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Des céramiques précolombiennes aux dilemmes identitaires actuels

2. Occupation régionale et flux migratoires à partir de

2.1 L’arrivée de migrants pendant le cycle du caoutchouc

Les années 1870, sont marquées par le début du cycle du caoutchouc en Amazonie, où les caoutchoutiers (Hevea brasiliensis L.) sont présents en grand nombre à l’état sauvage. Cette période est connue comme l’âge d’or amazonien et s’achèvera en 1912, date d’une autre découverte : celle de la possibilité de développer la culture du caoutchoutier à moindre coût et avec moins d’effort en Malaisie. Entre 1870 et la première décennie du XXè siècle, l’exploitation du caoutchouc a attiré un nombre important de migrants internes et externes, venus tenter leur chance en Amazonie. Le Tapajós est un haut lieu de culture du caoutchoutier et une place importante lui est réservée lors de l’Exposition nationale de 1913 sur le caoutchouc23. Dispersés dans la forêt, à Pinhel et à Parauá les caoutchoutiers existent encore actuellement en grand nombre, mais le latex n’est, à ma connaissance, plus récolté ni utilisé par les villageois de Pinhel, de Parauá ou d’Alter do Chão. Dans d’autres villages de la rive droite (notamment à Maguary), la production de produits artisanaux (sacs, miniature d’animaux, jouets) a été stimulée par des ONG’s locales et par l’ICMBio (Institut national en charge de la gestion des Forêts Nationales et autres territoires occupés par des populations traditionnels).

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BRASIL, Raymundo Pereira, O rio Tapajós, na exposição nacional da borracha de 1913, no Rio de Janeiro, Itaituba, Pará, 1913.

L’un des contingents de migrants les plus importants à affluer dans la région de Santarém attirés par les promesses du caoutchouc provient de la région du Nordeste brésilien. Les paysans sont frappés par de grandes sécheresses, notamment dans l’État du Ceará, et ils fuient la misère de leur région. Le gouvernement de l’État du Ceará a organisé d’ailleurs des convois humains en direction de l’Amazonie durant les années de grandes sécheresses (1877-1878 ; 1915)24. Entre 1872 et 1920, la population de l’Amazonie a été multipliée par 4,3. Elle passe d’un peu plus de 330 000 personnes à près d’1,5 million (Arbex Jr. 2005 : 31). À Pinhel, à Parauá comme à Alter do Chão, plusieurs familles ont au moins un grand-père ou une grand-mère venue du Nordeste.

Figure 11 : Camp de rétention dans l’État de Ceará d’où partaient des convois pour l’Amazonie (1977). Source : www.museodeimagens.com.br/grande-seca-do-nordeste

Un autre contingent arrivé en Amazonie à l’époque du caoutchouc est composé de populations juives originaires du pourtour méditerranéen, principalement du Maroc et du Liban. Ces populations arrivent par l’intermédiaire de réseaux préexistants puisqu’une

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Craignant que les paysans affamés n’arrivent à la capitale et n’y fassent des pillages, le gouvernement de l’État du Ceará a créé de véritables camps de rétention. Dans ces “étables humaines” (currau de homem) comme on les a appelées, l’armée a pu retenir plus 8 mille personnes, avec une ration d’eau et de nourriture restreinte. Des convois de familles retenues dans ces camps étaient envoyés en Amazonie. (Queiroz 1973, roman historique).

vague de Juifs séfarades d’Europe s’est installée en Amérique du Sud dès la fin du XVIIIè siècle (Nugent et Harris 2004)25. Commerçants pour la plupart, ils se sont installés dans les villes et ils se sont mobilisés pendant le boom du caoutchouc. Il s’agit en général de familles lettrées, qui partagent leurs activités entre les entrepôts commerciaux situés en ville et la navigation commerçante le long de la rivière.

Deux familles juives se sont ainsi installées à Pinhel à cette époque, attirées par les possibilités du commerce du caoutchouc dans le moyen Tapajós. Jacó Bode (littéralement : Jacob le bouc) et Moisés Serique, les patriarches, ont ainsi établi un commerce et ont mis en place, avec les autres habitants du lieu, des relations semblables à celles d’autres « patrons » du caoutchouc. Il s’agit d’une forme de domination par la dette connue sous le nom d’aviamento (Santos 1980). Comme le raconte dona Neusa (65 ans), fille de l’un de leurs clients :

« Mon père lui donnait du poisson séché, d’autres lui donnaient du lait du caoutchouc, de la peau de jaguar, ce genre de choses, n’est-ce pas ? Et nous l’échangions contre des produits [alimentaires]. Mais nous recevions toujours très peu de produits. »

Ces familles juives, sans doute parce qu’elles étaient lettrées et plus riches que les autres, acquirent une certaine ascendance sur les affaires du village. Ainsi, les filles de Jacó Bode ont été les premières institutrices de Pinhel. Elles ont enseigné à lire et à écrire aux employés du commerce de la maison. Ce processus où un patron transmet un savoir valorisé (comme la lecture ou l’écriture) à ses employés est assez courant en Amazonie : il est assimilé à une forme de protection des employés, qui deviennent symboliquement redevables à leur patron26. Après le départ de la famille, à la fin des années 1940 (date correspondant à la chute définitive du prix du latex), des missionnaires franciscains nord- américains (arrivés à Santarém pendant la deuxième guerre mondiale) ont financé le salaire de nouvelles institutrices à Pinhel. Celles-ci ont été recrutées parmi les anciennes

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Belém abrite ainsi la plus grande communauté juive du continent. Sur la migration des communautés juives (cf. Wachtel 2001).

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élèves des filles Bode. Cette offre éducative a été assurée jusqu’à ce que la municipalité nomme une institutrice publique, en 1981.

2.2 La migration encadrée (fin XIXè – début XXè)

Entre la fin du XIXè siècle et le début du XXè siècle, le gouvernement brésilien a signé des accords migratoires internationaux afin d’attirer de la main d’œuvre et pour « blanchir » sa population (Silva 2014 ; Rozeaux 2014). Ces accords ont été signés avec des pays européens (Italie, Portugal, Allemagne entre autres) et avec le Japon. Par ailleurs, le pays a mis en place un plan d’accueil pour les populations de migrants fuyant des calamités, avec la création de « colonies » où celles-ci pourraient cultiver la terre et produire des aliments. Santarém a ainsi vu arriver des flux de sudistes Nord-Américains fuyant la guerre de sécession, de Nordestins mais également d’Italiens, de Portugais et de Japonais (Nugent et Harris 2004). Notons qu’actuellement l’une des plus importantes enseignes de la grande distribution à Santarém (Y. Yamada), appartient à une famille d’origine japonaise. Par ailleurs, une entreprise nord-américaine dirigée par Henry Ford a ouvert un site de production de caoutchouc à une centaine de kilomètres en amont de Pinhel ; une ville, Fordlândia, a été bâtie pour accueillir ce projet en 1928 (Grandin 2009, Sena 2008). Entre la fondation et son extinction officielle en 1948, Ford a investi plus de 30 millions de dollars dans le site : outre la ville ouvrière, il a fait bâtir un hôpital, une école, une usine pour produire de l’énergie, des systèmes sanitaires et de téléphonie les plus modernes de l’époque et même un parcours de golf (Grandin 2009). La plantation a été infestée par un parasite et déplacée en 1934 à Belterra (également sur le Tapajós, une centaine de km en aval), où elle a subi le même sort quelques années plus tard.

Les récits des riverains de la région font état, dans les années 1930, d’une grande circulation intra régionale entre ces différents sites de productions et d’activités économiques. À Pinhel, au moins quatre familles ont des parents qui ont travaillé soit directement pour l’entreprise Ford (qui a pu employer, pendant son apogée, 6 000 ouvriers par mois, cf. Grandin 2009), soit dans l’hopital ou l’école qu’elle a fait construire.

Figure 12 : Cité ouvrière de Fordlândia, au bord du Tapajós, construite par la Compagnie Ford Industrial au Brésil (années 1930) Source : site www.fordlandia.com

Figure 13 : Hôpital de Fordlândia (1933) Source : site www.fordlandia.com

La chute soudaine de la production de caoutchouc, à partir de 1912, a causé une crise profonde de l’économie régionale officielle, mais elle est synonyme de développement de l’occupation rurale. Moreira Neto et Harris tissent ainsi un parallèle entre la période qui marque la fin du cycle du caoutchouc et celle de la fin du régime colonial (marquée par la Cabanagem). Pour ces auteurs, il s’agit de moments de développement de l’économie et du peuplement en dehors des Vilas : « la période de 1912 jusqu’à, approximativement, 1965, ressemble à celle de 1800 - 1840. Toutes deux

ont été des périodes de peu d’intervention ou d’investissement du capital et elles sont significatives au vu du dynamisme des processus sociaux locaux » (Harris 2000 : 41).

Figure 14 : Église Nossa Senhora da Saúde, Vila de Alter do Chão (1930) Source : © Grupo Memórias de Santarém

3. La « deuxième » colonisation : une terre sans hommes pour des hommes sans

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