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Apprendre à aider : valeur éducative de l’aide et la juste mesure des tâches attribuées

RELATIONS INTERGENERATIONNELLES ET STATUT DES ENFANTS

1. Formes d’adresse et règles d’étiquette intergénérationnelle

2.2 Apprendre à aider : valeur éducative de l’aide et la juste mesure des tâches attribuées

Se comporter de manière à ne pas « donner du travail » à ses ascendants, et au contraire les aider dans les différentes tâches qu’ils ont à accomplir, les « servir », est donc une attitude apprise dès l’enfance. En même temps que cette attitude remplit une fonction directement liée aux intérêts immédiats des ascendants, dans les discours des villageois elle apparaît aussi comme une valeur éducative, comme une habitude que l’enfant doit acquérir dans son propre intérêt. Cette préoccupation éducative est évoquée de manière moins récurrente, mais on peut l’entendre aussi. Le commentaire de Lidiana (43 ans) va dans ce sens :

« Il faut leur donner des choses à faire à la maison. Les plus petites (6 et 7 ans), je leur donne à faire des choses plus légères, plier les vêtements, laver leurs culottes. La lessive, le gros, c’est déjà les plus grandes (10 et 13 ans). Je leur dis, car après elles vont partir n’est-ce pas, et parfois elles seront chez d’autres personnes, alors elles sauront faire quelque chose, les aider. Et aussi car il y aura un moment où elles auront leur propre maison. Alors tout ça c’est important qu’elles sachent le faire. »2

Les adultes qui ont des enfants à charge se préoccupent aussi de la quantité et de la nature des services demandés aux enfants. Certains parents sont critiqués parce qu’ils « exagèrent », ils « réduisent en esclavage » (escravizam) leurs enfants. Leur faire transporter des poids jugés trop lourds (du manioc ou du bois sans l’aide d’une brouette, par exemple), participer au défrichage des parcelles, travailler longtemps avec une bêche, ou encore n’accorder à l’enfant aucun temps libre dans la journée, empêcher que l’enfant aille à l’école3, sont des pratiques considérées comme abusives. Dona Neide (53 ans), commente dans ces termes :

« Il y a des parents comme ça… ils donnent toutes sortes de travaux lourds à leurs enfants. Ils les emmènent déboiser des grands terrains… l’horreur. Ça c’est déjà réduire l’enfant en esclavage. Regarde Josefa, elle faisait porter à sa fille depuis leurs essarts des sacs de farine [de manioc] – tu sais, un sac c’est un sac n’est-ce pas ? [sac de 60 kg]. “Va, prends le sac de manioc, transporte-le.” Non, ça c’est déjà en faire des esclaves. » 4

2

« Tem que dar alguma coisa pra fazer em casa. As menorzinhas (6 e 7 anos) eu coloco elas para fazer assim, coisa mais leve, né ? Dobrar a roupa, lavar as calcinhas delas. A roupa, o grosso já é as maiorzinhas (10 e 13 anos). É, eu digo para elas, porque às vezes quando elas saem por aí, quando elas forem assim na casa dos outros né ? Aí elas já sabem fazer alguma coisa (…) E também porque uma hora elas vão ter a casa delas também. Aí tudo isso é importante elas já saberem. »

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Actuellement, la présence de l’enfant à l’école (à un minimum de 75% des cours) est une condition de perception des allocations sociales. Dans les villages étudiés, il n’y avait aucun enfant qui ne fréquentait pas l’école. Mais ce type de situation dans lesquelles des parents empêchaient les enfants de fréquenter l’école, apparaît dans les mémoires des plus âgés.

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« Tem pai que é assim, né ? Dá todo tipo de trabalho pesado. Vai pra roçado grande cortar pau... credo aí tá escravizando a criança. Olha, a Josefa, botava a filha dela da colônia com um saco de

Dans les journées de travail que j’ai pu accompagner, j’ai effectivement très rarement vu des enfants de moins de 12/13 ans exécuter ce type de tâche jugée « trop lourde » ou alors recevoir tant de responsabilités qu’elles les auraient empêchés d’avoir des moments de liberté. Dans une journée de travail typique, les enfants âgés de moins de 7/8 ans ont surtout des tâches ponctuelles à accomplir (aller chercher quelque chose, laver un ustensile, balayer une pièce, etc.), ce qui leur prend, dans la plupart des cas, deux ou trois heures de leur temps en dehors de l’école (rappelons que l’école n’occupe que 4 heures de leur journée, quand tous les cours sont dispensés). Ces jeunes enfants peuvent remplir librement le reste de leur journée à condition de ne pas déranger les adultes et de ne rien faire qui serait considéré comme dangereux – au moins tant qu’ils sont sous le regard des adultes. Les responsabilités augmentent ensuite avec l’âge, les enfants dont l’âge est compris entre 7/8 et 10/11 ans passent déjà facilement la moitié de leur temps en dehors de l’école à exécuter des tâches confiées par les adultes (éplucher du manioc, faire la lessive, la vaisselle, aider dans la cuisine etc.). Mais ce n’est en effet qu’à partir de 12/13 ans que les proportions s’inversent et que les tâches commencent à occuper la majeure partie de leur temps.

J’ai pourtant observé quelques exceptions d’enfants plus jeunes qui recevaient une charge de responsabilité nettement au-dessus de la moyenne. C’était le cas d’Ernan (11 ans) et Elder-Lúcio (10 ans), garçons plus âgés vivant encore chez leurs parents, Everaldo (42 ans) et Carmem-Lúcia (37 ans). Le couple avait au total sept enfants. L’aîné, Everton (14 ans) avait été placé à l’âge de dix ans chez son arrière-grand-mère maternelle, dans un village voisin, « pour l’aider et la servir, car elle vit toute seule », m’explique Carmem-Lúcia. Ernan et Elder-Lúcio sont alors sollicités pour plus d’activités et de manière plus intense que la plupart des garçons de leur âge. À Estéfany (9 ans), l’aînée des filles, incombe aussi plus de responsabilités qu’à d’autres fillettes de son âge, peut- être pas autant qu’à ses frères toutefois. Pendant mes séjours, les deux garçons ont manqué huit jours de cours pour accompagner leur père dans leur essart ou dans ceux d’autres villageois (Everaldo travaillait aussi bien dans son propre essart que pour

macaxeira - sabe, um saco é um saco, né? [saco de 60kg] - dali pro rumo da beira [do rio]. “Pega o saco de mandioca, leva lá”. Isso já é escravizar. »

d’autres villageois contre un salaire journalier) ; les deux garçons, comme leur sœur, étaient moins présents dans les rues du village en fin d’après-midi, lorsque d’autres enfants se retrouvaient pour jouer; pendant la journée durant laquelle j’ai accompagné la famille dans leurs essarts, les trois enfants n’ont eu que très peu de temps libre (surtout les deux garçons) et ont travaillé plus de deux heures avec des pauses brèves, l’un, comme leur père, préparant le sol avec une bêche pour le manioc, l’autre tâchant de trouver du bois pour alimenter le four de torréfaction de la farine de manioc.

Dans ce contexte de production familiale, la phase du cycle de développement du groupe domestique (cf. Fortes 1962 : le nombre et l’âge des enfants, la mort ou le départ éventuel d’un époux/ épouse, le mariage ou le départ des enfants, le fait d’accueillir ou de devoir aider des parents veufs ou âgés) influe en effet directement sur la charge de travail qui retombera sur chacun de ses membres. Par ailleurs, la place qu’occupe l’enfant dans la fratrie ainsi que son sexe sont aussi des facteurs qui comptent dans la détermination du travail qui reviendra à chacun. Comme dans tant de lieux et de contextes différents, les garçons dans le Tapajós ont plus de liberté que les filles. Mais ici, cette différence m’a semblé être moins significative que celle due à la place dans la fratrie. Les frères et sœurs plus âgés sont ceux auxquels échoient le plus de responsabilités.

Il faudrait une étude détaillée du déroulement de leurs journées pour pouvoir faire des allégations précises sur ces différentes participations des enfants (garçons et filles - frères et sœurs plus ou moins âgés) – ce qui n’était pas l’objectif de cette recherche. Mes données me permettent uniquement de proposer une idée approximative de leur emploi du temps. Ce qu’elles montrent en revanche sans détour c’est ce qu’attendent les villageois de leurs enfants : malgré des différences d’âge, de sexe, de place dans la fratrie, de situation économique de la famille ou de caractères individuels, dans le Tapajós, il est clairement attendu des filles et fils qu’ils prêtent main-forte aux parents, et ce, dans toutes leurs activités.

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