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Du scepticisme ou de la foi

Dans le document Philosophie du soin palliatif (Page 38-46)

1.2 Le concept de la mort : de T instant mortel à Γ au-delà

1.2.2 L’hypothèse d’une vie dans l’au-delà : la question de

1.2.2.2 Du scepticisme ou de la foi

On constate, en somme, que Platon n’a pas ménagé les efforts pour prouver l’immortalité de l’âme. Cependant, à chaque preuve présentée dans le Phédon64 ou celle de La République, le doute persiste. Quelles que soient ses preuves, il semble que la raison soit impuissante à prouver avec certitude l’immortalité de l’âme. En effet, nous ne sommes pas convaincus que l’âme naisse de la mort. La simple idée que l’âme survive à la mort ne garantit pas sa survie perpétuelle. Il faut bien admettre, par exemple, que si la jeunesse ne provient pas de la vieillesse, l’âme pourrait bien ne pas naître de la mort.65 C’est peut- être pourquoi Platon tente de démontrer que l’âme possède un caractère incorruptible puis indestructible. Mais en utilisant le monde du visible pour comprendre celui de l’invisible, Platon ne prend-il pas le risque que leurs Formes mêmes ne soient tout simplement pas comparables ?66 De plus, l’âme peut-elle, au même titre que la neige, être représentée

62Ibid., 103b.

63 La République, X, 610e.

64 De l’aveu même de Socrate, les preuves qu’il énonce dans Le Phédon ne sont pas suffisantes pour démontrer l’immortalité de l’âme : « Ce qu’on appelle "vivant", c’est cet ensemble, une âme et un corps fixé à elle, ensemble qui a reçu le nom de "mortel". Quant au qualificatif "immortel", il n’est aucun discours argumenté qui permette d’en rendre compte rationnellement. » {Phèdre, 246c). Il réitère d’ailleurs en ce sens à la fin de sa vie : « Personne, en effet, ne sait ce qu’est la mort et si elle n’est pas justement pour l’homme le plus grand des biens, et on la craint, comme si l’on était sûr que c’est le plus grand des maux. (...) Ne sachant pas suffisamment ce qui se passe dans l’Hadès, je ne pense pas non plus le savoir. » (Apologie de Socrate, 29a)

65 « If someone becomes old he must have been young before but the young people do not come from the old ones. » (Frede, The Final Proof of the Immortality of the Soul in Plato’s Phaedo 102a-

107a, 1978, p. 32.)

66 II faut cependant souligner que cette façon de procéder demeure, encore aujourd’hui, une façon très efficace, sinon la seule, pour accéder un tant soit peu à la compréhension du domaine de l’intelligible.

comme une entité ?67 Malgré la logique des raisonnements de Platon, une hésitation persiste ainsi dans notre croyance,68 et même dans la sienne,69 que l’âme est bel et bien immortelle. L’âme pourrait simplement cesser d’exister lorsque, ne pouvant plus assurer ses fonctions vitales, le corps serait soumis au processus de mort.

Il s’avère que la thèse de l’immortalité de l’âme de Platon et celles qui l’ont suivie ont souvent été l’objet de critiques sévères. Plusieurs philosophes n’ont pas craint de dénoncer les diverses croyances philosophiques ou religieuses qui, selon eux, frôlent la complaisance humaine. On les a qualifiées de n’être que des fumisteries n’ayant pour objet que de calmer nos angoisses, nous, pauvres êtres mortels. Selon Choron, David Hume, par exemple, juge la doctrine de l’immortalité « trop séduisante. Si l’homme n’avait pas tant craint la mort, il n’aurait pas tant cherché à échafauder une théorie qui lui permette de croire qu’il survivrait après sa mort. »7° Il serait donc temps de regarder la mort en face et d’assumer nos angoisses :

« La philosophie a trop contribué à masquer ce sens radical de la mort, en particulier en forgeant de prétendues preuves de l’immortalité de l’âme, au sens d’une survie sensible et temporelle, d’un passage à un autre mode de vie quasi-empirique. Il faut déchirer ce mirage de la survie, qui altère le sens de la mort comme situation-limite et "supprime le vrai mourir. (Jaspers, Philosophie, II) Assumer la mort, c’est avoir le courage critique de dire : "Il est très invraisemblable qu’il y ait une immortalité, si l’on entend par là une durée temporelle sous quelque forme sensible et empirique, en continuité de souvenir avec notre vie présente." (Jaspers, Philosophie, II) Ce courage n’est pas sans effroi, ni angoisse : l’angoisse de ne plus être empiriquement. »71

Karl Jaspers, d’ailleurs, affirme que les preuves de l’immortalité sont tout simplement « invraisemblables ». Puisqu’elles sont impossibles à cumuler, il n’est donc permis de témoigner «justement, que du caractère mortel. »72 La croyance en l’immortalité qui,

67 Frede, The Final Proof of the Immortality of the Soul in Plato’s Phaedo 102a-107a, 1978.

68 « La doctrine de l’immortalité chez Platon n’est pas une consolation pour ceux qui sont encore en vie et veulent continuer à vivre après la mort. » (Patocka, Platon et l'Europe, 1983, p. 310.)

69 Pour Platon, cependant, il ne faut pas pour autant cesser de chercher une explication rationnelle. Tout demeure susceptible d’une telle compréhension, rien ne doit échapper à la vision du philosophe.

70 Choron, La mort et la pensée occidentale, 1969, p. 117.

71 Dufrenne & Ricoeur, Karl Jaspers et la philosophie de l'existence, 1947, p. 185. 72 Jaspers, Philosophie, 1986, p. 439.

aussi office de paravent au yeux de Jaspers. Un écran qui vise à cautériser l’inévitable angoisse de l’être humain devant la mort.

Bien entendu, comme l’affirme encore Wittgenstein, on ne peut nier que « l’immortalité temporelle de l’âme humaine, c’est-à-dire son étemelle survie aussi après la mort, n’est garantie d’aucune manière. »74 Aussi, face à !’impossibilité d’assurer !’immortalité de l’âme, s’ouvre tranquillement la voie du néant. « Les conceptions de l’état de mort sont vaines », dit Jaspers. « Il ne nous parvient de l’au-delà pas la moindre expérience, pas le moindre signe. Personne n’en est revenu. C’est pourquoi certains disent : être mort, c’est n’être rien; la mort est le néant. »75 En d’autres mots, après la vie terrestre absolument rien ne survivrait. Cette perspective risque toutefois sérieusement de glisser vers un nihilisme dangereux. Elle repose sur la conviction - à caractère matérialiste - que l’âme naît avec le corps et qu’elle périt entraînée par sa mort. Or, il s’agit là d’une conviction qui peut menacer la valeur même de la vie. En effet, à quoi bon vivre si de toute façon rien ne me survit après ma mort? Pourquoi ne pas mourir dès maintenant? Pourquoi, surtout à l’approche d’une mort inévitable par une maladie débilitante ou défigurante ne pas faciliter les voies à l’euthanasie par exemple? Or, s’il est plausible que des personnes adhèrent à l’hypothèse du néant de la mort, cela ne signifie toutefois pas qu’il faille démissionner face à la vie. Et c’est là que subsiste la menace. On pourra nous accuser, ici, de postuler que la vie est un bien; et pourquoi pas? Nous n’ignorons pas qu’il existe des morts extrêmement difficiles à vivre et lourdes de souffrances insupportables parfois qualifiées d’« inhumaines ». Cependant, le soulagement de leurs souffrances ne devrait pas consister à éliminer les personnes souffrantes, mais à travailler à la recherche de mesures plus efficaces pour les soulager. Nous n’ignorons pas non plus qu’il y a des gens pour qui la vie n’est qu’un lot de malheurs et d’accablements. La solution ne consiste pas, cependant, à encourager le suicide. Croire en la perspective d’un néant dans l’au-delà ne signifie pas forcément « désir de mort». Elle représente simplement le fait que pour

73 Ibid., p. 440.

74 Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus. Suivi de Investigations philosophiques, 1993, p. 104. 75 Jaspers, Initiation à la méthode philosophique, 1966, p. 130.

certains d’entre nous, toute forme d’existence prend fin avec la mort. Après la mort, plus rien. Finie la vie!

Il reste cependant une question que l’on peut pertinemment adresser aux tenants du néant : quelle certitude avons-nous que la mort est davantage un néant qu’un accès à la vie étemelle? Bien entendu, « on ne peut pas prouver l’immortalité de l’âme. Cela ne prouve pas pour autant que cette idée soit absurde, tant il est absurde d’abord de supposer que l’âme puisse être périssable. »76 Ce n’est pas parce que nous ne pouvons obtenir une expérience sensible de l’immortalité de l’âme que nous devons conclure que la mort représente le vide absolu. Il s’agit là d’une perspective positiviste que l’on doit questionner.77 Comme l’a dit Jankélévitch, « qui sait si elle [l’âme] ne se trouvera pas à elle-même, après la mort, d’autres conditions d’existence dont nous n’avons aucune idée? »78 Aussi, il « n’est pas certain que l’homme soit immortel, mais il n’est pas certain non plus qu’il ne le soit pas. »79 On ne peut donc affirmer avec certitude que l’âme ne survit pas à l’extinction du corps humain.

Comme le pose bien Gabriel Marcel, « est-il légitime de dire que l’immortalité est ou bien un fait ou bien une simple chimère?»80 En d’autres mots, si on ne peut prouver que l’immortalité est un fait, faut-il automatiquement conclure qu’elle n’est pas du tout possible? Il semble que non. Si le cela qu’est la mort ne nous est pas accessible, nous ne pouvons que fermement conclure qu’elle est un mystère, un « pur point d’interrogation. »81 N’est-ce pas ici notre seule certitude de l’au-delà? C’est ainsi que du scepticisme face à l’immortalité de l’âme peut s’élever la foi.82 Pour être plus précis, il

76 Vergely, La morí interdite, 2001, p. 21.

77 « G. Marcel, dans l’analyse qu’il fait lui-même des situation-limites chez K. Jaspers, est sévère pour cette critique de l’immortalité sensible et temporelle où il voit une régression au "positivisme le plus grossièrement scientiste" (Du refus à l’invocation, p. 312). » (Ricoeur, Gabriel Marcel et Karl Jaspers. Philosophie du mystère et philosophie du paradoxe, 1947, p. 136s.)

78 Jankélévitch, La mort, 1977, p. 404. 79 Ibid, p. 438.

80 Marcel, Les hommes contre l'humain, 1951, p. 154.

81 Langlois dans Montheil et l’ASP 17, Mort, éthique et spiritualité, 1997, p. 8.

82 Gabriel Marcel, par exemple, dans Essai de philosophie concrète (1940) et Fragments philosophiques (1961), s’est insurgé à plus d’une reprise contre la position de Karl Jaspers : « J’ai signalé en passant la façon méprisante dont il prend parti contre toute idée d’immortalité; ne dit-il pas que c’est plutôt la mortalité qui peut être démontrée? » (1940, p. 374.); « Le problème de l’immortalité au sens religieux ne se confond absolument pas avec le problème de la survie de l’âme.» (1961, p. 78.)

faudrait plutôt mentionner que c’est ici que doit s’élever la foi. En effet, dépourvus que nous sommes d’un raisonnement étanche pouvant nous assurer que l’âme est immortelle, seul l’acte de foi peut prendre place. Selon sa religion ou sa perspective philosophique, la mort pourra prendre différents visages aux yeux du croyant. Mais les diverses perspectives, religieuses et philosophiques, sont nombreuses. Il serait donc audacieux de les représenter ici de façon exhaustive. C’est pourquoi nous choisissons plutôt de poursuivre la présentation de la pensée de Platon sur l’immortalité de l’âme qui, par sa richesse, mérite de ne pas demeurer inachevée.

Platon a d’abord démontré l’absurdité de la conséquence d’un « devenir en ligne droite ». Le philosophe fait alors l’hypothèse que la mort du corps pourrait entraîner celle de l’âme dans son sillage et il soulève la question suivante : « si tout ce qui est mort conserve ce même aspect sans jamais revenir à la vie, n’est-ce pas une nécessité absolue qu’à la fin tout soit mort, et rien ne vive ? »83 De cette façon, en présence d’une quantité définie d’âmes, le cycle mort-vie-mort en arriverait inévitablement à connaître une fin. Les âmes ne pouvant renaître de la mort finiraient par disparaître et, à leur suite, le principe même de la vie. Or, la vie ne perdure-t-elle pas depuis des millions d’années déjà ? Selon Platon, la seule possibilité que le principe de vie trouve une fin, à un moment ou à un autre, rend l’hypothèse du « devenir en ligne droite » inadmissible. Puisque le corps devient cadavre et se désintègre lorsque la mort se présente, il faut bien, pour assurer la continuité du principe de vie, que l’âme survive d’une façon ou d’une autre. La notion d’immortalité de l’âme, de son caractère étemel, semble ainsi essentielle à la continuité de la vie. L’âme ne peut être soumise à la mort. Elle est nécessaire au fonctionnement même du monde, à son existence; elle est purement et simplement principe de vie.

C’est ainsi, selon Platon, que la seule hypothèse que l’âme soit immortelle suffit à prendre nécessairement soin d’elle.84 Pour le philosophe, il est préférable de croire en l’immortalité de l’âme plutôt que de prendre le risque de ne pas y croire. C’est donc ici, à

83 Phédon, 72c-d.

84 « Si vraiment l’âme est immortelle, elle réclame certainement qu’on prenne soin d’elle non seulement pour ce temps que dure ce que nous appelons vivre, mais pour la totalité du temps, et il y aurait dès lors, semble-t-il, un risque terrible à ne pas prendre soin d’elle. » (Ibid., 107c)

la suite des preuves du Phédon et de La République, que la présentation du mythe d’Er85 prend tout son sens. Devant Γimpossibilité d’assurer à coup sûr l’immortalité de l’âme, Platon croit que ce mythe « peut nous sauver nous-mêmes si nous y ajoutons la foi. »86 II s’agit d’un mythe particulièrement riche de sens qui illustre ce qui pourrait advenir de l’âme après la mort du corps.87 Platon y illustre bien le risque de ne pas croire en l’immortalité de l’âme : ne pas y croire et agir injustement - par insouciance ou par injustice par exemple - comporte trop de conséquences fâcheuses en ce qui a trait à la vie terrestre et à la vie spirituelle future.

Devant l’absence de preuves rationnelles étanches, Platon fait clairement le choix de croire en l’immortalité de l’âme. Bien d’autres philosophes à sa suite ont d’ailleurs pris la même route. Kant, par exemple, a postulé l’immortalité de l’âme sans autre considération : l’âme doit bien toujours exister puisqu’elle précède la raison. Comme il l’a écrit, l’immortalité de l’âme « est un postulat de la raison pure pratique (par où j’entends une proposition théorique, mais qui comme telle ne peut être prouvée). »88 II ira même jusqu’à poser « la nécessité d’admettre une survie personnelle, pour que l’homme puisse satisfaire pleinement à ses obligations morales. »89 Comme Platon, Kant laisse aussi planer la possibilité de la survie de l’âme personnelle. Mais là encore, malgré l’ardeur de leurs convictions, d’autres philosophes accordent plutôt un caractère utopique à cette possibilité. Déjà Aristote, par exemple, concevait que la seule façon de participer à l’éternité individuelle consistait à « produire un autre vivant tel que lui, »9° c’est-à-dire par le biais de la reproduction.91 Et pourtant, c’est bien l’immortalité personnelle qui

85 La République, X, 6140621 d. 86 Ibid., X, 621c.

87 Ce mythe raconte le récit d’un homme, Er, originaire de Pamphilie, qui revient sur terre après avoir parcouru l’au-delà. Rapportant ce qu’il a vu du passage des âmes dans le Royaume des morts, il mentionne que pour chacune des injustices commises sur terre, les âmes recevaient des châtiments. Quant aux âmes qui avaient été justes, elles étaient récompensées. Lorsque le moment était venu de renaître à la condition de mortelle, les âmes devaient choisir elles-mêmes leur prochain modèle de vie. Or, « c’était d’après les habitudes de la vie précédente que, la plupart du temps, elles [les âmes] faisaient leur choix. » {Ibid, X, 620a.) C’est ainsi que Platon conclut qu’il importe de prendre soin de notre âme dès maintenant, puisque nous sommes les seuls maîtres de sa destinée.

88 Kant, Critique de la raison pratique, 1943, p. 132. 89 Scheler, Mort et survie, 1952, p. 79.

90 Aristote, De l’âme, II, 4, 415 a 28.

91 II s’agit de la survie de l’espèce et non de l’individu : « ce qui se conserve, ce n’est pas lui-même, mais une réalité qui lui ressemble, l’unité, non pas numérique, mais spécifique. » (Aristote, De l’âme, II, 4, 415 b 6-7)

préoccupe avant tout l’être humain qui doit mourir. En effet, il semble que la survie substantielle de l’âme soit insuffisante pour certains, sinon pour plusieurs d’entre nous. Malgré la croyance en l’immortalité de la substance spirituelle, l’homme craint surtout perdre conscience de l’âme qui lui est propre. En d’autres mots, n’est-ce pas le sort qui attend l’âme de ce corps-ci, ce corps qui est le sien, qui angoisse celui qui se retrouve face à la fin de son existence ? Le fait que nous sommes incapables de nous ressouvenir de notre existence passée, ce qui pourrait représenter une garantie de l’immortalité de notre âme personnelle, nourrit très certainement notre insécurité et nos craintes. Même si les arguments philosophiques ou religieux en faveur de l’immortalité offrent parfois un plaidoyer solide, ils n’atténuent pas toujours les peurs et le chagrin de celui qui doit mourir. Comme l’a exprimée si bien Simone de Beauvoir à la mort de sa mère,92 il semble que même la certitude de l’immortalité personnelle ne pourrait nous consoler de toute peine : « qu’on l’imagine céleste ou terrestre, l’immortalité, quand on tient à la vie, ne console pas de la mort. »

Finalement, devant la diversité des courants philosophiques et religieux, devant le caractère éminemment personnel de la foi, il faut reconnaître !’impossibilité de conclure quoi que ce soit de certain quant à la mort sinon de façon dogmatique. La mort peut bien être cette chose qui ne correspond à aucune des hypothèses soulevées jusqu’à maintenant - relevant de la croyance philosophique ou religieuse - et qui ne s’apparente pas davantage au néant. Devant l’antinomie de certaines convictions et face à !’impossibilité de fournir des preuves solides, il faut encore se résoudre à ne pouvoir recevoir les croyances et les convictions en terme de certitudes. La mort, dans son instant mortel et dans son au-delà, demeure ainsi un mystère. Il en est de même concernant le problème de l’immortalité de l’âme. Qu’il s’agisse de l’immortalité substantielle ou personnelle, certains y croient et d’autres n’y croient pas. Comment oser trancher et proposer la vérité?

« Nous touchons là à la limite de ce qu’on peut tirer de ce qui est philosophiquement observable. Je ne sais rien de plus que cette expérience intime d’un élan au-delà des limites du corps. Je n’ai pas connaissance que la personne existe après la mort, et a fortiori je ne sais rien du mode de

92 Une mort très douce,

cette existence. (...) Continue-t-elle à exister : je ne pourrai jamais le savoir. »93

« La limite est ici atteinte. Admettre que la personne existe après la mort, c’est là un pur acte de foi, et toute question concernant la modalité de la survie est a fortiori curiosité interdite et déplacée. »94

Cette incertitude nourrit à coup sûr les angoisses de la personne qui doit mourir. De plus, comme nous le verrons dans le dernier chapitre, nous pouvons déjà reconnaître que le soignant ne réussira pas toujours à rassurer la personne mourante en ce domaine. Aussi, devant cette absence de certitude face à la mort, le mot d’ordre sera de respecter de façon absolue les croyances de l’autre. Face à la personne croyant en l’immortalité, par exemple, c’est à Cicéron qu’il faut accorder le dernier mot à ce sujet : « Me trompé-je en croyant les âmes humaines immortelles, eh bien! c’est une illusion qui me plaît, que j’aime et que je ne voudrais pas qui me fût ravie de mon vivant. »95 II ne revient donc à personne, surtout à l’heure de la mort, de rejeter ou de forcer quelque croyance que ce soit.

Si l’inaccessibilité de la mort conduit à notre ignorance, nous sommes peut-être en mesure d’en connaître davantage du mourir. Le mourir n’est pas la mort. Il existe une

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