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Un mystère

Dans le document Philosophie du soin palliatif (Page 31-35)

1.2 Le concept de la mort : de T instant mortel à Γ au-delà

1.2.1 Les évidences

1.2.1.3 Un mystère

La compréhension de la mort n’est concevable ni par la pensée et encore moins sous le mode de l’expérience.35 Il nous est donc impossible de discerner et de ressentir ce qu’elle

32 Morin, L’homme et la mort, 1970, p. 41. 33 Devant la mort, Iere Tusculane, 1996, p. 44. 34 Nagel, Questions mortelles, 1983, p. 20.

35 « Ma naissance et ma mort ne peuvent être pour moi des objets de pensée. (...) Je me sens voué à un flux de vie inépuisable dont je ne puis penser ni le commencement ni la fin, puisque c’est encore moi vivant qui les pense. » (Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, 1945, p. 418.) « Nous sommes désarmés, tout nus devant la mort. Elle n’offre aucune prise puisqu’elle est hors de portée, au-delà des

est réellement en vue de nous y préparer. Celui qui a frôlé la mort ou qui affirme en être revenu a bien tenté d’expliquer la mort, mais a-t-il vraiment connu la mort? En effet, tant que persiste une forme de vie, il semble que la mort est un événement simplement inaccessible : «je ne peux éprouver ma propre mort car je ne peux, simultanément, être, et éprouver le non-être » 36; « tant queje suis, ma mort n’est pas, et quand ma mort est, je ne suis plus. »37 Ma mort ne me sera accessible que lorsque je la vivrai et alors, peut-être, pourrais-je en savoir quelque chose.

L’être humain a bien tenté de percer les secrets de la mort en observant rigoureusement l’autre au seuil du trépas. Comme l’a dit Sartre, « nous ne connaîtrions pas cette mort, si l’autre n’existait pas »38 ; c’est bien parce que je vois les autres mourir que je sais à l’avance que je mourrai. Cependant, malgré tous nos efforts, notre ignorance persiste toujours :

« Je ne saurais ni découvrir ma mort, ni l’attendre ni prendre une attitude envers elle, car elle est ce qui se révèle comme Pindécouvrable. »39

« À mesurer la mort, on ne mesure que l’ignorance humaine (...) : la mort est peut-être immortalité, peut-être sommeil, peut-être néant. »4°

« Depuis qu’il y a des hommes, et qui meurent, c’est-à-dire depuis l’origine des temps, comment le secret n’a-t-il pas fini par s’ébruiter? À la longue, à force de passer à la limite, les vivants-mourants devraient finir par se douter de quelque chose (...). Mais non, nous ne saurons rien. Rien. Quand on pense à quel point la mort est familière, et combien totale est notre ignorance, et qu’il n’y a jamais eu aucune fuite, on doit avouer que le secret est bien gardé! »41

Malgré tout le travail de réflexion approfondie des philosophes pour tenter de saisir la mort, même juste un peu, ces derniers sont nombreux à concéder que la mort est

bornes de Γentendement et de l’expérience. On ne sait rien de sa propre mort car s’imaginer mort, c’est encore s’éprouver vivant. » (Thomas, Mort et pouvoir, 1978, p. 16.)

36 Kroy, Les paradoxes phénoménologiques de la mort, 1982, p. 534. 37 Jaspers, Philosophie, 1986, p. 439.

38 L’être et le néant, 1943, p. 590.

39 Sartre, L'être et le néant. Essai d’ontologie phénoménologique, 1943, p. 590. 40 Morin, L'homme et la mort, 1970, p. 268.

finalement un mystère.42 Elle répond d’ailleurs à ce trait caractéristique de tout mystère qui consiste, comme le précise Gabriel Marcel, à « n’être pas tout entier devant moi. »43 En d’autres mots, la mort est insaisissable parce que nous n’avons pas accès à son apparaître. L’instant de la mort, tout comme l’au-delà de la mort, sont des concepts opaques et obscurs qui confrontent l’être humain à l’ignorance de son devenir. La mort est dès lors synonyme d’inconnue. Elle pourrait bien être le lieu de réjouissances, de peines ou simplement le néant. Aussi, l’être humain ne sait pas comment se préparer pour l’au-delà. Il ne peut calmer ses appréhensions. C’est pourquoi, probablement, « nous préférons comme Hamlet cette existence connue à l’existence inconnue »44 qu’est la mort. Aussi, dans la mesure où nous choisissons de préférer la vie terrestre, la mort devient une source d’angoisse. L’être humain doit apprendre à supporter cette menace toujours imminente. En fait, « l’étemelle imminence de la mort »45 est bien ce qui crée son effet menaçant. L’être humain possède toujours le loisir de jouer la comédie et de nier la réalité de sa mort dans l’immédiat46, mais il devra, un jour ou l’autre, faire face à ce mystère qui sera le sien.

Pour le soignant, cela signifie d’abord qu’accompagner l’autre vers la mort ne lui montre rien de sa propre mort sinon que le mystère persiste. Il voit bien comment se déroulent les étapes qui précèdent la mort, mais rien de ce qu’est la mort en soi ne lui est révélé. Aussi, il ne pourra offrir aucune réponse de cet ordre à ces autres personnes dont il prendra soin; impossible d’apporter quelque réconfort certain en ce sens. C’est ici que se constatent et s’affirment l’impuissance du mourant devant sa mort et celle du soignant dans son accompagnement.

En somme, il est plausible de reconnaître au moins trois certitudes concernant la mort. Elle est d’abord un événement qui dépend et qui découle du cours naturel de la vie

42 « Je ne saurais ni découvrir ma mort, ni l’attendre ni prendre une attitude envers elle, car elle est ce qui se révèle comme l’indécouvrable. » (Sartre, L’être et le néant. Essai d’ontologie phénoménologique, 1943, 590.); « Nous savons que nous mourrons. De la mort comme état, nous ne savons rien. » (Jaspers, Initiation à la méthode philosophique, 1966, p. 137.); « L’inconnu de la mort signifie que la relation même avec la mort ne peut se faire dans la lumière; que le sujet est en relation avec ce qui ne vient pas de lui. Nous pourrions dire qu’il est en relation avec le mystère. » (Lévinas, TA, 1983, p 56.)

43 Marcel, Essai de philosophie concrète, 1940, p. 108. 44 Lévinas, TA, 1996, p. 66.

45Ibid, p.61.

biologique. Ensuite, elle marque définitivement la fin de l’existence terrestre de l’être humain, de cet être-ci, de sorte que la mort représentera une privation de cette vie-ci. Finalement, la réelle manifestation de l’instant de la mort et de son au-delà demeurent un mystère total et inaccessible à la compréhension humaine.

Néanmoins, même si on constate que la mort ne se donne pas à l’apparaître, elle prend souvent forme sur la base de profondes croyances qui reposent sur la foi religieuse ou philosophique et qui peuvent se convertir en convictions. Ces croyances sont cependant variées. En effet, malgré le recul, malgré les années qui passent et les réflexions les plus approfondies qui soient, on ne s’entend toujours pas d’une façon unanime pour affirmer ce qu’il advient de l’être humain une fois départi de sa chair. Tenter d’exposer l’ensemble de ces diverses représentations risquerait d’être réducteur face à la profondeur de chacune d’elles. Aussi, avons-nous fait le choix de poser notre regard sur la notion centrale qui les relie et qui les distingue, c’est-à-dire le problème de l’immortalité de l’âme humaine. En effet, l’immortalité de l’âme est d’abord au cœur de différentes perspectives concernant la mort. On retrouve « d’une part le salut personnel, le dieu qui sauve concrètement de la mort et donne à l’individu !’immortalité de son être total; d’autre part le salut cosmique où soit l’âme, soit l’esprit humain peuvent espérer trouver une sorte d’immortalité dans la fusion avec la divinité cosmique, et enfin le scepticisme, l’athéisme. »47 En d’autres mots, il existe trois positions différentes concernant l’immortalité de l’âme. Premièrement, il est possible de ne croire aucunement en l’immortalité de l’âme. La mort correspond alors au néant absolu, la mort n’est rien. Rien de l’âme alors ne subsiste après l’instant de la mort. Ensuite, la croyance en Y immortalité personnelle de l’âme humaine laisse place à diverses conceptions de la mort : la mort pourrait être le lieu de la vie étemelle (par la résurrection) ou le début d’une vie nouvelle (par la réincarnation). Finalement, l’éventualité de 1 "immortalité cosmique de l’âme pourrait renforcer l’idée platonicienne que la mort est le lieu où les âmes ont enfin accès à la vérité48 ou, selon un autre ordre d’idées, que la mort est effectivement le lieu du pouvoir générateur de la vie. Chacune de

47 Morin, L’homme et la mort, 1970, p. 206.

48 « Quand nous nous serons purifiés en nous débarrassant de la folie du corps, nous serons en contact avec les choses pures. » {Phédon, 36.)

ces conceptions auront un effet considérable sur le mourir des individus à l’approche de la mort.

La question est donc posée : mon âme est-elle susceptible de survivre à la mort de mon être charnel de façon à ce qu’une forme quelconque de vie puisse perdurer? En d’autres mots, l’immortalité de l’âme dans l’au-delà qu’est la mort est-elle possible? Il s’agit d’une question fondamentale pour toute personne, particulièrement pour celle au seuil de sa mort, qui mérite d’être exposée dans le cadre de cette thèse.

1.2.2 L’hypothèse d’une vie dans l’au-delà : la question de !’immortalité de

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