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Un sentiment d’affection

Dans le document Philosophie du soin palliatif (Page 165-168)

Chapitre I : Le soin : perspective disciplinaire

1.2 Les dimensions du « soin »

1.2.3 Un sentiment d’affection

La troisième dimension reliée à la notion du soin, telle qu’identifiée à travers la littérature infirmière, fait référence aux sentiments d’affection que l’on ressent à l’égard d’autrui : « theorists (...) described caring as an emotion, as a feeling of compassion or empathy for the patient which motivates the nurse to provide care for the patient. »50 Parmi ces

49 Watson, Nursing : Human Science and Human Care. A theory of Nursing, 1988, p. 31.

50 Morse, Bottorff, Neander & Solberg, Comparative Analysis of Conceptualizations and Theories of Caring, 1991, p. 123. Sur la notion de compassion, voir par exemple Fanslow (Compassionate Nursing Care : Is It a Lost Art?, 1987 et Roach (The Human Act of Caring. A Blueprint for the Health

Professions, 1992; Caring from the Heart. The Convergence of Caring and Spirituality, 1997); sur la notion d’empathie, consulter Baillie (Empathy in the Nurse Patient Relationship, 1995;

théoriciennes, Roach affirme que « compassion (...) is indispensable to the caring relationship. »51 Autrement dit, prendre soin d’une personne malade n’est pas que la conséquence d’une inclination naturelle ou d’une contrainte d’ordre moral. Il s’agit aussi d’un sentiment qui incite le soignant à porter une attention particulière à un individu et à ses besoins. Il s’agit surtout de considérer l’autre comme un sujet et non comme un objet, c’est-à-dire de prendre soin de l’autre avec soin, de s’occuper de l’autre avec égard et compassion. Comme l’exprime bien Griffin, le soin « may be called caring only because these acts are performed in a certain way; as the expression of particular emotions. »52 En d’autres mots, toute intervention de la part d’une personne ne peut être appelée un soin que dans la mesure où il est offert d’une façon respectueuse et dans la reconnaissance de la dignité humaine incarnée par la personne qui le reçoit.

Ainsi, prendre soin d’une personne ne serait pas véritablement un acte de « soin » si ce n’était de la manifestation d’une certaine sensibilité ou d’une bonté envers autrui. Or, la nature de cette manifestation peut varier grandement « from romantic love to parental love to friendship, from caring for one’s garden to caring about one’s work to caring for and about one’s patients. »53 II faut donc distinguer nettement le sentiment d’amour propre aux relations interpersonnelles de celui appartenant aux relations professionnelles. Alors que plusieurs théoriciennes s’accordent pour reconnaître que le soin et l’amour sont inextricablement liés,54 d’autres évitent de relier le soin à une forme quelconque d’affection par crainte, notamment, de faire preuve d’un manque de professionnalisme. Or, la notion d’amour qui est impliquée dans la relation soignante « does not mean personal liking. »55 Aristote a d’ailleurs précisé, comme nous l’avons déjà mentionné, qu’il existe plusieurs formes d’amour et qu’elles varient de la bienveillance jusqu’à

Griffin (A Philosophical Analysis of Caring in Nursing, 1983); et Olsen (Empathy as an Ethical and Philosophical Basis for Nursing, 1991).

51 Roach, The Human Act of Caring. A Blueprint for the Health Professions, 1992, p. 61. 52 Griffin, A Philosophical Analysis of Caring in Nursing, 1983, p. 291.

53 Benner et Wrubel, The Primacy of Caring. Stress and Coping in Health and Illness, 1989 , p. 1. 54 Bevis, Caring: A life force, 1988; Dunlop, Is a Science of Caring Possible? 1986; Griffin, A

Philosophical Analysis of Caring in Nursing, 1983; Lañara, Heroism as a Nursing Value. A Philosophical Perspective, 1981; Noddings, Caring : A feminine approach to ethics and moral education, 1984; Roach, The Human Act of Caring. A Blueprint for the Health Professions, 1997; Watson, Nursing : Human Science and Human Care. A theory of Nursing, 1988.

l’éros. Cette troisième dimension du soin fait donc référence à un sentiment de bienveillance, c’est-à-dire à un « commencement d’amitié »,56 plutôt qu’à un sentiment à'amour, ce qui les situe l’un par rapport à l’autre comme deux extrémités d’une même réalité. D’ailleurs, si on se réfère à la notion d’amour telle que l’a définie Aristote dans la Rhétorique : « aimer, c’est souhaiter pour quelqu’un ce que l’on croit des biens, pour lui et non pour nous, et aussi être, dans la mesure de son pouvoir, enclin à ces bienfaits. »57 Dans la mesure où aimer est rechercher le bien de l’autre, il nous semble que la notion d’amour rejoint aussi très bien le sens recherché par l’expression « prendre soin de l’autre. » Finalement, il faudrait éviter d’associer trop rapidement l’amour à ce sentiment de passion que l’on développe parfois pour une autre personne. La forme d’« amour » impliquée dans le soin de l’autre58 fait bien référence à une sorte d’affection, mais alors que sa signification première relève du domaine privé, elle se voit contenue par les balises de la relation professionnelle. C’est donc à la discipline infirmière que doit revenir la tâche d’effectuer « the translation of "love" into the public domain. »59

Quoique le soin doive être le reflet d’un sentiment, il est évident qu’il n’est pas qu’un sentiment, comme il ne peut pas plus demeurer qu’un attribut lié à la nature de l’être humain, ni seulement une vertu ou une valeur. En ce sens, il ne suffit pas de faire preuve de bienveillance pour une personne, de posséder naturellement en soi la puissance du soin ou de reconnaître au soin une valeur qui lui confère un caractère péremptoire. Si on ne fait pas la démarche d’entrer en relation avec la personne et si on ne pose pas ensuite les actes nécessaires pour répondre à ses besoins (de santé, de maladie ou dus à son cheminement vers la mort), elle ne recevra pas grand réconfort. En d’autres mots, le soin se concrétise et se vit dans son accomplissement : « caring demands that feeling be converted into behaviors and that the behaviors and feelings be accompanied by thoughts »;6° « human caring includes (...) acting. »61 Le soin prend ainsi toute sa valeur dans et par l’acte. Le soin est avant tout un mouvement vers l’autre et pour l’autre, ce

Aristote, EN, 1167a 3 Rhétorique, II, 4, 1380b.

Dunlop, Is a Science of Caring Possible? 1986; Roach, The Human Act of Caring. A Blueprint for the Health Professions, 1997.

Dunlop, Is a Science of Caring Possible? 1986, p. 663. Bevis, Caring: A life force, 1988, p. 50.

Roach, The Human Act of Caring. A Blueprint for the Health Professions, 1997, p. 15-16.

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qu’exige la notion même du prendre soin. Comme les deux prochaines dimensions du soin nous permettront de le constater, « soigner » une personne est aussi un événement procédant d’une relation et prenant parfois sa forme finale dans une intervention plus directe.

Dans le document Philosophie du soin palliatif (Page 165-168)