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TERRITORIAL AU MALI

L’EUPHORIE DE DEVELOPPER LES TERRITOIRES A L’EPREUVE DES REFORMES DE LA DECENTRALISATION AU MALI

IV. L’approche territoriale du développement durable dans la perspective de décentralisation et de coopération décentralisée

2. La sensibilisation des populations

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la diversité ethnique et sociale79. Ces équipes devaient combler en amont le vide, discuter avec les proximités pour mettre des structures transitoires appelées collèges transitoires d’arrondissement. En pratique, des commissions ont été mises en place pour animer, sensibiliser les fractions et villages afin de mener à bien, la volonté de l’Etat en vue de créer les communes.

Au niveau national l’Etat a mis en place les G R E M et G L E M (Groupes d’Etude et

de Mobilisation dans chaque Région) en tant qu’instruments techniques de la décentralisation.

Ils constituent aussi les supports matériels en matière de communication et de sensibilisation sur les formes institutionnelles de la décentralisation. Ces groupes sont constitués des éléments informels d’hommes et des femmes servant l’information et la mobilisation de masse autour des enjeux de la décentralisation et de développement territorial. L’objectif est de mobiliser les acteurs dans un processus de construction commune (la décentralisation) afin que chacun comprenne la décentralisation et que la mise en place des structures ait lieu. Dans ce volet, il convient d’évoquer en premier lieu les démarches de l’administration transitoire puis, une étude s’effectue sur la mise en place des communes. Enfin, nous terminons par l’étude du fonctionnement des nouvelles communes mises en place.

1. Les premières démarches de l’administration transitoire.

Le processus de décentralisation a préalablement débuté par la sensibilisation des populations et la mise en place des cellules administratives transitoires que nous examinerons tour à tour.

2. La sensibilisation des populations.

C’est l’épreuve qui a permis aux populations de prendre conscience de leurs devoirs et rôles puis, de jouer dans ce processus de mise en place des structures locales. En Afrique, dans les processus des réformes institutionnelles (démocratisation, décentralisation…), les concepts exogènes sont des instruments qui posent problème. Les concepts exogènes sont difficilement perçus par les populations locales. C’est ce que Magassa Hamidou (1997) montre sur le cas de la décentralisation malienne qui n’avait pas été bien comprise au départ par les populations locales80. Dans la région de Kayes, le processus de sensibilisation avait débuté par la question de savoir avant tout ce processus sur le partage des pouvoirs. La décentralisation comme nouvelle forme de gestion et l’administration locale gérée par les populations locales peut-il

79- Mémoire de Sanogo (Mamadou) : Bilan et perspective de la décentralisation au Mali, ENA Bamako 1994.

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substituer l’ancien système de l’administration et le pouvoir des chefs de villages et leurs conseillers ? Cette question était posée sur l’ensemble du territoire national81.

La sensibilisation de la décentralisation par l’Etat a créé des inquiétudes auprès des populations sédentaires et nomades. Ce premier contact entre populations et pouvoir public sur la question de partage du pouvoir avait créé des inquiétudes (les chefs traditionnels

avaient peur de perdre leur pouvoir autochtone au profit des autres couches sociales) dans ce

processus des réformes institutionnelles de la décentralisation. Les populations locales s’attachent d’une part à défendre l’ancien système de gestion du pouvoir traditionnel tenu par les autochtones et d’autre part, les couches sociales moins représentées s’intéressaient à la nouvelle administration décentralisée (une opportunité de changement du statut social). Dans ce début de sensibilisation de la population locale, certains avaient du mal à dissocier décentralisation comme nouveau cadre de gestion du pouvoir et l’ancien pouvoir local exercé par les chefferies traditionnelles.

Pourquoi les populations locales sont-elles confrontées à des difficultés d’incompréhension de la décentralisation ? Aux yeux des populations locales, il est difficile de dissocier le statut social des horons (nobles) à celui des castes ou descendants des captifs. Le concept de décentralisation était un instrument non familier et est exogène pour les populations qui avaient du mal à distinguer le pouvoir pour tous (décentralisation) et le pouvoir traditionnel exercé par les chefferies. Au Mali en général et, dans la région de Kayes en particulier, l’organisation de la société est fondée sur des bases traditionnelles hiérarchisées et régie par le pouvoir des nobles. Avec la décentralisation, chaque hiérarchie sociale se positionne et se définie dans la nouvelle organisation du territoire. La décentralisation comme solution aux multiples problèmes va ouvrir des conflits sociopolitiques sur ce chantier d’organisation du territoire et de développement. Le cas de la commune rurale de Maréna Diombougou constitue un exemple sur son projet de développement intégré. Lors de nos observations du 29 juillet 2013 au foyer des migrants à Montreuil, le village avait organisé une rencontre pour réconcilier les ressortissants. Cette rencontre est intervenue à la suite des conflits socioéconomiques autour des enjeux de décentralisation (les autochtones ont du mal à

être dirigés par les descendants des captifs et la crise de confiance sur la gestion des projets villageois…). Il s’agit des conflits entre les classes sociales traditionnelles ou entre les

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chefferies et les descendants des castes (qui voient la décentralisation comme une opportunité

à saisir et un moyen de liberté). Mais, cette façon de voir la décentralisation ne s’était pas

produite dans certaines communes. Le maire de la commune de Tambakara disait que : « ici,

tout le monde porte la confiance sur moi pour la bonne gestion de la commune et en tant que président du PADDY, je continue à avoir la même confiance avec nos partenaires de la ville de Montreuil »82. Le processus des réformes de la décentralisation dépend de la méthode de sensibilisation auprès des acteurs. Si ce processus de sensibilisation a bien marché pour certaines collectivités, elle n’a pas bien fonctionné pour d’autres collectivités territoriales. Les conflits sociaux sont engendrés par la décentralisation sont directement liés à la sensibilisation.

Dans ce processus des réformes institutionnelles, la sensibilisation doit jouer un rôle capital pour que les populations et les élus comprennent d’avantage le concept de décentralisation et les programmes de développement qui l’accompagnent. En matière de gestion du territoire par les populations eux-mêmes, leurs prétentions sont liées au développement immédiat de leurs localités et un attachement réel au pouvoir exercé par les chefferies depuis le temps des empires précoloniaux. La mission de décentralisation qui est la maîtresse d’œuvre de l’opération de sensibilisation s’est dotée d’un certain nombre d’outils opérationnels. Ces instruments incarnent la bonne interprétation de l’enjeu de décentralisation. Parmi ces instruments de sensibilisation, on peut retenir les structures suivantes :

-les Groupes Régionaux d’Etudes et de Mobilisation (G R E M) institués au niveau de chaque Région

-les Groupes Locaux d’Etude et de Mobilisation (G L E M) institués au niveau de chaque Cercle (département en France)

- les Groupes d’Arrondissement d’Etude et de Mobilisation (G A E M) institués dans chaque canton

Ces différents groupes sont composés des personnes ressources de l’Etat et les responsables locaux. Ils sont formés pour la pertinence de la sensibilisation et les priorités des critères du découpage territorial.

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La sensibilisation sur la décentralisation s’est effectuée autour des notions « mara ka segi so

et de yèreta » traduit en langue bambara du terroir.83 Parmi ces notions, le premier terme «

mara ka segi so » voudrait exprimer l’idée d’un retour du pouvoir à la base, la seconde

« yèreta » signifie se prendre en charge.

La compréhension et les interprétations qui ont été faites autour de ces deux notions évoquent les éléments suivants :

- une délivrance d’une tutelle quelconque, une libération, une indépendance ;

- la possibilité de faire ce que les intéressés jugent pertinent pour leur bien-être collectif et individuel sans l’interférence d’aucune autorité extérieure ;

- la possibilité de déterminer avec qui collaborer et dans quelles conditions.

La décentralisation contient alors une multitude de possibilités. C’est un concept traduit dans la langue nationale ayant un effet positif dans la sensibilisation des populations locales. L’objectif est d’informer les populations aux contenus de l’enjeu de décentralisation :

se gérer soi-même c’est à dire être géré par des personnes du terroir avec lesquelles l’on vit le même quotidien et partage le même destin collectif. Cette décentralisation est venue à bout de certaines inquiétudes des populations. Avec la sensibilisation, la décentralisation est

aujourd’hui comprise comme étant la prise en charge par les populations elles-mêmes. C’est un contexte qui a fait bousculer l’idéologie de l’ancien système de gestion, puis cela a amoindris la représentation de différents statuts sociaux (nobles, castes, captifs…). Avec l’effort de la mobilisation permanente, les populations ont commencé à prendre conscience de leurs rôles et de leurs devoirs.

Quant aux difficultés persistantes sur le terrain, les populations locales inspirent le retour d’un programme économique et l’équité face au nouveau pouvoir décentralisé entre les différentes couches sociales de tout le pays. On voit le même programme dans d’autres régions qui ont un statut spécial dans la décentralisation. C’est le cas des régions du nord dans le Pacte national. C’est dans ce souci prioritaire de mieux gérer ces programmes et projets de développement territorial, qu’interviennent les associations et O N G comme acteurs incontournables pour l’instauration des communes. Ils vont pouvoir accomplir un rôle économique et social car, ils ont pris en compte les aspirations et essayé de faire avancer les

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actions dans l’intérêt de tous. Pour une population quasiment illettrée, la sensibilisation n’a pas fourni tous les éléments nécessaires, au moyen desquels la décentralisation ne doit pas se confondre avec l’idéologie de la hiérarchie sociale. Cela va de pair qu’avec les programmes de développement territorial proposés aux localités concernés. Les populations locales s’intéressent peu à l’enjeu de construire la démocratie locale par la participation. Dans ce processus de sensibilisation, aucune interprétation réelle des concepts liés au développement durable n’a permis aux populations d’appréhender l’enjeu de décentralisation.

En quoi la décentralisation au Mali est difficilement appropriée par les populations, quant à la gestion et au partage du pouvoir (face à la hiérarchisation des couches sociales)? La décentralisation au Mali est dans le dilemme. Autrement dit, elle se situe entre libre administration et pouvoirs traditionnels. Cette situation montre que les populations locales ont toujours du mal à distinguer pouvoir traditionnel et pluralisme politique local occasionnés par la décentralisation. Dans cette perspective, on peut affirmer que la sensibilisation de la décentralisation a fait défaut sur l’usage des concepts exogènes (qu’il s’agit des notions

méconnues par les populations sur place). Elle n’a pas fourni toutes les interprétations

spécifiques de l’enjeu de décentralisation. C’est une opération qui est allée vite sans gommer toutes les failles et prendre les mesures nécessaires et participatives.

La sensibilisation de la décentralisation a été un déficit que l’Etat malien, les bailleurs de fonds et les partenaires techniques de la coopération internationale reconnaissent sa faiblesse. Nous avons une minorité d’acteurs (les élus, les personnes ressources…) qui s’approprie de l’enjeu de décentralisation et communiquent insuffisamment envers les bénéficiaires (les populations locales). Dans les conventions de partenariats entre collectivités locales, le même scénario se répète sans prendre en compte tous les enjeux qui se trouvent au fond. Un programme de développement est difficilement perçu par les populations locales qui ne savent ni lire ni écrire. La sensibilisation poussée auprès des populations locales permet d’apporter tous les renseignements nécessaires pour que la participation soit pleinement à son élaboration. Cette sensibilisation de la décentralisation malienne a duré pendant une longue période (six mois environ et voir plus). Au bout de cette opération, il a été demandé aux populations de se concerter afin de déterminer le nombre de villages qui souhaitent être regroupés devant former les futures communes.

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