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Une obligation morale

Dans le document Philosophie du soin palliatif (Page 163-165)

Chapitre I : Le soin : perspective disciplinaire

1.2 Les dimensions du « soin »

1.2.2 Une obligation morale

Selon la seconde dimension identifiée par Morse et collaboratrices,42 le soin représente soit une valeur, soit une vertu. Comme nous le verrons, c’est en raison de ces deux considérations que le soin acquiert un caractère d,obligation morale.

Lorsque le soin est reconnu comme étant une valeur,4î on lui confère les caractères de « vrai », de « beau » et de « bien, selon des critères personnels ou sociaux », en plus de servir « de référence, de principe moral. »44 Ainsi, identifié comme une valeur fondamentale, le soin devient du même coup un idéal à poursuivre : « caring (...) is the moral ideal of nursing. »45 Devant une personne malade, devant une personne qui souffre, la nécessité de prendre soin de l’autre est sans équivoque, tout simplement parce que

c’est ce qu’il convient moralement de faire. Pour l’individu qui prend soin, il s’agit d’une * * * * * *

Roach, The Human Act of Caring. A Blueprint for the Health Professions, 1997, p. 16. Paley, Heidegger and the ethics of care, 2000, p. 66.

Concepts of Caring and Caring as a Concept, 1990; Comparative Analysis of Conceptualizations and Theories of Caring, 1991.

Fry, Toward a Theory of Nursing Ethics, 1989; Gadow, Nurse and Patient : The Caring Relationships, 1985; Tanner, Caring as a Value in Nursing Education, 1990; Watson, Nursing : Human Science and Human Care. A theory of Nursing, 1988.

Larousse, 1997.

Watson, Nursing : Human Science and Human Care. A theory of Nursing, 1988, p. 39.

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obligation qui va de soi. Conçu à titre de valeur, le soin correspond à un objectif à atteindre; bien qu’il puisse être intégré, il se situe d’abord hors de la personne. Dans sa pratique infirmière, par exemple, la personne vise l’idéal qu’est le bon soin.

Sous l’angle de la vertu,46 le soin est plutôt intrinsèque à la personne. C’est parce que le soin se manifeste dans les actes quotidiens d’une personne, d’une infirmière, qu’on lui reconnaît posséder la vertu du soin. Cette conception ne signifie cependant pas que la faculté de prendre soin se manifeste naturellement chez chaque personne, mais plutôt, comme toutes les vertus, que « la nature nous a donné la capacité de les recevoir, et cette capacité est amenée à maturité par l’habitude. »47 Dit autrement, la vertu, dans ce cas-ci le soin, est « an acquired habit or disposition to do what is morally right or praiseworthy, to act in accordance with morals, principles, ideals or rules. »48 Aussi, dès que l’être humain possède en lui la vertu du soin, il ressent nécessairement, devant une personne dans le besoin, l’impératif moral de prendre soin de cette personne. Non parce qu’il s’agit d’un idéal à poursuivre, mais parce que prendre soin est, chez cet individu, une habitude solidement ancrée. Cette conception du soin rend ainsi impossible d’envisager le soin uniquement, tel nous l’avons vu dans la première dimension, comme une caractéristique inhérente à tout être humain. Défini à titre de vertu, le soin s’avère plutôt être une disposition développée au fil du temps, acquise à force de répétition. Le soin est un « habitus ».

Enfin, que le soin soit qualifié de valeur ou de vertu, il demeure qu’un objectif moral est visé dans !’inclination à prendre soin. En d’autres mots, la propension à soigner est ressentie parce qu’il est moralement souhaitable et nécessaire de prendre soin de l’autre, que cet appel provienne d’un idéal ou d’une habitude recherchée. Cependant, ne serait-il pas à propos de se demander d’où provient cet impératif de prendre soin? Si l’argent est une valeur pour certains, nous ne sommes pas pour autant moralement obligé d’obtenir sans fin de l’argent. Alors pourquoi est-il moralement souhaitable et nécessaire de toujours prendre soin de l’autre? La question première ne devrait-elle pas être la

46 Brody, Virtue Ethics, Caring and Nursing, 1988; Knowlden, The Virtue of Caring in Nursing, 1990; Noddings, Caring : A feminine approach to ethics and moral education, 1984.

47 Aristote, EN, II, 1, 1103a, 24-25. 48 Beauchamp et Childress, 1983, p. 261.

suivante : pourquoi le soin est-il une valeur et une vertu? Mentionnons, pour le moment, que ce questionnement fera l’objet de nos réflexions dans le chapitre suivant et que la piste que nous poursuivrons sera celle de Lévinas : le « prendre soin » est une obligation morale parce qu’il y va de notre responsabilité humaine - c’est-à-dire qui incombe à chacun d’entre nous - de prendre soin de l’autre en raison du simple fait qu’il est humain. Avant de procéder à la présentation de la prochaine dimension du soin, soulignons que le fait de considérer le soin en tant qu’obligation morale ne permet pas à lui seul de saisir le sens complet du soin. Comme l’exprime bien Jean Watson, infirmière théoricienne, « a nurse may perform actions toward a patient out of a sense of duty or moral obligation, and would be an ethical nurse. Yet it may be false to say he or she cared about the patient. »49 C’est ainsi que l’on comprend que « prendre soin » d’une personne ne peut relever de la seule perception d’une obligation envers l’autre. Il faut reconnaître au soin qu’il est aussi un « sentiment d’affection » dirigé vers l’autre. D’ailleurs, parmi toutes les autres dimensions du soin, la dimension du « sentiment d’affection » est celle qui permet d’assurer la pleine reconnaissance et le plein respect de l’humanité de celui qui fait face au soignant. Elle est celle qui trace la cloison qui distingue le fait de prendre soin d’un objet (comme on prend soin de la présentation d’un travail ou de notre voiture) du fait de prendre soin d’un sujet (c’est-à-dire d’un enfant, d’un ami, d’une personne malade).

Dans le document Philosophie du soin palliatif (Page 163-165)