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Pinhel, Parauá, Alter do Chão Un aperçu ethnographique

3. Le temps de la fête à Alter do Chão, Parauá et Pinhel

3.2 Le Gambá de Pinhel

Pinhel est l’un des seuls villages de la rive gauche du Tapajós à ne pas posséder un lieu de culte protestant (évangélique). Des pasteurs évangéliques sont déjà venus y passer quelques jours et « nous les avons très bien reçus », affirme le cacique (chef indien). Mais ils n’ont pas réussi à les convertir. Tous les habitants se déclarent catholiques et le saint qui rassemble le plus grand nombre de dévots est saint Benoît

l’Africain (são Benedito). Une fête en son honneur a lieu tous les ans du 28 au 30 juin. Le patron de Pinhel est saint Josef, mais aucune fête spécifique ne lui est dédiée48.

Ce qui différencie la fête de saint Benoît à Pinhel des autres fêtes en l’honneur de saints de la région, c’est, comme à Alter do Chão, un élément réputé « profane », extérieur au rite catholique : le Gambá. Le terme Gambá est polysémique. C’est à la fois le nom d’un instrument de musique (un tambour), d’un rythme musical (dans lequel ce tambour est utilisé), et du pas de danse qui les accompagne. Comme il s’agit d’une idiosyncrasie locale, le Gambá finit par désigner également la fête de saint Benoît dans son ensemble, devenue « la fête du Gambá » ou tout simplement, le « Gambá de Pinhel »49.

Si l’on reprend la description du Sairé faite par Bates en 1848 dans le village devenu aujourd’hui la ville d’Itaquatiara (État de l’Amazonas) on y trouve également ceci :

« Dans la soirée [après la procession du Sairé], la bonne humeur festive se répandit de tous côtés. Les noirs, qui avaient un saint de leur couleur - saint Benoît l’Africain – ont célébré leur propre fête. Ils ont passé toute la nuit à chanter et danser au son de la musique d’un tambour (gambá) et du caracashá. Ce tambour était fait d’un long tronc creux dont une des extrémités était couverte de peau. Il était joué par l’exécutant assis à cheval dessus. Le caracashá est un tube de bambou denté, qui produit un son de cliquetis dur quand les dents sont frottées par un bâton de bois. » (Bates 1864 : 183-184)

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La fête de saint Joseph était historiquement placée sous le contrôle des prêtres et des catéchistes alors que la fête de saint Benoît a toujours été considérée comme « la fête des natifs » (cf. Vaz 2010 : 183)

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En dehors de ce contexte, le terme gambá désigne l’opossum, un petit marsupial de la famille des Didelphis.

La description correspond assez bien à la musique du Gambá jouée actuellement à Pinhel, avec quelques différences. Les tambours sur lesquels s’assoient les musiciens (les Gambás, d’un mètre de long environ), sont actuellement au nombre de trois. Il en existe un autre, plus léger, frappé avec des bâtons par le maître chanteur, appelé caixa (la caisse). L’instrument appelé Caracaxá reste identique à la description faite par Bates. Les convives dansent seuls ou à deux mais toujours dans un cercle qui tourne au rythme des tambours.

Parlant de l’histoire du Gambá de Pinhel, plusieurs habitants mentionnent la participation d’un homme qui aurait été décisive : il s’agit de Jardo, « un noir venu de la rive d’en face », explique dona Áurea (68 ans). Probablement au début du XXe siècle (cf. Vaz 2010 : 187), Jardo serait venu participer à une festivité à Pinhel et, trouvant la musique trop monotone, il aurait promis de revenir l’année d’après avec son Gambá. La promesse fut tenue et, depuis, les villageois s’accordent pour dire que la fête serait devenue beaucoup plus « animée » (animada). Les personnages principaux de la danse du Gambá telle qu’elle est exécutée aujourd’hui, auraient aussi été « une chose de Jardo » : il s’agit du Recongo (contraction de « Rei [do] Congo », Roi du Congo, comme dans les Congadas de tradition africaine) et de sa Rainha (Reine). D’autres habitants mettent l’accent sur l’origine amérindienne de la fête et parlent de l’importance du tarubá (boisson de manioc fermentée, d’origine amérindienne), distribuée gratuitement pendant la danse du Gambá. Ils rappellent également que la fête avait lieu déjà (bien que moins « animée ») avant la visite de Jardo. Florêncio Vaz, frère franciscain et anthropologue originaire de ce village (cf. chap. 1), cite le chroniqueur jésuite João Daniel pour montrer que des tambours similaires à ceux du Gambá étaient déjà présents dans les festivités des Amérindiens des missions, avant même l’arrivée des esclaves Noirs dans la région du bas-Tapajós (Vaz 2010 : 185-186). Pour expliquer l’origine de la fête, l’auteur parie sur une confluence d’éléments d’origines diverses, tout en insistant sur le rôle actif des premiers habitants des lieux (les Indiens) :

« Il s’agit d’un mélange de la culture amérindienne et afro, avec des éléments venant du catholicisme. Mais c’est un mélange coordonné (liderado) par les Indiens du lieu (os índios do lugar), recréé et réinventé au cours des siècles, pour qu’ils réussissent à se maintenir vivants en tant que peuple » (Op. cit : 198)

Si cet auteur s’intéresse à l’origine de la fête, c’est parce que la question identitaire est une question d’actualité à Pinhel, et que lui-même y joue un rôle très important (cf. chap. 1). Nous avons déjà vu aussi que dans les années 1940 les fêtes en l’honneur d’un saint ont été interdites dans toute la région. À Pinhel comme à Alter do Chão, cette interdiction ne signifia pas une interruption complète de leur célébration. Jusqu’au milieu des années 1960, les familles vivaient à proximité de leurs parcelles (essarts, roças) et les festivités étaient des occasions prisées de se réunir, de se divertir, de former des mariages. De nombreuses familles avaient chez elles la statuette d’un saint50 dont ils étaient considérés comme les « protecteurs » (protetores do santo) et les « propriétaires ou maîtres » (donos do santo). Ils organisaient une fête annuelle en son honneur51. Ces festivités jouaient un rôle fondamental dans la sociabilité des villageois et les éradiquer effectivement aurait été très difficile.

À partir de 1970, le Gambá de Pinhel a pu graduellement regagner de la visibilité. Un jeune prêtre visita le village et annonça que la fête n’était plus interdite mais au contraire que c’était « quelque chose de très bien »52. Puis, sous l’impulsion d’une nouvelle institutrice venue d’Aveiro, le groupe de musiciens et quelques danseurs se sont inscrits pour se présenter au Festival Folklorique d’Itaituba, en 1972. L’institutrice les a aidés à monter une chorégraphie et certains villageois disent que c’est à sa suggestion qu’ils ont ajouté un couple de serviteurs de la Reine et du Roi du Congo. Ceux-ci sont représentés par deux enfants. C’est également à cette occasion qu’ils ont confectionné le premier ensemble de costumes pour la danse ; avant, chacun dansait avec ses propres vêtements. Depuis, le groupe a commencé à se présenter dans plusieurs fêtes régionales.

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Outre São Benedito, à Pinhel, des fêtes étaient célébrées en l’honneur de: St. Antonio, Nossa Sra. das Dores, Nossa Sra. do Rosário, Santíssima Trindade, Santa Quitéria et São Marçal. Le Gambá par contre, n’était joué que pendant la fête de saint Benoît.

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En décrivant l’organisation des fêtes en l’honneur d’un saint à Gurupá (bas-Amazone), Galvão mentionne également des fêtes soutenues par une seule famille ou une seule personne, « propriétaires du saint » (donas do santo), mais celles-ci étaient minoritaires en comparaison des commémorations plus régulières et de plus grande ampleur organisées par les « confréries » (irmandades) (Galvão 1955 : 49 et suivantes).

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Selon Vaz (2010 : 192) il s’agirait du Père Edilberto Sena, de Santarém, qui venait d’être ordonné prêtre et était un défenseur de la théologie de la libération.

Le commentaire d’un villageois sur ce moment est intéressant. Seu Rosalino (63 ans), cité par Vaz (op. cit : 193) dit qu’il s’est étonné du succès du Gambá et qu’il ne savait pas « qu’il s’agissait d’un folklore » (eu nem sabia que isso era um folclore). Ce qui était un évènement mis en scène par et pour les présents – villageois et visiteurs venaient danser et non assister à la danse - commence à être quelque chose que l’on montre aux autres, une présentation, un spectacle. Le Gambá commence à s’uniformiser (avec des costumes spécifiques et une chorégraphie fixe) et à être compris comme « un folklore ». Le processus de patrimonialisation est amorcé.

D’autres changements allant également dans le sens de la patrimonialisation ont eu lieu en 1997 (année de la création du Festival des Botos à Alter do Chão). Dans un contexte de mobilisation contre l’entrée dans leur territoire d’entreprises d’exploitation de bois (madeireiras), les habitants de Pinhel et de plusieurs communautés de la rive gauche du Tapajós se sont engagées dans un processus de demande de régularisation du statut foncier de leurs terres auprès de l’État, à travers la création d’une aire protégée, la RESEX (cf. chap. 1). Dans ce cadre marqué par la revendication d’une modalité foncière « écologique », destinée aux « populations traditionnelles », les riverains furent encouragés à mettre en avant les arguments qui démontraient l’ancienneté de leur présence sur le lieu, ainsi que leur mode de vie « traditionnel ». Comme l’explique Vaz :

« Dans cette optique, une origine indienne éloignée en est venue à être mise en avant, et la lutte des cabanos [combattants lors d’un conflit armé du XIXe siècle] a été récupérée comme une lutte des ancêtres. Des éléments culturels qui indiquaient cette ancienneté ont été également mis à profit. C’est le cas du Gambá, qui a été présenté et dansé lors de grandes rencontres et lors des fêtes organisées par [l’association] Yané Caeté, où il ne manquait pas non plus de tarubá [un autre signifiant d’ancienneté]. C’est de cette manière que le Gambá a été élevé au statut de “la” tradition culturelle de Pinhel et des autres communautés de [l’association] Yané Caeté. » (Vaz 2010 : 195)

Dans ce moment de mise en valeur du « traditionnel » et de leur « culture », la fête de saint Benoît l’Africain et le Gambá ont été investis donc par ce groupe. Avec une

autre habitante, dona Áurea (dont le mari, quelques années plus tard, est devenu le cacique de Pinhel), Vaz et sa cousine ont institué d’importants changements, en vigueur depuis 1997. L’évènement en vint à s’appeler Festival Folklorique du Gambá et l’organisation de la fête est sortie des seules mains de la famille « propriétaire » du saint (la famille Lopes, et la figure de Merandolino Lopes). Une commission organisatrice de quatre membres est depuis constituée chaque année. Merandolino Lopes continue à faire partie de cette commission tous les ans. La commission doit présenter les dépenses et les gains de la fête lors d’une réunion d’évaluation qui est organisée à la fin de la fête (une trentaine de villageois y ont participé en 2011).

Encore en 1997, deux nouveaux éléments furent introduits dans la programmation de la fête : une « nuit culturelle » (noite cultural) le 28/06, pendant laquelle plusieurs groupes de danses appelées folkloriques (quadrilha, bumba meu boi, cordão de pássaro, carimbó etc.) des villages proches et d’Aveiro se présentent en compétition ; et un rituel appelé banho de cheiro (« bain odorant »), qui a lieu au bord du Tapajós, au lever du soleil le 28/06, et pendant lequel les mêmes femmes qui chantent les litanies, versent de l’eau parfumée de feuilles odorantes sur la tête des participants53.

Aujourd’hui, lors de la fête de Pinhel, le Gambá est joué à deux occasions distinctes : le 28 et 29 juin, de 20h à 21h à peu près, quand les musiciens du Gambá (des hommes de Pinhel) jouent dans le salon communautaire et que tous les présents dansent et boivent du tarubá ; le 28, lors de la « soirée culturelle » (noite cultural), un groupe de danseurs du Gambá, tous issus de Pinhel, se présente pendant une demi- heure ou 40 min., accompagné des mêmes musiciens qui ont fait l’ouverture de la fête. La soirée culturelle se déroule sur un terrain de sport construit spécialement pour cet événement en 1998.

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Vaz explique avoir encouragé la « réintroduction » de ce rituel en raison du témoignage de personnes âgées de Pinhel et d’autres communautés qui affirment qu’il s’agissait d’une tradition dans les fêtes en l’honneur d’un saint (2010 : 195). Marcondes de Moura (1997) en répertoriant les jeux, danses et pièces de théâtre populaire dans l’État du Pará, souvent associés aux festivités patronales ou en l’honneur d’un saint objet de dévotion, mentionne la réalisation de bains avec des feuilles odorantes dans plusieurs localités de l’État.

J’ai participé à la fête du Gambá de Pinhel en 2011. Comme pour le Sairé, je décris succinctement son déroulement à l’annexe 3. Dans cette description, je souligne seulement que les villageois profitent souvent de la présence d’un prêtre au village (c’est en général sa seule visite annuelle) pour accomplir d’autres rituels catholiques. En 2011, 5 d’enfants (âgés entre 7 et 12 ans) ont été baptisés au moment du « bain odorant » et trois couples d’âges divers (20 et 24 ans, 49 et 53 ans et 50 et 52 ans) se sont mariés lors de la messe du 29 juin54.

Figure 23 : Musiciens du Gambá jouant devant l’image de saint Benoît et groupe d’enfants se présentant à la « soirée culturelle » (Pinhel, Juin 2011) Photos de l’auteur

Avant de passer à la description des festivités de Parauá cependant, un point doit être abordé. Les présentations générales déjà faites nous permettent de le traiter, il s’agit du mode de financement de ces fêtes.

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Le mariage religieux n’est pas de règle dans les villages. Souvent des couples déjà bien établis, parents de plusieurs enfants, commencent à songer à se marier. À Parauá, le couple qui m’a hébergée (âgés de 44 et 52 ans, parents de 9 enfants), ont commencé à discuter de la possibilité de se marier pendant mes séjours. Ils ne l’ont toujours pas fait. Selon Vaz (2010) certains couples se marient sous la pression des prêtres qui les menacent de leur interdire d’être parrains et marraines s’ils ne reçoivent pas le saint-sacrement.

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