivie est qu’elle ne doit pas s’approcher des cours d’eau durant la menstruation. La femme qui le ferait, risquerait de « provoquer » (provocar)30 l’encantado. Comme le serpent Amorim, ces êtres peuvent alors déployer différentes stratégies pour capturer et amener la personne désirée vers leur demeure, c’est-à-dire, vers le fond des eaux. Pour les humains, cela signifierait quitter définitivement la vie terrestre.

28

« É quando a mulher se forma, passa de menina pra mulher, então ela se forma né ? »

29

« a mulher nao tá em competencia pra receber qualquer coisa »

30

Mot à double sens, qui peut vouloir dire que la femme a attisé la haine ou le désir de l’encantado.

D’après les villageois, ces humains emportés vers le fond « ne meurent pas ». Ils sont toujours vivants mais ils sont « enchantés ». Le monde subaquatique est décrit comme un lieu d’abondance et de divertissement, sans travail (« Il paraît que c’est une vie comme la nôtre, sauf qu’il n’y a pas les essarts, pas de travail…» ; « Il fait beaucoup la fête ce peuple du fond ! »31). Malgré tout, les villageois ne souhaitent pas y vivre. Les récits d’interaction avec les encantados font systématiquement état du risque et d’une grande peur d’être capturés.

Version 1 Version 2

Protagoniste Jeune fille menstruée Jeune fille menstruée, lors de sa ménarche

Agresseur Amorim, l'anaconda enchanté « maître du lieu »

Amorim, l'anaconda enchanté « maître du lieu »

Acte transgressif

Sortir de la maison et s'approcher de la rive ou juste regarder dehors

Sortir de la maison et s'approcher de la rive pour se fabriquer des anneaux de tucumã

Forme que prend l’agresseur pour interagir

Jeune homme beau et galant Enorme vague

Échanges avec l’agresseur

La famille reçoit l'inconnu chez elle. Tous dansent avec lui, y compris la jeune fille (potentielle partenaire sexuel)

La jeune fille recueille des poissons jetés à terre par la vague (commensalité)

Dénouement Toute la famille et ses animaux domestiques sont enchantés

La jeune fille et son perroquet sont enchantés

Figure 21 : Tableau comparatif entre les deux versions du récit de l’origine du toponyme Parauá

31

« Diz que é uma vida assim como a nossa, mas só que eles não tem roça, trabalho… » ; « Vich eles fazem muita festa o povo do fundo ! »

Pour éviter d’être enlevés, les villageois doivent avoir des comportements respectueux envers les encantados quand ils sont dans leur territoire : en effet, l’anaconda Amorim comme d’autres êtres enchantés sont considérés comme les « vrais maîtres » des lieux où ils habitent, ils en sont les donos « propriétaires » ou « maîtres» ou mães « mères » de ces lieux.

Outre les encantados subaquatiques, d’autres entités sylvestres comme la Curupira sont aussi considérés comme les « mères » ou « maîtres » de certains lieux ou de certaines espèces de gibier32. Le comportement respectueux envers toutes les « mères » ou « maîtres » des lieux signifie une série d’évictions et de précautions. Il est recommandé de : demander à voix haute l’autorisation de passer dans leur territoire ; parler doucement et ne pas faire trop de bruit dans ou à proximité de ce territoire ; ne pas chasser trop ou trop souvent un animal d’une même espèce ; traiter dignement la dépouille des animaux chassés. À ces comportements-là s’ajoute, pour les encantados subaquatiques, l’interdiction aux femmes menstruées de s’approcher des cours d’eaux, leur lieu de vie. Je reviendrai sur ces points au chap. 6. Notons pour l’heure, que les termes de cette relation sont tout autres que ceux de la relation que les villageois établissent avec les saints catholiques. Ceux-ci sont aussi très présents dans leur quotidien et sont considérés comme leurs protecteurs ; en leur honneur plusieurs festivités sont organisées. C’est vers ces festivités et la relation que les villageois entretiennent avec les saints que nous nous tournons maintenant.

Documents relatifs