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Les perspectives avant l’indépendance de 1960 : héritage et parcours des anciens empires précoloniaux

TERRITORIAL AU MALI

L’EUPHORIE DE DEVELOPPER LES TERRITOIRES A L’EPREUVE DES REFORMES DE LA DECENTRALISATION AU MALI

IV. L’approche territoriale du développement durable dans la perspective de décentralisation et de coopération décentralisée

2. Les perspectives avant l’indépendance de 1960 : héritage et parcours des anciens empires précoloniaux

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sociétés. C’est ainsi que le Maire de Diéma (Sadio Tounkara 2010) disait ceci dans son interview: la décentralisation est une manière de gérer les affaires qu’on retrouve même dans

nos propres maisons ou les gens de la même famille…et qui a toujours existait dans tous les temps68. Dans le passé, plusieurs empires se sont succédés avant les périodes coloniales69 et fonctionnaient sous forme des États (royaumes et empires). Il s’agit des puissants empires du

Ghana, du Manding, du Songhaï, du royaume Bambara de Ségou, le royaume peulhs du Macina etc., qui ont mis au point, au fil des siècles, des systèmes politiques très élaborés70. Ils ont expérimenté quelques tentatives de mise en place des systèmes de gouvernance très élaborés en matière de libre administration des communautés et de développement de leurs propres territoires. Dans ce contexte sociohistorique de la décentralisation malienne, on souligne une chronologie de ces empires dans les paragraphes suivants et on tente de démontrer comment la décentralisation a hérité les deux systèmes (ancien et moderne) de gouvernance territoriale au Mali.

2. Les perspectives avant l’indépendance de 1960 : héritage et parcours des anciens empires précoloniaux

Comment les pouvoirs locaux étaient gérés avant les périodes précoloniales ? La manière de gérer les affaires locales est un héritage dans toutes les sociétés humaines. Au Mali, il existe plusieurs façons de gérer les pouvoirs (ancien système et nouveau système). A cet effet, plusieurs formes de gestion du territoire et de l’administration locale existaient sous le règne des empires précoloniaux. Le pouvoir central n’était pas le seul ressort de gestion des affaires publiques. Il y avait les pouvoirs locaux gérés à plusieurs niveaux (famille,

territoire…). L’action publique n’était pas uniquement tenue par les princes mais, par une

multitude d’acteurs (du prince aux administrateurs locaux) impliqués dans la gestion des affaires publiques. La colonisation française (comme mode de domination, mouvement

d’implantation du système de gouvernance de l’Etat moderne sur les sociétés indigènes et rapport des forces entre sociétés…), s'est greffée sur l'ossature des anciennes organisations

68 Interview de Sadio Tounkara, (12/2010), Maire de la commune de Diéma 69-Bazin. J (2008), Des clous dans la Joconde, Anarchis, p.165-181.

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territoriales traduit en langue locale : province ou région (jamana), canton (marabolo ou

kafo), village (dugu), du moins dans ce qu'on peut qualifier d'anciens empires.

L’administration coloniale française s'est orientée vers la promotion de certains leaders politiques traditionnels auxquels elle octroyait le droit d'administrer leurs circonscriptions en tant qu'auxiliaires désignés. Ces leaders locaux (dont la plupart est composée des chefferies

traditionnelles) ont toujours existé et jouaient l’influence de la gestion administrative locale

aux côtés des instances du village (conseils de village). Ainsi, les populations locales sont intégrées dans un vaste système coercitif (participation à des travaux forcés, conscription,

brimades) dont l'exécution reposait principalement sur la chefferie cantonale. C'est cette

organisation coercitive de l'administration coloniale qui s'est implantée dans la mémoire collective et a fondamentalement bouleversé les systèmes des empires précoloniaux en place. Les méthodes de gestion du pouvoir des empires précoloniaux, ont été estompées dans les esprits. Les souvenir de la colonisation et des anciens régimes restent gravés dans la mémoire collective. Le maire de Tambakara disait que : « je vous donne l’exemple, maintenant au lieu

de dire Sous-préfet mais, les gens de chez nous continuent toujours à dire le Commandant ou Baba-commandant qui fait allusion à la peur ou à l’ancien régime centralisé » Le souvenir

des systèmes d'administration coloniale continue à alimenter et dominer les représentations des acteurs du pouvoir. Avant le déclin de certains empires, les entités locales faisaient preuve de gestion de leurs propres affaires publiques (royaume bambara de Ségou, royaume du

Kénédougou, royaume peuls du Macina…) sans faire recours à d’autres modèles exogènes.

Face à ces différents bouleversements des pouvoirs locaux, la décentralisation actuelle au Mali hérite de deux systèmes de gestion locale : le système des empires précoloniaux et le

système de l’Etat moderne imposé par la colonisation européenne. Mais la décentralisation

proprement dite, n’a pas véritablement existé au sens propre du terme (comme le modèle de

décentralisation de l’Etat moderne mise en place fin des années 90) durant la période

précoloniale. Pendant la colonisation, les entités territoriales ont été successivement soumises au fil de l'histoire à des formes de domination variées par le pouvoir central colonial. Ces entités territoriales ne pouvaient donc pas jouir d'une relative autonomie de gestion. Elles étaient complètement dépendantes en matière de gestion administrative du pouvoir central colonial. Une domination était visible à partir de cette manière de gestion du pouvoir sans partage. Le modèle colonial notamment les Etats post coloniaux, a été appliqué pendant plus de trois décennies. En outre, la libre administration de la décentralisation est caractérisée par la gestion autonome, le système électoral d’élire librement les gouvernants locaux n'était pas

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pratiquée par les régimes précédents (1ère et 2ème Républiques) caractérisés par le régime sans

partage du pouvoir. C'est dans ce sens que la décentralisation actuelle est différente des formes antérieures, puisqu'elle instaure le pouvoir de contrôle et de sanction sur les administrateurs grâce au système électif de l’Etat moderne et démocratique. L’administration coloniale française a continué dans ces différents processus de mise en œuvre de la décentralisation en s'orientant vers la création des communes indigènes regroupant des citoyens de première et de seconde zones. C’est-à-dire, les citoyens (autochtones) qui collaboraient avec les colonisateurs et ceux qui étaient marginalisés (les classes inférieures). Ce modèle de gestion territoriale est profondément marqué par la discrimination territoriale en émergeant des groupes sociaux divisés. Cela a permis à certains groupes de s’approprier d’avantage à la gestion des affaires publiques et d’autres acteurs (les citoyens de seconde

zone) sont écartés et s’imprègnent difficilement dans la gestion des affaires publiques. La

création de ce système inégalitaire par les pouvoirs de l’ère coloniale a un impact direct sur la décentralisation actuelle et les processus de développement territorial au Mali.

Dans cette perspective de domination sous l’ère coloniale, on met l’accent sur l’ouvrage d’Edward Saïd, L’Orientalisme : L’Orient créé par l’Occident » publié à New York

en 1978 qui a apporté une critique sur cette domination du post-colonialisme71. Il démontre d’une part, la domination coloniale et la production des connaissances qui accompagnent ce paradoxe historique. D’autre part, cet auteur montre que les cultures des peuples colonisés ont non seulement subi cette domination mais aussi, les cultures des colonisateurs ont contribué à l’émergence de connaissances (développement, décentralisation…) voir même utilisées pour la civilisation. Il propose dans ce sens critique qu’il y a nécessité de faire une composition des idéologies. Cette fabrique des idéologies sous la domination, les peuples indigènes s’incorporent à des modèles d’occidentalisation avec un processus de créations des systèmes de gouvernance opaques (création des structures locales...). La majorité des populations locales était exclue à ce processus de création des structures de décentralisation. Seule, une minorité était privilégiée par le pouvoir colonial à participer à l’exercice du pouvoir local. C’est le même système comme disait Francis Zaki à propos de l’ancien Congo-Belge lors d’un atélier de formation des associations tenu par Via-le-monde du CG 93 en 2017: « dans

l’ancien Congo Belge, les colonisateurs avaient mis trois catégories de classes notamment

71- Ce travail critique a été mené par Edwar Sïd sur le discours colonial dans Culture et impérialisme, Paris, Fayard, Le Monde diplomatique, traduit de l’anglais par Paul Chemla, 2000 [1993]. Pour un point de vue récent, voir D. Rivet, Culture et impérialisme en débat, Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 48, n°4, 2001, p.209-215.

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1er, 2ème et 3ème classes dont la première classe était plus proche des colonisateurs pour l’assimilation et faire imiter les colonisateurs dans tous les sens où aujourd’hui, on a les sapeurs comme pratique culturelle venue de la colonisation »72. Ce processus n’a pas épargné le cas du Mali dans son processus de création des structures par le pouvoir colonial. Ainsi, sous cette domination coloniale au Mali, seules 13 communes furent créées au Soudan français (actuel Mali). Elles étaient hiérarchisées en communes mixtes, de moyen exercice et de plein exercice, suivant la loi n°55 l489 du 18 novembre 1955. En outre cette municipalisation inachevée ne concernait que le milieu urbain. Le milieu rural était exclu par ce mouvement de création des communes ou processus de décentralisation. A l'indépendance, le Mali hérita de cette situation administrative avec seulement cinq communes de plein exercice.

3. La décentralisation dans l’héritage du système colonial aux périodes d’indépendance