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Une relation interpersonnelle

Dans le document Philosophie du soin palliatif (Page 168-171)

Chapitre I : Le soin : perspective disciplinaire

1.2 Les dimensions du « soin »

1.2.4 Une relation interpersonnelle

La quatrième dimension du soin identifiée par Morse et collaboratrices62 est à l’effet que le soin est en grande partie une relation (ou une interaction63) qui s’établit entre deux individus. Les infirmières conçoivent, notamment, que « inherent in the nature of nursing is man’s relationship to other man »64 ou, encore, que le soin est « a subject-to-subject- interrelationship, a loving, true presence with the other to promote health and the quality of life. »65

Précisons que de toute évidence, il serait inconcevable de « prendre » soin d’une personne sans qu’il y ait un minimum de contact entre le patient et le soignant. Mais en plus, il semble que si le soin est relation, c’est bien parce qu’au départ l’être humain doit être considéré dans sa dimension relationnelle. Ce constat nous apparaît fondamental dans la mesure où nous avons postulé que le concept du soin doit prendre forme d’après la conception de la personne que l’on soigne. C’est pourquoi la notion de « relation » est sous-jacente à toute notion de soin.

62 Concepts of Caring and Caring as a Concept, 1990, Comparative Analysis of Conceptualizations and Theories of Caring, 1991. Voir par exemple les théoriciennes Benner et Wrubel, The Primacy of Caring. Stress and Coping in Health and Illness, 1989; Clarke et Wheeler, A View of the Phenomenon of Caring in Nursing Practice, 1992; Mayeroff, On caring, 1971; Parse, Man-Living-Health : A Theory of Nursing, 1981; Parse, The human becoming school of thought : A perspective for nurses and other health

professionals, 1998; Paterson et Zderad, Humanistic Nursing, 1988; Peplau, Les relations

interpersonnelles en soins infirmiers 1995; Pollack-Latham, Clarification of the Unique Role of Caring in Nurse-Patient Relationships, 1991; Watson, Nursing : Human Science and Human Care. A theory of Nursing, 1988.

63 Précisons que l’idée de la relation n’est pas synonyme de celle de !’interaction. Par exemple, avant d’interagir avec une personne, il faut d’abord entrer en relation avec elle. Toutefois, nous ne

maintiendrons pas de distinction précise à ce sujet puisque, dans la littérature infirmière, l’un et l’autre des termes sont souvent utilisés de façon interchangeable. Par exemple, alors que la théorie de Peplau s’appuie sur la conception que le soin est une « relation interpersonnelle », elle est intégrée aux théories de Y École de l’interaction.

64 Paterson, From a Philosophy of Clinical Nursing to a Method of Nursology, 1971, p. 143. 65 Parse, Nursing Science. Major Paradigms, Theories, and Critiques, 1987, p. 169.

En outre, en raison de l’importance qu’elles accordaient à l’idée de la relation dans leur conception du soin, certaines théoriciennes sont d’ailleurs regroupées sous le libellé suivant : Y École de l’interaction. Parmi elles, Paterson et Zderad ont d’ailleurs clairement défini l’être humain à partir de la notion de relation. Ainsi, « existentially, man is an incarnate being always becoming in relation with men and things in a world of time and space. »66 En d’autres mots, la personne est un être qui existe dans le monde et qui se définit par le biais des relations qu’elle entretient avec le monde. Aussi, dans le même ordre d’idées, Paterson et Zderad affirment que le soin est une des formes de relation par lequel l’être vit et se construit. Selon leurs termes, le soin « involves one human being helping another»;67 il est « an experience lived between human beings »,68 « an interhuman event »69 qui mène éventuellement à un processus de « transaction intersubjective » ou, dit autrement, à un dialogue.70 La relation soignante est ainsi une expérience qui s’insère dans l’existence de deux êtres humains, un patient et une infirmière, c’est-à-dire là où un existant entre en relation avec un autre existant. Ainsi, le fait de « prendre soin » influencera non seulement le devenir de la personne soignée, mais aussi celui de l’infirmière.71 Néanmoins, prenons encore une fois la peine de souligner qu’il ne faudrait pas perdre de vue que la finalité du soin doit demeurer la personne soignée, non le soignant. Si pour Paterson et Zderad le « prendre soin » n’échappe pas à la construction du devenir de l’infirmière, il reste qu’elles font ressortir que l’objectif particulier de cette rencontre consiste à mener au bien-être et au plus-être de la personne malade.

66 Paterson et Zderad, Humanistic Nursing, 1988, p. 18. Mais encore, « every man is inserted into the common world of men and things through his own unique body. Through it he affects the world and the world affects him. Through it he develops his own unique personal private world.» (Paterson & Zderad,

1976, p. 19).

67 Paterson et Zderad, Humanistic Nursing, 1976, p. 12. 68 Paterson et Zderad, Humanistic Nursing, 1988, p. 3. 69 Ibid,p. 12.

70 « The term "dialogue" (...) is used in the existential sense. It implies an "ontological sphere," in Buber’s terms, or the "realm of being" to which Marcel refers. Here it refers to a lived dialogue, that is, to a particular form of intersubjective relating. This may be understood in terms of seeing the other person as a distinct unique individual and entering into relation with him. In other words, nursing is a dialogical mode of being in an intersubjective situation. » (Paterson et Zderad, Humanistic Nursing, 1976, p. 25.) 71 « As Martin Buber and Gabriel Marcel maintain, it is actually through his relations with other men that a

man becomes, that his unique individuality is actualized. » (Paterson et Zderad, Humanistic Nursing, 1988, p. 15.)

Ainsi, le soin est « relation » pour la personne malade. Comme le précise Van der Brüggen, si « l’infirmière et le malade sont en interaction dans un même champ phénoménal », si « ils partagent la même angoisse, qu’ils vivent chacun de leur côté », il faut reconnaître et ne surtout pas négliger le fait précis que « le soignant fait partie du monde du malade, mais en même temps s’en distancie. »72 Et cette distance est ce qui donne le recul nécessaire au soignant pour percevoir les besoins du patient et identifier les interventions les plus appropriées pour prendre soin de cette personne. Comme le mentionne Meleis, il est reconnu que « interaction is the major tool by which nurses assess client’s needs and resources, and it is also a central tool in providing nursing therapeutics. »73 Aussi, bien que l’idée de la relation (de !’interaction) est un constituant fondamental de la notion du soin, il s’avère que la relation est à la fois un « outil » indispensable pour le soin infirmier.

Or, avant de terminer sur ce point, il est important de préciser qu’entrer en relation avec l’autre, « intervenir dans l’existence de quelqu’un, cela ne se fait pas n’importe comment, surtout pas dans l’être-malade, situation délicate où le sujet, livré à lui-même, peut être très vulnérable. Faire partie du monde d’un malade, cela s’apprend. »74 La relation soignante est donc un outil qui exige que l’on porte une attention particulière à la personne qui nous fait face. En d’autres mots, elle requiert qu’on agisse dans le respect qui est dû à tout être humain, en vertu de sa dignité, tout en considérant la particularité de son existence qui se trouve modulée par la maladie ou bouleversée par l’annonce d’une mort qui arrive souvent trop tôt. La relation soignante est le lieu d’un contact intime entre deux êtres humains. Elle est un privilège qui donne au soignant un accès peu commun à l’existence de l’autre, à son corps, à ses pensées, à son monde affectif. Aussi, entrer en relation, « intervenir dans l’existence » de l’autre doit être conforme aux règles de l’art et de l’éthique, c’est-à-dire aux règles qui régissent l’agir entre les êtres humains.

72 Van der Brüggen, Ce malade qui existe, 1977, p. 128.

73 Meleis, Theoretical Nursing : Development & Progress, 1997, p. 110. Meleis mentionne à titre d'exemples les travaux des infirmières suivantes: Orlando, The Dynamic nurse-patient relationship, 1961; Wiedenbach, The helping art of nursing, 1963; King, A Theory for Nursing: Systems, Concepts, Process, 1981; Travelbee, Interpersonal aspects of nursing, 1971; Paterson & Zderad, Humanistic Nursing, 1976.

Il est clair que nous reviendrons sur ce point dans le chapitre suivant. En effet, on constate que l’essence du soin comporte assurément une dimension relationnelle. Déjà, nous entrevoyons que la pensée de Lévinas saura encore une fois enrichir notre réflexion en ce sens. Mais d’abord, il reste à exposer la dernière dimension qui définit le soin : celle de !’intervention. Si entrer en relation avec une personne peut répondre en soi à un besoin de soin, il demeure qu’en d’autres moments le soin exigera d’effectuer les interventions nécessaires comme, par exemple, assister la personne dans la réalisation de ses soins personnels, stabiliser et traiter sa maladie, lui transmettre les informations utiles au rétablissement de sa santé et de sa qualité de vie, etc.

Dans le document Philosophie du soin palliatif (Page 168-171)